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La revanche de la bimbo

Trop libre, trop tape-à-l’œil, trop tout… la figure de la bimbo a longtemps souffert d’une douloureuse stigmatisation, la punissant d’assumer son corps et sa sexualité. Sous l’impulsion de jeunes féministes contemporaines, elle revient affirmer son hyper-féminité, en jouant des stéréotypes. Décryptage. 

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Bimbo

L'actrice Marilyn Monroe, archétype de la bimbo. 

Amina Belkasmi

Elle s’appelle Chrissy Chlapecka, vit à Chicago et vient de fêter ses 20 ans. Elle a aussi une collection de hauts ultra-ajustés décorés de cœurs, de dentelles, de paillettes, qui laissent virevolter sa poitrine. Son maquillage est outré, ses poses volontairement maniérées. Dans l’une de ses dernières vidéos, nommée «La bimbo à la plage», elle est en mini-bikini et minaude: «Salut, c’est Chrissy. Vous pourriez penser que je suis juste excitante et vous avez raison. Mais la bimbo sait bien d’autres choses, comme que le capitalisme est la racine du mal.»

Une pause, avant d’enchaîner, en montrant malicieusement ses courbes: «Etre aussi canon n’est pas si difficile. Tout ce que vous avez à faire est de piétiner les homophobes et les républicains! Rejoignez-moi dans l’aventure bimbo. Et arrêtez de vous préoccuper de ce que les gens moches pensent.» Chrissy a 230 000 abonnés sur son compte Instagram et 480 000 sur TikTok, où elle est devenue la cheffe de file d’un nouveau courant qui porte aux nues les codes esthétiques de la bimbo, cette figure autrefois honnie pour ses tenues tapageuses.

Dans l’éventail de définitions qui sévissent ici et là, la bimbo désigne toujours une «jeune femme pulpeuse et sexy, souvent superficielle», «à la féminité provocante», «généralement caractérisée par un comportement juvénile, narcissique», une «gourde sexy». Bref, tout dans le corps et rien dans la tête, selon l’idéal misogyne…

Mais dans le sillage du mouvement #MeToo, Chrissy et ses fidèles tout juste entrés dans l’âge adulte ont décidé de réhabiliter la bimbo, pour démontrer sa fonction hautement subversive. Et sur le BimboTok, la nouvelle sphère bimbo du réseau social TikTok, l’inclusion est l’unique mot d’ordre puisque tout le monde peut devenir bimbo, à l’instar de Griffin Maxwell Brooks, étudiant de 19 ans en génie aérospatial à l’Université de Princeton, qui pose en guêpière et cuissardes compensées, et affirmait récemment dans un média américain: «L’esthétique moderne de la bimbo est un état d’esprit. Je veux m’habiller comme je veux, et avoir l’air sexy, et ne pas répondre à vos attentes.»

Stephanie Deig, doctorante en philosophie féministe et en études genre à l’Université de Lucerne, étudie le discours radical de la communauté. «Pour ces bimbos, l’hyper-féminité est un jeu de performance qui permet de renverser les attentes de genre, résume-t-elle. La bimbo a une longue histoire que certains font remonter à Hollywood, avec l’émergence de starlettes comme Marilyn Monroe. Mais le stéréotype de la blonde stupide est devenu vraiment un courant à l’aube des années 2000, dans de nombreux médias, tant d’une manière critique que non critique. Vous aviez des personnalités comme Anna Nicole Smith qui incarnaient cette esthétique bimbo, au point d’en faire une performance. Récemment, le courant a pris un tournant féministe plus critique et politique, particulièrement sur TikTok, où la bimbo devient un moyen de remettre en question beaucoup de choses: le regard masculin, la façon dont le mouvement bimbo était très blanc jusqu’à présent, avant que des personnes de couleur s’en emparent, comme Cardi B… La bimbo devient une figure globale et inclusive qui pose beaucoup de défis intéressants.»

La bimbo revient triomphalement à l’heure d’un grand mea culpa vis-à-vis de celles qu’on a longtemps punies d’exprimer leur désir sexuel ou simplement arborer des vêtements ostentatoires dans une société où le corps féminin reste soumis au contrôle social… A l’origine, le terme émerge au début du XXe siècle, pour désigner des hommes ou des femmes aux faibles capacités intellectuelles. Mais à la fin des années 1990, il est devenu un mot pour (dis)qualifier uniquement des femmes, notamment celles qui font carrière dans le divertissement, en se focalisant sur leur sexualité.

Dans Framing Britney Spears, documentaire du New York Times décortiquant la mécanique prédatrice qui a détruit la chanteuse, les archives de l’époque sont glaçantes. «Etes-vous vierge?» lui demande un journaliste alors qu’elle a 17 ans (mais ose onduler en minijupe et chemise cintrée dans ses clips). «Tout le monde parle de vos seins», assène un autre. C’est aussi l’époque où la prolifique actrice Lindsay Lohan se retrouve en couverture de Rolling Stone, le jour de ses 18 ans, en 2004, avec le titre: «Hot, Ready and Legal!» («Chaude, prête et légale!»).

Six ans plus tôt, c’est Monica Lewinsky, 22 ans, qui est traînée dans la boue pour avoir répondu aux avances d’un président de 52 ans. Le Wall Street Journal la qualifie de «petite tarte», Maureen Dowd, éditorialiste du New York Times et Prix Pulitzer pour sa couverture de l’affaire, parle d’une «stagiaire prédatrice et idiote», tandis que Fox News lance un sondage pour savoir combien de téléspectateurs la considèrent comme «une jeune traînée à la recherche de sensations fortes».

Le journaliste Paul Sanfourche vient lui-même de consacrer un essai féministe à l’ex-star de téléréalité Loana, Sexisme Story, Loana Petrucciani (Ed. Seuil), dans lequel il démontre comment la blonde, dont la notoriété démarre par la fuite sur internet des images d’une étreinte avec un participant, à 24 ans, a été jetée en pâture comme le parfait prototype de la bimbo sans conscience.

«Ces images sur internet sont la raison pour laquelle Loft Story est devenu viral et ont fondé la célébrité de Loana; j’ai voulu enquêter sur une construction médiatique sexiste, notamment comprendre comment on a pu laisser fuiter de telles images, confie-t-il. Parce qu’elles ont eu des conséquences. A ce moment-là, Loana devient une sorte de blague nationale qui remplace le mot «blonde» dans les blagues sur les blondes. Tout le monde s’empare d’elle, se moque d’elle, tandis que Jean-Edouard, son partenaire, est vu comme quelqu’un de cool… Nous sommes aujourd’hui quelques années après #MeToo, mais personne n’a repensé à Loana et à tout ce qu’elle a pu vivre. Alors que son histoire est bien plus complexe que les cases dans lesquelles on l’a enfermée: fille facile, bimbo, star déchue… Son parcours est en réalité au carrefour des thématiques des violences féminines dont on parle actuellement, puisqu’elle a vécu les violences intrafamiliales, conjugales, l’inceste, le harcèlement. Les sempiternelles critiques à l’encontre de son physique (trop mince, grosse, blonde, refaite…) révèlent aussi tout le poids des injonctions sur le corps des femmes.»

Fière de son corps retouché, qu’elle utilise comme un instrument de pouvoir, l’ex-stripteaseuse devenue icône du rap Cardi B fait partie de celles qui se réapproprient une hyper-féminité jouant volontairement sur le plaisir de l’outrance, pour en faire un féminisme radical interrogeant les stéréotypes passés. «Il y a actuellement tout un travail qui vise à retourner le stigmate de pratiques autrefois disqualifiées, parce qu’associées à des types de féminité classés plus bas dans la hiérarchie par rapport à une féminité blanche bourgeoise valorisée, confirme Lucile Quéré, doctorante en études genre à l’Université de Lausanne et spécialiste des liens entre corps et féminisme. Et des jeunes militantes féministes cherchent à faire disparaître cette hiérarchie, pour sortir des injonctions contradictoires faites aux femmes, notamment sur leur corps. Cela implique de reprendre à leur compte des pratiques corporelles souvent considérées comme contraires à l’émancipation des femmes et à y associer un sens subversif.»

Sur BimboTok, l’esthétique bimbo sert même à une critique radicale du capitalisme, note Stephanie Deig: «Nous vivons dans une société où nous sommes tous façonnés et constitués par des attentes et où être d’une certaine manière donne accès à certains espaces de pouvoir. Or la néo-bimbo est consciente de la façon dont le capitalisme la rend consommatrice, mais aussi objet de consommation, et elle joue sur cette dynamique. Son message est que tout le monde peut être bimbo, pour créer son propre espace de liberté.»

Marilyn Monroe, proto-bimbo qui a inspiré l’esthétique de beaucoup de descendantes, avant de se suicider à 36 ans, désespérée d’avoir été cantonnée aux rôles de blonde stupide par une industrie violemment misogyne quand elle rêvait de jouer les grands auteurs russes, affirmait: «Un sexe-symbole devient une chose. Je déteste être une chose.»

Mais les bimbos contemporaines écrivent désormais leur histoire, en défendant ardemment leur choix. Aya Nakamura, Nabilla, Zahia Dehar, Kim Kardashian… autant de femmes à qui certains reprochent encore leur esthétique, et qui s’en moquent. «La différence entre Loana et Nabilla, c’est qu’aujourd’hui les bimbos ont la maîtrise totale de leur image, sans passer par des producteurs et agents qui, souvent, les utilisaient. Et c’est une dynamique d’individualisation et d’«empuissancement», analyse Paul Sanfourche. On peut tout à fait contester le mode de vie de Kim Kardashian, et ce que ça révèle de nos sociétés, mais il y a une évolution majeure à voir une femme devenir milliardaire par elle-même, avec une maîtrise totale de sa communication. Le sujet des bimbos n’est jamais trivial parce que, à partir du moment où elles deviennent des représentations médiatiques qui vont tous nous marquer, on est au cœur du pouvoir et du pouvoir symbolique.» Et toujours subversif.


La résurrection de l’esthétique bimbo

 

Dans les années 2000, ces signes étaient sujets à railleries sexistes. A l’ère de #MeToo, ils reviennent en force, et personne ne moufte.

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Le string apparent. Les audacieuses des années 2000 laissaient grimper la ficelle en dentelle de leur string au-dessus du jean taille basse, et les ligues de vertu tombaient en syncope. La mode relance la tendance, et l’on voit la it-girl Bella Hadid afficher une jolie collection.

AFP via Getty Images
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Le survêtement Juicy Couture. Ce survêt en velours moulant et aux coloris tape-à-l’œil ne quittait pas Jennifer Lopez, Paris Hilton ou Lindsay Lohan au début du troisième millénaire. La marque italienne Kappa l’a ressuscité en 2020, pour le bonheur des néo-bimbos.

DR
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Les ongles XXXL. Bienvenue dans le monde du nail art, consistant à transformer ses ongles en bijoux fuselés. Cardi B, FKA Twigs, Aya Nakamura… beaucoup de nouvelles icônes pop ont même rajouté 10 cm de longueur par rapport aux ongles des bimbos d’origine.

imago images/ZUMA Press
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Le tatouage dans le bas du dos. Britney Spears, Drew Barrymore, Christina Aguilera… arboraient toutes un tatouage sur la chute de reins. Méchamment baptisé tramp stamp, «sigle de la traînée», dans les années 1990-2000, la jeune génération féministe le récupère et en est fière.

PA Images via Getty Images

La bimbo, éternelle figure au cinéma

 

Evidemment blonde, forcément cruche, elle a eu pléthore de rôles au cinéma. Ecrits par des hommes… Au moins, les actrices qui les incarnent leur ont offert toute leur bienveillance.

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Les hommes préfèrent les blondes, de Howard Hawks. Condamnée aux rôles de blonde naïve et fatale, Marilyn fut payée dix fois moins que Jane Russell pour ce film. Elle irradie malgré tout.

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Une ravissante idiote, d’Edouard Molinaro. Brigitte Bardot y incarne la quintessence de la «cruche sexy», finalement bien moins nigaude que son partenaire de jeu Anthony Perkins.

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Barb Wire, de David Hogan. Dans cette dystopie de série B, Pamela Anderson est une patronne de bar chasseuse de primes qui manie le flingue en cuissardes. Une bimbo puissante.

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Romy et Michelle 10 ans après, de David Mirkin. Lisa Kudrow et Mira Sorvino donnent tout pour incarner deux blondes superficielles voulant briller à leur réunion d’anciens élèves. Leur humour les sauve.

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La revanche d’une blonde, de Robert Luketic. Gnangnan et sans ambition, Reese Witherspoon finit par intégrer Harvard pour montrer que les bimbos savent aussi être douées pour les études.

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Super blonde, de Fred Wolf. Virée du manoir Playboy où elle était «bunny girl» parce qu’elle est vieille (27 ans), Anna Faris, aide des étudiantes à devenir «les filles les plus sexys du campus». La bimbo a du cœur.

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Bimboland, d’Ariel Zeitoun. Pour les besoins de sa thèse, Judith Godrèche plonge dans l’univers de minijupes pailletées d’Aure Atika et se plaît à devenir elle-même bimbo.

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Par Julie Rambal publié le 2 juillet 2021 - 09:30