«Les femmes ne devraient pas avoir honte de leur sexualité et nous méritons toutes de posséder notre plaisir.» C’est avec ce slogan ponctué du hashtag #IMasturbate, «je me masturbe», que la chanteuse Lily Allen a annoncé, fin octobre, lancer Liberty, un sex-toy à succion imaginé par ses soins, en partenariat avec la société allemande Womanizer. Comme elle, toujours plus de stars offrent leur célébrité aux objets du plaisir féminin.
A l’instar de la top Cara Delevingne, nouvelle directrice créative de la start-up DiCarlo – qui commercialise des gadgets de luxe destinés à «aider les femmes à explorer leur corps», ou de l’actrice Dakota Johnson, codirectrice de Maude, nouvelle marque se positionnant sur le marché du «bien-être sexuel» en offrant des cours de coaching sur la sexualité féminine, mais surtout des engins dignes de trôner sur la table basse du salon. Sans oublier Gwyneth Paltrow, devenue star du bien-être avec son site marchand Goop, qui commercialisait déjà des sex-toys, mais fabrique aujourd’hui le sien, un «vibromasseur baguette magique». Pour la promotion, elle a détourné une vieille photo d’elle tenant triomphalement son Oscar, changeant juste l’objet entre ses mains. Les stars avaient un parfum à leur nom. Elles ont désormais leur vibromasseur signature…
Car les sex-toys sont un nouveau symbole de revendications féministes et les femmes investissent massivement le marché. «Les hommes ont longtemps eu la mainmise sur ce sujet, et le fait qu’elles décident de penser leurs sex-toys est récent, note la journaliste Lucile Bellan, qui vient de publier «Masturbation» (Ed. Leduc). Aujourd’hui, on commence à avoir des bijoux technologiques, qui apportent vraiment des orgasmes, sans faire de mal au corps des femmes. On est au début de cette révolution.»
Et l’industrie explose: jouets eco-friendly, neutres de genre, à basse fréquence, biomimétiques, sans contact (grâce à l’air pulsé), en silicone médical… Marie Comacle, une Bretonne de 28 ans, s’apprête elle-même à lancer un «vibro» multifonction, «pensé pour toutes les femmes, quelle que soit leur définition du plaisir», via sa start-up baptisée Puissante. «J’ai participé à beaucoup d’ateliers sur la sexualité, et je me suis rendu compte qu’il y avait un avant et un après pour les personnes qui connaissent mieux leur corps, confie-t-elle. J’ai voulu créer une marque loin des clichés, car bien des produits sont encore vendus sur des sites affichant des femmes déguisées, à énorme poitrine, avec un message lié au piment du couple. Le mien porte sur l’importance de soigner son bien-être.» Résultat: elle a atteint 2500% de ses objectifs, après une campagne de financement participatif, et livre les premiers Coco.
L’été dernier, la journaliste et historienne américaine Hallie Lieberman, qui a fait sa thèse sur l’histoire des sex-toys, publiait une tribune dans le New York Times titrée «(Presque) tout ce que vous savez sur l’invention du vibromasseur est faux». A commencer par une légende coriace: Joseph Mortimer Granville, un médecin britannique, aurait inventé le vibromasseur au XIXe siècle, après avoir découvert qu’un appareil électrique de son invention permettait de soigner «l’hystérie» en l’appliquant sur le pelvis des femmes. En réalité, sa machine servait à apaiser les douleurs musculaires… des hommes! «Cette fable contribue à notre incompréhension de la sexualité féminine et perpétue des stéréotypes nuisibles», écrit Hallie Lieberman, qui rappelle qu’on trouve des pénis sculptés dans toutes les cultures, dès 30 000 ans avant notre ère, alors que le «Kamasutra» recommande leur usage en cas d’«insatisfaction féminine».
Mais la révolution pour les femmes n’arrive qu’au début des années 1970, avec le Wand – accessoire vendu au rayon électroménager – pour détendre tous les muscles, et vite détourné, relate Lucile Bellan: «Les militantes féministes l’ont récupéré pour le promouvoir en réunion, afin d’aider les femmes à explorer leur plaisir. L’information circulait par bouche à oreille. Il n’y avait pas encore de geste industriel, c’est-à-dire des femmes qui investissent le marché pour penser leurs sex-toys.»
Pour comprendre pourquoi des objets de plaisir pensés dès l’origine du monde sont passés si longtemps à côté de celui des femmes, il faut replonger dans l’histoire de la sexologie: «On a des écrits sur la sexualité féminine depuis que la médecine existe, mais rédigés par des hommes, qui l’envisageaient au prisme de la leur, rappelle l’historienne spécialisée Sylvie Chaperon. Même pour ceux, nombreux, insistant sur la nécessité du plaisir féminin, ils l’intégraient dans une scénographie coïtale très classique avec, au mieux, des préludes, comme ils disaient, et tout en reconnaissant que les femmes étaient souvent frustrées. Et si la jouissance clitoridienne est reconnue depuis le XVIe siècle, il y a eu beaucoup de spéculations: dans les années 1930, des physiologistes assurent encore que le moment le plus fort du plaisir féminin est celui où elles ressentent l’éjaculation dans le vagin, alors même qu’il n’est pas assez sensible pour cela.»
Les pionnières écrivant sur la sexualité des femmes émergent au début du XXe siècle, telles l’Ecossaise Marie Stopes ou Marie Bonaparte, «la première à interroger des centaines de femmes sur leurs sensations, et à comprendre que l’organe du plaisir reste le clitoris, même si elle en fait une interprétation tarabiscotée, poursuit Sylvie Chaperon. Pour elle, c’est parce qu’il est trop haut placé que les femmes jouissent peu.» Il faut dire que ces militantes n’avaient pas accès aux études de médecine et étaient donc condamnées à spéculer, elles aussi…
«La première imagerie complète du clitoris apparaît vingt ans après la mise sur le marché du Viagra, à la fin des années 2010, ce qui en dit beaucoup sur l’industrie», commente Christel Bony, créatrice du groupe SexTech For Good. En 2014, elle avait développé une application de lecture érotique connectée à un sex-toy. Elle souhaite désormais rassembler les acteurs francophones de la «sextech», qui englobe toutes les technologies au service de la sexualité. «Les femmes s’emparent de ce secteur d’innovation en envisageant le bien-être dans sa globalité. On assiste à une nouvelle révolution, qui est celle de l’intime. Car la «sextech» aborde beaucoup de sujets de société. On y parle plaisir et masturbation, mais aussi santé et prévention.»
L’industrie valait 30 milliards de dollars en 2020 et devrait grimper à 122,6 milliards d’ici à 2026. On y croise des sex-toys connectés qui intègrent l’intelligence artificielle, la robotique humanoïde, la réalité augmentée, pour hommes ou femmes, mais aussi des applis pour surveiller son cycle menstruel, l’intensité des orgasmes, accompagner la ménopause…
Certains s’inquiètent de la récupération d’une nouvelle vague de positivité sexuelle et de libération des tabous, détournée pour vendre des objets à coups d’influenceuses rémunérées et siphonnage de données intimes. Voir un smartphone sonner l’heure de se masturber peut effectivement dérouter.
«Il va falloir trouver le bon équilibre, concède Christel Bony. En tout cas, beaucoup de porteurs de projet arrivent avec de vraies histoires. Telle Polly Rodriguez, qui a créé sa marque après un cancer et une chimio qui avaient eu des conséquences sur sa sexualité, à 24 ans. Elle ne trouvait pas de produits correspondant à sa problématique de santé et s’est lancée.
Certains travaillent aussi sur des sex-toys dédiés au quatrième âge, parce que le désir ne s’arrête pas, ou au handicap. Ce qui fait une différence avec les multinationales du porno qui n’avaient rien à défendre à part le business. Et puis les toys sont un des possibles dans la sexualité, ça n’est pas une obligation, ni la sexualité d’ailleurs. Ce qui compte, c’est d’être bien avec soi, avec une vraie éducation sur ces sujets, pour faire des choix éclairés.»
Même vision de Lucile Bellan: «On est tous et toutes équipés pour se donner du plaisir sans sex-toy, qui reste un complément utile à différents moments de la vie. Dans mon livre, j’ai envisagé la sexualité sous l’angle du partage, pour libérer tout le monde de la norme pénétrative. Et je pense aussi qu’il y a un besoin capital pour les femmes de connaître mieux leur corps, au-delà de la question de plaisir et du partenaire, car une femme qui sait comment elle fonctionne est capable d’avoir le bon vocabulaire, et du pouvoir, devant un médecin.»
Ce discours sur la santé sexuelle et l’autonomie, Marina Bonnet, lausannoise et fondatrice de Bonbon Rose – spécialisée depuis 2007 dans la vente de sex-toys à domicile lors de réunions féminines – l’a toujours eu: «Je suis une ancienne infirmière et je ne cesse de conseiller aux femmes de s’acheter un sex-toy pour elles, pas leur couple. Le fait de devoir tout partager en couple m’agace. Pour les femmes, c’est quasiment une injonction, alors que la masturbation masculine est présentée comme signe de bonne santé. Mais ça l’est aussi pour les femmes. Sauf que beaucoup se l’interdisent». Plus maintenant?
L’évolution des sex-toys à l’écran
Leur lente apparition dans les fictions a progressé au fil d’un discours toujours plus ouvert sur la sexualité féminine. La preuve.