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  3. La vie et la carrière de l'humoriste Jean-Luc Barbezat

Humour

Jean-Luc Barbezat, un bourreau de travail bourré de talent

A l’approche de son 57e anniversaire, le directeur de «La Revue vaudoise», humoriste et metteur en scène nous a reçus chez lui, aux Diablerets. Avec sincérité et lucidité, il aborde les différents aspects de sa vie d’homme de scène, confronté aux réalités de 2022.

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Jean-Luc Barbezat

Jeudi 3 novembre 2022, lac Retaud, sur les hauteurs des Diablerets. Jean-Luc Barbezat s’offre un bain revigorant dans une eau à 6°C. Il n’est pas seul. Sa compagne et un couple d’amis, qu’on ne voit pas ici, sont présents. Seul, il n’irait pas!

Julie de Tribolet
Blaise Calame

Décor enchanteur. Le lac Retaud, ceinturé de sapins, au col du Pillon (VD). En face, sur la crête, on aperçoit Glacier 3000 et le restaurant imaginé par Mario Botta, dévasté par un incendie le 19 septembre dernier. L’eau est à 6°C. Deux couples, équipés de gants et de chaussettes en néoprène, s’apprêtent à faire trempette. Jean-Luc Barbezat, 57 ans bientôt, grimace tandis que sa compagne, Patrizia, et leurs amis proches Françoise et Dominique s’immergent. L’humoriste et metteur en scène plaisante. «Je fais ma prière. Je dis bonjour au soleil. Où es-tu, soleil?» De faméliques rayons caressent son torse velu. Dans moins d’une heure, le site sera noyé dans les nuages.

Barbezat en fait des tonnes. C’est plus fort que lui. On ne l’imaginait pas sportif. On avait tort. Il nage, skie, mange et boit avec gourmandise. Un épicurien. 

L’artiste a fixé son repaire aux Diablerets. Un chalet récent, tout en bois, bordant la ligne de chemin de fer. Ici, Jean-Luc Barbezat, fatigué de la ville, respire. Un exil intérieur, en altitude, qu’il a choisi avec Patrizia, journaliste free-lance, passionnée de cuisine et de lecture.

Jean-Luc Barbezat

Selon Jean-Luc Barbezat, qui aura 57 ans le 2 décembre, le numérique a provoqué une révolution sur la scène de l’humour.

Julie de Tribolet

Aucun diplôme, ou presque

Ses racines à lui sont dans le Val-de-Ruz (NE), mais c’est plus haut, à La Chaux-de-Fonds, qu’il s’est émancipé. «Mes parents étaient buralistes postaux, donc fonctionnaires. Plutôt sportifs, protestants, sages, discrets.» Jean-Luc est le cadet farceur de trois enfants.

«Quand j’ai annoncé vouloir faire du théâtre, mon père m’a dit: «Apprends d’abord un métier.» J’ai tenu bon. Il n’a exigé qu’une chose: que je décroche un diplôme. J’ai fait une école paramédicale... sans un vrai papier au bout. Mon unique diplôme, c’est celui de Jeunesse + Sport! J’aime bien dire qu’on peut réussir sa vie sans avoir bien travaillé à l’école.»

Jean-Luc Barbezat

Barbezat dans son repaire des Diablerets. serein devant son chalet. 

Julie de Tribolet

Sagittaire, Jean-Luc Barbezat est un nounours sensible qui a besoin des autres. «Seul, j’ai beaucoup de peine à me motiver. J’aime faire des choses avec les gens. Boire, par exemple.» Il se marre.

On en déduit que, géographiquement, le Neuchâtelois est passé de la «bleue» (l’absinthe) à la Williamine, voire à l’Abricotine. «Non, je suis resté à la bleue.» La vraie. Il se fournit à La Brévine, mais silence, «pas un mot sur le p’tit lapin bleu»! Un code.

Personne ne l’ignore, il forme la moitié du duo Cuche et Barbezat, qui perdure. Un seul en scène? «Cela ne me viendrait même pas à l’idée.» Jean-Luc Barbezat est devenu un metteur en scène convoité. Frédéric Recrosio, Brigitte Rosset, Yann Lambiel, Marc Donnet-Monay, Thierry Meury, Laurent Flutsch, pour n’en citer qu’une poignée, ont fait appel à lui. Il dirige en outre «La Revue vaudoise» et œuvre pour le Montreux Comedy Festival, dont la 33e édition démarre le 23 novembre. Un stakhanoviste.

Jean-Luc Barbezat

Barbezat formant un couple heureux avec Patrizia.

Julie de Tribolet

Trente-cinq ans de scène

Avec «La Revue», il s’éclate. «Yann Lambiel nous a rejoints. Je savais qu’il me pousserait dans mes retranchements, parce qu’il est exigeant, mais quel cadeau! C’est ma quatrième «Revue». La meilleure. Je sais pourquoi.»

C’est avec Benjamin Cuche, son complice de toujours, qu’a jailli le goût du théâtre. «A 7 ou 8 ans, on faisait déjà des sketchs ensemble!» L’aventure d’une vie. L’école, les stages du Théâtre populaire romand (TPR), la rencontre à 12 ans avec Jérôme Deschamps. Un cadeau, déjà.

Jean-Luc Barbezat

Jean-Luc Barbezat impatient de chausser les skis.

Julie de Tribolet

Cuche et Barbezat forment un duo comique incontournable en Romandie mais, après trente-cinq ans de scène, le tandem arrive «un peu au bout du parcours». Le titre du dernier spectacle, «Hommage à Cuche et Barbezat, par Cuche et Barbezat, avant qu’il ne soit trop tard», le suggère. Comme un vieux couple, le duo a vécu des phases délicates. «Cela nous est arrivé de nous détester, mais jamais bien longtemps. On a aussi pris nos distances, pour nous revoir dans un meilleur état d’esprit. Une bonne idée. Pour prolonger l’analogie avec le couple, je dirais que la scène est notre lit et qu’on baise plutôt bien ensemble. Il y a eu une période où on était un peu fâchés. On ne se parlait quasiment plus, mais sur scène, notre complicité est restée intacte.»

Cuche et Barbezat

Il collaborait en 2018 avec Greg Zavialoff. 

Sedrik Nemeth pour Le Temps

A poil à Paris

Avec le regard du producteur cette fois, Jean-Luc Barbezat ajoute: «L’argent n’a jamais été un motif de querelle entre nous. Et ce n’est pas si banal.»

Printemps 2004, Cuche et Barbezat font l’événement à Paris en jouant à poil au Palais des Glaces dans «Les marionnettes du pénis». Et si ce spectacle les avait desservis? «Je n’y ai jamais réfléchi, avoue Jean-Luc Barbezat. Ce que je peux affirmer, c’est que Cuche et moi n’avons jamais fait le moindre calcul de carrière. Moi, je l’aurais peut-être souhaité, mais Cuche est tellement loin de tout ça. On a montré nos bites parce que ça nous amusait. Sans voir plus loin. On a fait la tournée des plateaux de télévision: Ruquier, Arthur, etc. Ils nous ont tous invités, mais jamais on ne s’est demandé comment on pourrait prolonger la parenthèse. Cuche a ensuite ouvert une école de théâtre à Vevey… C’était son rêve. Ça veut tout dire.» Modeste ambition.

Jean-Luc Barbezat, lui, s’est tourné vers la mise en scène. Une histoire de copains, là encore. «Tour à tour, les artistes qu’on côtoyait dans les revues ont lancé des projets en solo et fait appel à moi. Ça a commencé avec Tex, puis ça s’est enchaîné: Recrosio, Brigitte Rosset, Marc Donnet-Monay, etc. Ils voulaient que je les aide. Moi, j’ai plutôt fait du coaching que de la mise en scène. Je n’ai jamais imposé mes idées à mes camarades.»

Sa récréation aujourd’hui? «La Revue vaudoise». «J’adore ça, reconnaît-il, parce que je joue dedans, je produis et je mets en scène. Pendant trois ou quatre semaines, je ne fais que ça. Pour moi, c’est finalement le plus confortable, parce que je ne me disperse pas.» L’écriture ne pardonne rien. «Pierre Naftule, qui était un peu mon maître en matière de revue, disait: «Un rire toutes les vingt secondes.» Quand il nous a mis en scène, il avait le chronomètre à la main!» Barbezat a une autre méthode. «Naftule avait une idée précise de ce que devait être le spectacle. Il avait sa vision. Moi, c’est tout l’inverse.»

Jean-Luc Barbezat

Sur scène, il se produit depuis trente-cinq ans avec Cuche et Barbezat.

Sedrik Nemeth pour Le Temps

Jean-Luc Barbezat travaille également pour le Montreux Comedy Festival, ou plus précisément pour son directeur, le producteur Grégoire Furrer. «Moi, je ne sais pas me vendre. Je ne cacherai pas qu’il m’est arrivé d’être vexé qu’on ne me sollicite pas, à la radio, à la télé, ou pour diriger des théâtres. Ce mec-là, Grégoire Furrer, est venu me chercher, lui, pour développer des projets.» Reconnaissance. 

Sillonner le globe pour le Montreux Comedy l’intéresse-t-il vraiment? Il esquive habilement: «Ce que je constate, c’est que les humoristes vieillissent mal. L’humour a tellement bougé depuis vingt ans, il y a une telle éclosion d’artistes! Avec Cuche, on est quand même un peu de vieux ringards. Il faut l’accepter.»

Moment propice pour un bilan. Sans détour, Jean-Luc Barbezat admet avoir tu certaines ambitions. «J’ai eu des frustrations avec Cuche, c’est vrai, en particulier à Paris. Benja se moque de tout ça, mais il m’a apporté d’autres choses. Si on a gardé les pieds sur terre, c’est aussi parce qu’il ne fait aucune différence entre un magicien amateur et le président de la République.»

Jean-Luc Barbezat

Le duo Cuche et Barbezat s’est même exporté en Corée du Sud en 2014.

DR

Les contraintes morales

En 2022, l’humour doit composer avec le retour de la morale. Une préoccupation. «Les textes de «La Revue» nous ont donné du fil à retordre cette année, avoue-t-il, parce que la scène n’est plus tout à fait un espace de liberté totale. Chaque artiste doit être conscient que tout ce qu’il dit sur scène finira peut-être sur les réseaux. Il faut faire hyper gaffe, en matière de féminisme par exemple. Cela dit, ces nouvelles contraintes t’obligent à te montrer plus inventif, plus créatif.»

La révolution numérique a tout bouleversé. Si de nouveaux talents ont émergé, pour les anciens, c’est un peu la soupe à la grimace. «J’ai quand même une monstre frustration, avoue Jean-Luc Barbezat. Aujourd’hui, je ne peux pas transmettre. C’est ce qui me manque le plus. J’ai accompagné plein d’artistes, mais les jeunes humoristes ne viennent pas vers moi. Je ne dis pas que c’est injuste, c’est comme ça. Avant, les jeunes apprenaient des anciens. Plus maintenant.» La mode serait même plutôt à dessouder les anciens.

«Un jour, Marina Rollman, qui avait fait la première partie de Cuche et Barbezat au début de sa carrière, nous a dézingués en France. J’ai trouvé ça marrant, mais moi, plus jeune, je n’aurais jamais osé descendre Fernand Raynaud, par exemple. Ça, c’est terminé. La société, le système et cette époque font que, tel le dernier des sabotiers, l’artisan que je suis va s’effacer avec son savoir-faire...» 

Jean-Luc Barbezat

Jean-Luc Barbezat mène une vie artistique trépidante. Metteur en scène, par exemple pour Karim Slama. 

Claude Dussez

>> Découvrez «La Revue vaudoise»: à voir jusqu’au 10 décembre (prolongations) au Magic Mirror, port de Territet, Montreux (réservations via le site billetterie.revuevaudoise.ch.

Par Blaise Calame publié le 27 novembre 2022 - 11:15