Tout commence avec le magazine culturel pointu Technikart, accélérateur d’idées et média prospectif. Il classe la Genevoise Laetitia Dosch parmi les personnalités qui vont marquer l’année 2021. Les jours qui suivent, mon chef et mes collègues inondent ma boîte e-mail de ses interventions dans la presse. La metteuse en scène franco-suisse remplit les pages culturelles. Rien qu’en janvier elle est apparue dans Madame Figaro, dans Elle, mais aussi dans le podcast du Monde, Le goût de M.
Au tour de L’illustré de raconter cette interprète plurielle, qui s’est formée à l’école de La Manufacture, à Lausanne. Le rendez-vous est pris avec la comédienne dans son refuge, à Gimel (VD), à l’Ecole-Atelier Shanju – Cirque et théâtre équestres. En chemin, je relis les différentes archives que j’ai conservées sur elle. Les adjectifs autour de son extravagance fusent dans ces portraits: «culottée», «perchée», «un peu fêlée». La marginalité colle à la peau de Laetitia Dosch. Il faut dire que l’actrice de 40 ans maîtrise une palette de jeu qui conjugue les états les plus extrêmes et donne des frissons. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’elle a été nommée en 2018 au César du meilleur espoir féminin pour Jeune femme de Léonor Serraille.
Quant à son solo à succès, «Laetitia fait péter», il a bouleversé la profession avec son humour trash, sa fantaisie sombre. Son coup d’éclat en 2018 au Théâtre de Vidy, à Lausanne, avec «Hate», un duo comédienne-cheval sur les pulsions de domination, reste lui aussi gravé dans l’histoire de la scène locale et internationale. Les journalistes relèvent l’aura mystique qui entoure l’artiste. Je les comprends. En l’observant durant notre séance photo en pleine nature, je capte cette énergie innée. En un regard, la comédienne peut se fondre dans tous les personnages.
En 2021, Laetitia Dosch a choisi de jouer Hélène, une femme brûlant de désir pour un inconnu dans «Passion simple», l’adaptation du roman du même nom d’Annie Ernaux, en compagnie du danseur ukrainien Sergueï Polounine. La production – sélectionnée au Festival de Cannes en 2020 et dont la sortie était prévue le 6 janvier – attend aujourd’hui la réouverture des salles obscures pour être projetée. L’interprète caméléon sera aussi sur écran dans une comédie écolo décalée, «Irréductible», réalisée par Jérôme Commandeur, avec le gratin des acteurs et actrices français.
Retour dans la campagne vaudoise. Laetitia Dosch nous accueille de bonne heure, entourée des chiens de son amie Judith Zagury, d’un serval (un chat sauvage), avec en fond sonore des chevaux qui hennissent. Fumant sa cigarette électronique, elle nous décrit ses journées paisibles ici, dans son refuge. Ce qui frappe, c’est sa curiosité, insatiable: pour l’humain d’abord, mais aussi pour l’animal et le végétal. Prenez sa dernière performance, «Radio» arbres, née pendant le confinement sous l’initiative «Imaginaires des futurs possibles» du Théâtre de Vidy, à Lausanne. Il s’agit d’un podcast participatif où «les gens entrent dans la peau des arbres». Reprises par Espace 2 puis par France Culture, ces «narrations végétales» connaîtront une suite prochainement. «Mais j’aimerais bien les enregistrer depuis une forêt», insiste l’instigatrice du projet d’une voix veloutée. «Ce qui me captive dans mon travail, c’est de chercher la place de l’humain dans ce qui l’entoure, de trouver ce qui regroupe toutes les espèces vivantes.» L’artiste, souvent décrite comme «déjantée», serait-elle entrée dans une phase plus calme? «Je ne pense pas m’être assagie, mais on s’habitue à ma personnalité», ajoute-t-elle, le sourire espiègle.
La Suisse, c’est sa terre de cœur. Son père vient d’un petit village de montagne dans les Grisons, alors qu’elle grandit à Paris. A 20 ans, elle revient dans son second pays en rejoignant la Haute Ecole lausannoise des arts de la scène, qui émergeait dans les années 2000. «J’étais dans la Promo B. On avait encore les clés, à l’époque, c’était le joyeux bordel. On était tous solidaires», se rappelle-t-elle. Une fois diplômée, elle n’a pas tout de suite trouvé sa place. «Je ne correspondais à aucune catégorie d’actrices.» C’est là qu’elle décide de créer ses propres pièces, expérimentales. Au fil des ans, elle collaborera avec des grands noms de la scène théâtrale et performative: Marco Berrettini, La Ribot ou François Gremaud, pour n’en citer que quelques-uns.
Installée à Paris, Laetitia Dosch sature parfois de la frénésie de la capitale française. «Les violences sociales, la précarité dans les rues, tu assistes en ce moment à des scènes tragiques. Ça m’atteint au plus profond», confie-t-elle, à fleur de peau. Ce qu’elle aime en Suisse, c’est la créativité de nos laboratoires de recherche, notre philosophie artistique qu’elle voit comme plus décloisonnée qu’en France.
C’est donc ici qu’elle entame sa prochaine aventure: elle s’attelle à l’écriture de son premier film, guidée dans cette voie par le réalisateur Lionel Baier. Le synopsis se base sur un fait divers qui a eu lieu à Yverdon il y a quelques années. «Vous vous souvenez du procès autour de ce chien qui avait mordu des gens à plusieurs reprises? L’événement avait embrasé toute la ville», explique-t-elle. Pour rappel, les autorités avaient préconisé l’euthanasie de l’animal en 2015, alors que les spécialistes débattaient depuis des mois sur sa dangerosité.
Que de projets pour cette année qui s’annonce trépidante! «Je ne sais pas me la couler douce», admet Laetitia Dosch. Et sa vie privée dans tout cela? «Célibataire, répond-elle, carpe diem. C’est un travail intéressant d’être en couple, mais souvent je peine à trouver ma pleine place à deux, alors je suis aussi très bien ainsi.» Ce qui lui manque davantage dans son quotidien, c’est le spectacle vivant: que ce soit l’euphorie d’être sur scène ou la découverte d’une pièce depuis la salle. Alors en attendant, elle se replonge dans l’écriture de son film. Dans le calme de la nature qui lui ressemble.