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Alpinisme

L'alpiniste Sophie Lavaud réalise un exploit: gravir les 14 sommets de plus de 8'000 mètres

Sophie Lavaud vient de réaliser un exploit: l'alpiniste de 55 ans est devenue la sixième femme au monde à avoir escaladé les 14 plus hauts sommets du monde. Il y a quelques semaines, la Franco-suisse se confiait dans les colonnes du magazine depuis un hôtel de Katmandou alors qu'elle préparait son ascension finale du Nanga Parbat, la «montagne tueuse»...

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Portrait de l'alpiniste Sophie Lavaud, la genevoise vient se ressourcer au bord du Lac Léman entre deux expéditions

Portrait de l'alpiniste Sophie Lavaud, la genevoise vient se ressourcer au bord du Lac Léman entre deux expéditions.

Patrick Gilliéron Lopreno/Coop

A son poignet droit, 13 bracelets colorés s’entremêlent. Un par 8000 conquis. A 55 ans, l’himalayiste Sophie Lavaud a, comme de nombreux montagnards, la confidence parcimonieuse. «J’ai toujours pris les sommets les uns après les autres, détaille-t-elle. Mon défi n’est pas encore fini, mais je suis contente d’en entrevoir le bout. Cette course aux 8000 aura représenté onze années de ma vie. C’est bien qu’il y ait une fin et cela ne me fait pas peur de me retrouver face à un autre genre de vide après... Je me dis que j’aurai enfin du temps pour rattraper ces années où je ne suis pas allée à la plage», sourit-elle avec humour.

Son surnom change chaque année ou presque. Depuis le 26 avril dernier et son succès au Shishapangma (8027 m), la Romande est connue sous le sobriquet «globish» et un peu marketing de «The 104 000 Lady». Ce 104 000 est le résultat de la multiplication 13 x 8000. Car l’alpiniste genevoise est désormais la première Suissesse à avoir escaladé 13 des 14 sommets de plus de 8000 mètres d’altitude que compte notre planète. Tous sont dans l’Himalaya. A ce jour, 46 «summiters» les ont tous escaladés, dont cinq femmes seulement (lire ci-dessous). «Intégrer ce cercle fermé sera évidemment un honneur, mais c’est la haute altitude qui m’attire surtout…»

Sophie en haut du Shishapangma

Le 26 avril, l’himalayiste genevoise Sophie Lavaud parvenait au sommet du Shishapangma (8027 m). C’était là son treizième 8000 sur les quatorze que compte notre planète!

Tenjin Sherpa Lama

Sur la trace d’Erhard Loretan


D’ici à la fin du mois de juin, la binationale franco-suisse pourrait bien devenir la sixième. Elle serait alors la seconde alpiniste suisse à y parvenir, derrière le regretté fribourgeois Erhard Loretan (1959-2011) – qui, lui, évoluait en style alpin et n’utilisait pas d’oxygène –, et même la première montagnarde de nationalité française, deux sexes confondus. Ce rêve la porte depuis onze ans, d’expédition en expédition. Un dernier sommet l’en sépare encore. Son nom? Le Nanga Parbat (8125 m). Soit littéralement la «montagne nue». 

L’an dernier, Sophie Lavaud s’y était frottée, mais la maladie l’avait obligée à renoncer alors qu’elle était déjà au camp 3. La Genevoise de Meinier espère surfer sur sa forme et sur son acclimatation pour réussir cette fois. Son récent succès au Shishapangma la porte à l’optimisme. «Je suis bien contente de l’avoir escaladé. C’était dur. Rarement j’avais connu un tel froid. Le matin, le thermomètre indiquait -15°C dans ma tente mais, avec les vents violents, le froid ressenti était plutôt du double…» nous explique l’himalayiste depuis son hôtel de Katmandou. Une poignée d’alpinistes seulement avaient pu obtenir le permis d’escalader le Shishapangma cette année, et elle était du lot.

Sophie Lavaud et Kristin Harila au sommet du Shishapangma

Sophie Lavaud était au sommet du Shishapangma en même temps que la Norvégienne Kristin Harila (à droite).

Tenjin Sherpa Lama

Une vie monacale


Sa quête implique une vie presque monacale, mais, pour elle, ce n’est à aucun moment un sacrifice. Plutôt une sorte de vocation. Sophie a quitté Genève au début du mois de mars, soit très tôt dans la saison. Après avoir bouclé son premier «marathon», celui qui consiste à trouver les sponsors qui financeront les 20 000 à 30 000 francs de l’expédition à venir et aussi à faire bouillir la marmite en enchaînant les conférences. Le tout bien sûr en alignant les entraînements à peau de phoque dans les Alpes suisses ou en salle d’escalade et de fitness. «Je suis contente de rentrer chaque année et contente de repartir quelques mois plus tard», s’étonne-t-elle presque. Et de constater, sans fausse modestie: «Je suis juste une Mme Tout-le-Monde qui s’est donné les moyens de réaliser son rêve.»

La Suissesse, qui connut le succès professionnel dans l’hôtellerie, le luxe et l’événementiel financier, s’est mise à l’alpinisme sur le tard par un de ces hasards qui n’en sont peut-être pas. Tout a commencé en 2004. Cette année-là, un pari avec un ami malade mène Sophie Lavaud jusqu’au sommet du Mont-Blanc, et elle aime ça. Une montagne en appelant une autre plus ambitieuse, la sportive enchaîne les 5000 et les 6000 dans les Andes. Puis, suivant sa «fascination pour la haute altitude», elle poursuit son destin jusque dans l’Himalaya. Coups d’essai, coup de maître en 2012 avec un époustouflant doublé sommet du Cho Oyu et antécime du Shishapangma.

Une ancienne danseuse


Gamine déjà, Sophie Lavaud avait forgé son mental de fer en pratiquant la danse classique à haut niveau de 6 à 18 ans. Ses étroites chaussures d’escalade lui rappellent d’ailleurs un peu ses pointes d’alors. Ses parents possédaient une résidence secondaire du côté de Chamonix, mais Sophie Lavaud et son frère n’y pratiquaient alors «que» la randonnée. «Je suis toujours étonnée de constater à quel point le mental peut pousser le corps bien au-delà de ce que nous croyons être nos limites», explique la Genevoise. 

Elle confesse aussi être «habitée d’une volonté de garder le contrôle». Cela se révèle précieux en montagne et l’émotion éprouvée au sommet constitue à chaque fois une jouissive exception. Peut-être est-ce même ce qui fait que tout cela est si addictif? «Une fois en haut, après des semaines d’efforts, c’est la joie et l’euphorie. On pleure, on s’enlace, on rit et on plane un peu à cause de l’hypoxie. Ces moments uniques et indescriptibles ne ressemblent à rien de ce que j’ai connu en bas… Mais il faut rester lucide et ne pas s’éterniser, car on n’est alors qu’à la moitié du chemin…»

Une expédition 100% féminine au Dhaulagiri en 2021

Lors d’une expédition 100% féminine au Dhaulagiri (8167 m) en 2021.

Dawa Sangay Sherpa

Leader et suiveuse à la fois


Pour Sophie Lavaud, les succès sont affaire d’équipe. Elle en a même tiré le concept qu’elle détaille lors de ses conférences en entreprise et que les montagnes lui ont enseigné: le «followership». «L’idée est que l’on parvient rarement à de grandes choses seul et que, dans une équipe, un suiveur est un rouage important, appelé par moments à endosser le rôle de chef et à permettre ainsi aux siens d’atteindre un objectif commun ou de grandir en compétences.» La quinquagénaire évolue depuis 2018 avec son ami Dawa Sangay Sherpa. Modestement, elle se voit donc aussi comme une suiveuse. Ses ascensions sont en bonne partie téléguidées par son météorologue, basé du côté de Chamonix. Une fois sur place, elle bénéficie aussi des efforts d’une «fixing team», ces sherpas aguerris qui installent des cordes fixes dans certains passages clés d’une ascension délicate.

La mort? Sophie Lavaud lui donne le moins de prise possible mais n’y pense pas trop. Au-dessus de 8000, dans la fameuse «zone de la mort», si pauvre en oxygène, l’embolie pulmonaire ou l’œdème cérébral rôdent… Et puis il y a les accidents. «Plus j’ai d’expérience et plus j’en ai peur, avoue la Genevoise. J’ai perdu tant d’amis et été témoin de tant de drames…» Sur l’Everest, la sportive a vu de ses yeux les fameux cadavres d’alpinistes, figés dans la glace et le temps car décédés là et impossibles à redescendre. Au K2, elle a même vécu de l’intérieur l’accident mortel d’un alpiniste japonais et d’un autre québécois.

Situé au Pakistan, le Nanga Parbat est le neuvième plus haut sommet du monde mais surtout l’un des plus dangereux. A tel point que la cordée allemande qui en fit la première ascension en 1953 l’avait surnommé «la montagne tueuse». Sophie Lavaud le sait mais avance vers son destin sans hésitation.  

>> Plus d'informations sur www.sophielavaud.com

Par Laurent Grabet publié le 12 juin 2023 - 09:53, modifié 26 juin 2023 - 10:53