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«L’avion peut être plus écologique que le train»

Jean-Marc Thévenaz est pilote et patron d’EasyJet Suisse. Sa compagnie vient d’affirmer, via une campagne publicitaire, qu’elle allait compenser les émissions carbone de chacun de ses vols. Gadget marketing ou véritable prise de conscience écologique? Interview.

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Magali Girardin

- Prendre l’avion est devenu pour certains un acte honteux. Avez-vous observé une baisse de clientèle depuis le mouvement en faveur du climat
- Jean-Marc Thévenaz: Non, cela ne se traduit pas dans les faits. Il faut dire aussi que depuis Genève, mis à part le TGV pour Paris, il n’y a pas beaucoup d’alternatives. Il y a aujourd’hui une prise de conscience nécessaire face aux menaces climatiques, mais on ne résoudra rien en culpabilisant les usagers de l’avion.

- Votre publicité vantant les compensations carbone qu’EasyJet appliquera désormais sur chaque vol n’est-elle qu’un gadget marketing, comme l’a qualifiée un haut responsable du WWF?
- Non. Un kilo de CO2 dépensé est compensé à parts égales par un projet écologique comme, par exemple, la pose de panneaux solaires en Afrique pour chauffer l’eau, la seule façon de la rendre potable, sans utiliser du charbon. Certes, nous sommes orientés vers les technologies du futur, avions électriques, moteurs hybrides, mais il faudra attendre 2050 avant l’apparition d’un avion totalement décarboné. Plusieurs étapes technologiques se mettront en place avant. L’ennemi numéro un de l’avion, c’est le poids. On n’a pas aujourd’hui la capacité de construire des batteries avec la puissance et l’autonomie nécessaires. La seule façon d’être efficace dès maintenant, c’est de neutraliser notre production de carbone. Nous mettons aussi en place des procédures pour économiser l’énergie, comme rouler au départ sur un seul moteur au sol.

- L’accord Corsia voulu par les Nations unies prévoit une baisse généralisée des émissions de CO2 pour 90% des compagnies aériennes en 2020. Votre publicité ne fait au fond qu’anticiper de quelques mois quelque chose que tout le monde va faire.
- Nous serons dans cet accord Corsia, comme nous sommes déjà dans son équivalent européen, ETS. Mais c’est un système où un quota est imposé et si vous le dépassez, vous devez acheter des autorisations d’émettre, qui se négocient comme en bourse. Le principe du pollueur-payeur. Un système qui n’incite pas forcément à produire moins. Le seul avantage de Corsia, c’est qu’il est global. La différence avec notre projet de compensation carbone, c’est que nous avons une maîtrise directe sur tous les projets que nous finançons. Ce qui n’est pas le cas avec de tels accords, puisqu’on ne sait pas comment ces millions sont utilisés. Chez EasyJet, sur 560 millions de profit, 32,5 millions sont destinés à la compensation carbone.

- Vous choisiriez toujours d’être pilote si vous aviez 16 ans en 2020?
- Oui. On a tendance à culpabiliser ce transport, mais je ne crois pas que Genève connaîtrait la même renommée sans l’aviation. Vous ne pouvez pas abriter toutes les institutions internationales sans un aéroport et des avions. Quant aux mesures nécessaires à prendre pour sauver la planète, elles auront besoin des avions pour se concrétiser, pour l’information ou pour l’acheminement de matériel. On ne va pas revenir à la charrette et aux chevaux.

- Peut-on encore valider écologiquement le fait de partir à Londres faire du shopping en ne payant que 60 francs? D’ailleurs, comment faites-vous pour gagner de l’argent avec un prix aussi bas?
- Avec 100 millions de passagers et un peu plus de 6 milliards de chiffre d’affaires, oui, c’est possible de gagner de l’argent. Quant à savoir si nos prix sont trop bas, c’est au client d’en décider.

- Que répondez-vous aux jeunes militants pour le climat qui prennent désormais le train, comme leur idole Greta Thunberg?
- J’ai eu l’occasion de parler avec de jeunes Valaisans qui venaient de rentrer d’un voyage de cinquante-deux heures en train pour aller lui apporter une lettre en Suède. «Vous êtes libres de choisir votre moyen de transport, leur ai-je dit, mais il faut savoir que vous avez traversé toute l’Allemagne avec un train dont l’électricité provient du charbon et que vous avez pris deux ferrys dont la consommation de carburant est énorme. Votre empreinte carbone a été plus élevée que si vous aviez volé une heure et demie en avion.»

- Une taxe sur les billets d’avion et les carburants pourrait voir le jour, notamment avec la vague verte au parlement. Vous la craignez?
- A un niveau suisse, elle générerait toute une économie de contournement. La compagnie ira faire son plein à Amsterdam, le voyageur partira de Lyon ou de Mulhouse plutôt que de Genève ou Zurich. Nous sommes dans un système globalisé, toute initiative ponctuelle dans un rayon aussi petit que le nôtre n’a pas de raison de fonctionner. Vouloir se donner une bonne conscience en faisant quelque chose au niveau local seulement, ça ne marche pas!

- Vous la défendriez sur un plan international?
- Ce serait en tout cas la seule solution pour éviter cette économie de contournement. Après se pose la question de ce qu’on va faire avec cette taxe. N’oublions pas que si on n’a pas taxé le fuel au sortir de la guerre, c’était parce que la reconstruction du monde passait par l’aviation. Aujourd’hui, la priorité n’est pas de reconstruire mais de protéger la qualité de l’atmosphère. Alors une taxe globale sur les carburants, pourquoi pas?

- Il ne reste déjà que 35% des glaciers que vous survolez. Ne devrait-on pas mettre la priorité sur le climat, avant même l’économie ou la politique?
- Il faut respecter un certain équilibre. Si on se dit que la seule chose qui compte, c’est d’économiser le CO2 et qu’on se fiche de savoir si les gens peuvent encore payer leur loyer ou leur assurance maladie, on ira dans le mur. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé avec la taxe sur le carburant et les «gilets jaunes» en France. Il faut une transition écologique, mais les gens doivent pouvoir en supporter le coût sans que la pilule soit trop dure à avaler.


Les 5 repères de Jean-Marc Thévenaz

1. Ma famille. Ma femme, Ariane, et mes trois enfants, Maeva (bientôt 22 ans), Noah (19 ans) et Eléa (8 ans et demi), sont essentiels pour mon équilibre.

2. Mon bateau. J’adore être sur le lac Léman, j’adore naviguer. Lorsque je lâche les amarres, je laisse les soucis sur le quai. Ce sont des moments uniques pour se ressourcer. Aérien ou maritime, on y retrouve des sensations identiques. Naviguer, c’est piloter en deux dimensions.

3. Les voyages. Ils ont toujours fait partie de mon ADN. Et je prends presque autant de plaisir à les planifier qu’à les vivre.

4. La montagne et le ski. Toute la famille fait du ski, en hiver ce sont des moments uniques pour se retrouver. L’idée n’est pas juste de skier, mais aussi de profiter de moments conviviaux pour boire et manger entre amis.

5. Le sport. Il a dicté toute une partie de ma jeunesse. Sa pratique est devenue plus sporadique avec l’âge, mais le plaisir reste intact. Et j’adore être spectateur (je suis un fervent supporter du Genève-Servette Hockey Club).


Par Baumann Patrick publié le 23 décembre 2019 - 09:53, modifié 18 janvier 2021 - 21:07