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Le blob, ce super-héros

Découvrez les incroyables pouvoirs du blob, cet organisme unicellulaire qui se régénère quand il dort.

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Le blob

Une cellule. Il peut apprendre même sans neurones, double de volume chaque jour et déteste la lumière. Voici «Physarum polycephalum», l’espèce notamment vendue sur internet. Dans la nature, on le trouve entre l’écorce et le tronc d’un arbre, voire dans un bac à compost.

Audrey Dussutour / CNRS

Il fascine le monde scientifique mais aussi de plus en plus de blobologues qui se sont pris de passion pour ce drôle d’organisme unicellulaire à noyau que l’on pourrait comparer à une omelette molle, masse spongieuse jaune et visqueuse qui va même être envoyée dans l’espace puisque Thomas Pesquet va procéder à des expériences sur quatre blobs dans la station spatiale ISS.

>> Lire aussi notre article: «Les sciences numériques étudient comment le blob transmet une info»

Mais de quoi parle-t-on au juste? D’une curiosité biologique baptisée myxomycètes, ni animal, ni plante, apparue il y a 500 millions d’années mais longtemps ignorée des chercheurs, qui l’avaient classée par erreur chez les champignons. Une bévue explicable, car, comme eux, le blob a des spores et des fructifications, mais il a beau n’avoir qu’une cellule, il a un sexe, ou plutôt 720, pour être précis, et il en existe un millier d’espèces. La plus commune et la plus facile à «élever» à la maison étant Physarum polycephalum.

Le blob

Cet incroyable organisme unicellulaire a été l’objet d’une exposition au Parc zoologique de Paris. Il se déplace jusqu’à 4 cm par heure, cicatrice en deux minutes et peut fusionner avec un autre blob.

Stéphane de Sakutin /AFP / Getty Images

Imaginez que vous êtes un blob. Eh bien, cela vous permettrait de cicatriser en moins de deux minutes, de vous régénérer complètement pendant votre sommeil, de vous diviser en plusieurs individus viables si on vous tronçonnait (à partir d’un seul organisme de 10 cm2, on obtient avec un scalpel 10 000 blobs de 1 mm2) ou, à l’inverse, de fusionner avec d’autres congénères à qui vous pourriez même transmettre vos connaissances. De quoi nous rendre babas devant un blob, qui peut également supporter des températures de –80 à +60°C, les vibrations d’un décollage de fusée, être plongé dans de la javel quelques secondes ou placé au micro-onde sans y perdre sa précieuse vie.

«Oui, le blob est quasi immortel, confirme Audrey Dussutour, chercheuse au CNRS de Toulouse et spécialiste mondiale du blob, mais seulement quand il dort, sinon il est extrêmement fragile.» Ce qui passionne depuis des années cette éthologue à l’accent chantant du Sud-Ouest, ce sont les prodigieux comportements du blob, capable de se diriger dans un labyrinthe, comme l’ont démontré les travaux du chercheur japonais Toshiyuki Nakagaki. Qui a aussi découvert que le blob bat les spécialistes du trafic ferroviaire quand il s’agit de trouver le meilleur itinéraire entre plusieurs villes. Il ne voit rien, mais il dépose du mucus sur son trajet, comme le font les fourmis avec les phéromones, ce qui lui sert de mémoire externe.

«C’est un peu le nouveau Tamagochi», s’amuse la chercheuse, qui souligne qu’au Japon le blob fait partie de la culture populaire, l’empereur Hiro Hito, qui en était un grand amateur, a baptisé plusieurs espèces. Elle-même ne compte pas son temps pour faire connaître sur sa chaîne YouTube ou sa page Facebook astuces et techniques pour trouver des blobs, les conserver, les reconnaître. Une vraie passionnée, qui ramène les plus fragiles chez elle!

Dr Audrey Dussutour

32 ans. C’est l’âge du blob testé par Audrey Dussutour dans son labo du CNRS à Toulouse. S’il adore les flocons d’avoine, le blob choisi pour aller dans l’espace n’a pas montré un goût manifeste pour l’alcool.

VILLA David

C’est d’ailleurs Audrey Dussutour qui lui a donné ce petit nom, clin d’œil au film «The Blob» de 1958 avec Steve McQueen, dans lequel une masse molle venue d’une météorite dévore tout sur son passage. C’est que le blob est glouton: dans la nature, il mange des champignons et d’autres organismes, mais, en «captivité», il adore les flocons d’avoine. Bien nourri, il double de volume tous les jours. Et, surtout, il bouge, même si cela ne se voit pas à l’œil nu: il se déplace de 2 à 4 cm par heure grâce à un réseau de vaisseaux qui se contractent, dans lequel passe un liquide qui lui sert de sang. Audrey Dussutour a également découvert, en lui faisant franchir des ponts imprégnés de sel, qu’il déteste, qu’il était capable de passer outre son aversion et de transmettre ses connaissances à ses congénères avec lesquels il fusionne.

Comment est-ce possible? «On a sous-estimé ces organismes. Dans dix ans, je suis sûre qu’on s’accordera à dire que les cellules peuvent apprendre!»

Le blob

32 ans. C’est l’âge du blob testé par Audrey Dussutour dans son labo du CNRS à Toulouse. S’il adore les flocons d’avoine, le blob choisi pour aller dans l’espace n’a pas montré un goût manifeste pour l’alcool.

Jack Barr / Alamy Stock Photo

La chercheuse ne cache pas son exaltation pour l’opération menée conjointement avec l’astronaute Thomas Pesquet. Début septembre, les classes qui participeront à cette expérience mêlant science et éducation recevront un kit comprenant entre trois et cinq blobs ainsi que du papier-filtre. Dans l’espace, on testera le comportement d’un blob face à la privation de nourriture et la capacité d’un autre à optimiser son trajet pour la trouver.

La docteure en science a baptisé avec humour Blobi-Wan Kenobi le blob en quatre morceaux qui va partir rejoindre l’astronaute français le 1er août prochain sur le Cygnus NG-16, le cargo qui ravitaille tous les deux ou trois mois la station spatiale. C’est elle qui l’a «entraîné» pour supporter le choc du départ. Même endormi. Ce qui explique pourquoi on lui a fait boire de l’alcool pendant six mois pour tester sa résistance (non, il n’a pas développé d’addiction). «Son génome a été séquencé, car on devait tout connaître de lui pour faire valider son départ par l’Agence spatiale européenne. Il vient d’un croisement opéré par un labo allemand. C’est le blob le plus résistant du monde et qui vieillit le moins vite, poursuit la Française. Il se déplace sur un papier humide et, dès que le papier sèche, il le détecte et se met en dormance.»

Il faut le savoir: le blob dort une grande partie de sa vie. Si on part en vacances, il suffit de le mettre en dormance et le tour est joué! «On en a réveillé un qui dormait depuis trente ans, on a failli le jeter, car il a mis une semaine à se réveiller!» confie la chercheuse. Qui nous apprend encore que les blobs ont même des personnalités différentes. L’australien est plus lent que l’américain, mais plus social, car signalant volontiers son stress ou son état de satiété. Il existe bien sûr des blobs européens dans nos forêts, seule la morphologie des spores renseigne sur leurs origines, mais les blobs qui s’échangent sur les réseaux sociaux ou se vendent sur eBay (rarement plus de 40 francs) proviennent de deux individus de souche australienne et américaine coupés des milliers de fois en labo et commercialisés à des fins pédagogiques.

Blobi-Wan Kenobi

Blobi-Wan Kenobi. C’est le blob le plus résistant du monde et qui vieillit le moins vite, choisi pour rejoindre Thomas Pesquet sur l’ISS le 1er août prochain. 

DR

On s’étonne, au vu de ses facultés incroyables, que la recherche appliquée n’ait pas encore percé à jour les secrets de jeunesse du blob pour créer un élixir de jouvence. On endort un blob vieilli, on se retrouve à son réveil avec un bébé, ce qui peut expliquer l’intérêt de certains labos cosmétiques, qui ont déjà demandé à la chercheuse toulousaine des échantillons de ses protégés. Oui, mais pour l’heure, la biologie moléculaire est face à un problème. «Son génome a été séquencé en 2015, mais il n’a pas été assemblé, ni annoté, c’est comme un puzzle géant de 5000 pièces qui seraient toutes noires», confie encore Audrey Dussutour. Ce qui explique le fait que, actuellement, seuls les éthologues qui étudient le comportement animal s’y soient vraiment intéressés. «Mais il va très certainement être séquencé avec de nouveaux outils, ajoute la scientifique, et, une fois qu’on pourra lire son génome, on va évidemment découvrir des choses très intéressantes!»

>> Le livre: «Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander» d’Audrey Dussutour existe en poche.

Par Patrick Baumann publié le 13 mai 2021 - 08:49