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Reportage

Le dernier voyage du président

«L’illustré» a suivi le dernier voyage présidentiel d’Alain Berset, qui tire sa révérence à la fin de l’année. D’Abu Dhabi à Oman, en passant par la COP 28 à Dubaï, récit d’un marathon de quatre jours.

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Le dernier voyage d'Alain Berset: ici avec sa femme Muriel Zeender Berset dans la grande mosquée du sultan Qabus

Jeudi 30 novembre, à Mascate, capitale d’Oman, le président de la Confédération suisse et sa femme, Muriel Zeender Berset, ont déambulé pieds nus dans la grande mosquée du sultan Qabus, inaugurée en 2001.

Julie de Tribolet

A peine est-il monté dans l’avion de la Confédération, encore posé sur le tarmac de Belp, qu’Alain Berset troque l’habit de conseiller fédéral – chemise blanche et veston à la coupe impeccable – pour une chemise bleu marine qu’il laisse déboutonnée. A bord de ce Falcon 900 de 14 places, acheté d’occasion pour 35 millions d’euros en 2013 auprès du prince Albert II de Monaco, celui qui a annoncé sa démission après trois législatures affiche une mine détendue. L’heure est à la fête – son chef de la communication, Christian Favre, célèbre son anniversaire – et le ministre socialiste en profite pour trinquer avec son épouse Muriel Zeender Berset, sa garde rapprochée et quelques membres de la délégation helvétique qui l’accompagnent dans ce dernier voyage présidentiel. 

Sourire aux lèvres, le Fribourgeois dit n’éprouver aucune nostalgie à l’idée de se retirer de l’arène politique à 51 ans seulement. «Pourquoi aurais-je des regrets? J’ai tout donné et accompli tout ce que j’avais à faire. J’estime avoir été privilégié durant ces vingt ans de politique fédérale. Avec notamment la présidence du Conseil des Etats en 2019, douze ans au Conseil fédéral, dont deux présidences de la Confédération en 2018 et 2023. Vous savez, poursuit-il, je suis entré au Conseil fédéral à 39 ans. Dès lors, il était clair pour moi qu’il y aurait un début et une fin, que celle-ci arriverait dans un délai de huit à douze ans. Et qu’il y aurait quelque chose après», dit-il en rejoignant son équipe à l’avant de l’appareil quelques heures avant que celui-ci ne se pose à Abu Dhabi, aux Emirats arabes unis.

Le dernier voyage d'Alain Berset: ici en direction d'Abu Dhabi

De Berne à Abu Dhabi, l’ambiance est joyeuse à bord de l’avion présidentiel. On fête l’anniversaire de Christian Favre, chef de la communication d’Alain Berset. A g.: l’ambassadrice Maya Tissafi, de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord. De dos: Nora Kroning, responsable de la division Affaires internationales, vice-directrice de l’OFSP et ambassadrice. A dr.: Natalie Kohli, conseillère diplomatique.

Julie de Tribolet

Visite d’Etat à Oman


Après cette (très courte) escale nocturne, direction le sud de la péninsule Arabique pour une visite présidentielle – la première à Oman pour un président suisse – marquant le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays. Alain Berset a revêtu son costume d’homme d’Etat et l’ambiance à bord du Falcon 900 est autrement plus studieuse que la veille. Air concentré, visage fermé, petites lunettes rectangulaires posées sur le nez, le président suisse surligne les notes préparées par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Natalie Kohli, sa conseillère diplomatique, le briefe une dernière fois sur les subtilités du protocole omanais, et le voilà prêt à fouler le tapis rouge déroulé sur le tarmac de Mascate, la capitale du sultanat, malgré un bouton de chemise revêche qui a bien failli jouer les trouble-fêtes.

Le président de la Confédération Alain Berset en voyage à Oman lors de son dernier voyage présidentiel

Le président de la Confédération suisse est reçu en grande pompe à Mascate pour cette visite d’Etat, la première réalisée par un président suisse à Oman.

Julie de Tribolet

A Oman, le sultan Haïtham ben Tariq, 68 ans, a mis les petits plats dans les grands. Routes fermées à la circulation pour laisser le convoi de Mercedes rouler à vive allure jusqu’au palais royal Al Alam, haie d’honneur composée d’une quarantaine de cavaliers de la Garde royale, hymne national entonné par les musiciens de la garde dans l’enceinte du palais, suivi de 21 coups de canon et visite de la grande mosquée du sultan Qabus – le précédent monarque décédé après cinquante ans de règne - dans laquelle on peut observer le plus grand chandelier du monde, entièrement serti d’or 24 carats, et déambuler pieds nus sur un tapis de 60 mètres sur 70, entièrement tissé à la main. Rien n’est trop beau pour accueillir «Son Excellence le Dr Alain Berset», selon la formule du protocole royal omanais, qui participera également à un événement diplomatique sur la paix, Oman partageant avec la Suisse une politique étrangère basée sur la promotion de la paix et du dialogue. 

En soirée, retour au palais royal pour le banquet d’Etat, organisé dans un décor fastueux. Dans l’immense salle de réception où sont suspendus des lustres en cristal Swarovski, des musiciens, dissimulés par des moucharabiehs, jouent en continu. Les plats raffinés, aux influences omanaises mais aussi afghanes et iraniennes se succèdent à un rythme soutenu, le tout servi à table par des autochtones formés dans certaines écoles hôtelières suisses. La dégustation ne peut commencer que lorsque le sultan donne discrètement le signal. 

Que pense le ministre socialiste de ce décorum? «Vous savez, je suis à l’aise un peu partout. Je m’adapte aux environnements. Que ce soit dans un banquet d’Etat, un apéritif avec la population ou encore une grande conférence multilatérale. On ne peut pas faire de politique sans aimer le contact humain et sans aimer les gens. Avec le sultan, nous avons évoqué des questions institutionnelles et personnelles, ce genre de rencontre permet de mettre de l’humanité et de l’épaisseur dans le contact.»

Le dernier voyage d'Alain Berset: ici arrivée chez le Sultan d'Oman

Au palais royal de Mascate, Alain Berset est reçu par le sultan Haïtham ben Tariq.

Julie de Tribolet

D’Oman à la COP 28


Jeudi matin. Changement de décor. A la quiétude et au raffinement omanais succède le bling-bling de Dubaï, aux Emirats arabes unis. C’est dans cette ville, hérissée d’une forêt de gratte-ciels tape-à-l’œil et symbole de tant d’excès climatisés que se tient la 28e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 28). Un événement présidé par le controversé sultan Al-Jaber, le ministre de l’Industrie émirati et PDG de la compagnie pétrolière nationale (ADNOC). C’est à lui que reviendra la tâche de mener à bien les négociations entre les quelque 200 pays représentés. De quoi faire hausser le sourcil noir d’Alain Berset? «Je comprends les réserves sur le choix du lieu, la taille de l’événement, etc. Mais pour celles et ceux qui critiquent ces rencontres, il y a deux options. Soit on propose une alternative. Mais laquelle? Soit il n’y a plus de rencontre. Et ça, ce serait une catastrophe.» Il poursuit: «Nous venons de vivre les deux années les plus chaudes de notre histoire. La COP 28 n’est pas le seul instrument de lutte contre le dérèglement climatique mais c’est un moment où on doit pouvoir coordonner la réponse à un niveau global», répond-il juste avant de se rendre à l’Expo City de Dubaï où sont attendus plus de 80 000 participants – un record – et plus de 170 chefs d’Etat.

Durant ces trente-six heures de grand-messe annuelle du climat, dire que le programme du président de la Confédération est chargé serait un euphémisme. Il trottine d’une rencontre à une autre: deux bilatérales d’une quinzaine de minutes d’abord avec António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, puis Narendra Modi, le premier ministre indien. Il enchaîne ensuite avec le lancement du club climat du G7, marquant ainsi l’adhésion de la Suisse à ce club initié par le chancelier allemand Olaf Scholz. Ensuite il participe à une table ronde sur le financement de la lutte contre le dérèglement climatique. Il faut filer droit lorsque Alain Berset se déplace dans les allées glaciales d’Expo City Dubaï avec un ouvreur pour lui indiquer les directions et, à sa suite, des collaborateurs aux pas pressés. Et lorsque les choses ne vont pas à son rythme, l’ancien champion romand junior du 800 mètres allonge la foulée. 

Le dernier voyage d'Alain Berset: ici à la COP 28

Le programme a été chargé pour Alain Berset lors de cette COP 28. Rencontres bilatérales, discours face à ses homologues du monde entier, participation au lancement du club climat du G7 et prise de parole lors de tables rondes.

Julie de Tribolet

Retrouvailles avec «Emmanuel»
 

Dans l’espace VIP où l’homme d’Etat suisse, entouré de son chef de la communication et de sa conseillère diplomatique, apporte les dernières touches au discours qu’il s’apprête à prononcer face à ses homologues du monde entier, se pressent les grands de ce monde. Sur notre droite, assis sur un canapé beige, Rishi Sunak, le premier ministre du Royaume-Uni, en grande conversation avec Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Un peu plus loin, Tony Blair, l’ancien dirigeant travailliste britannique, affiche le sourire des grands jours. Plus tard, on verra Charles Michel, président du Conseil européen, réajuster sa chaussette, John Kerry, envoyé spécial du président des Etats-Unis pour le climat, traverser le salon de sa démarche chaloupée ou encore Bill Gates poursuivi par une nuée de photographes.

Mais retour aux affaires. Alain Berset monte sur l’estrade pour un plaidoyer en faveur du climat. «C’est le dernier moment pour agir, le dernier moment si nous voulons vraiment pouvoir remplir notre objectif de limiter le réchauffement mondial à 1,5°C, annonce-t-il, toujours à l’aise dans cet exercice oratoire. Pourtant, on a presque l’impression qu’une certaine fatalité s’installe, avec l’impression que tout le monde n’y croit plus vraiment. Et ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle.» Et de promettre, de la part de la Suisse, quelque 170 millions de francs en faveur des pays les plus touchés par le changement climatique.

>> Lire aussi: Une 28e bouffée de CO2

Le lendemain matin, après avoir participé à deux tables rondes de haut niveau, le chef du Département fédéral de l’intérieur (DFI) effectue un dernier tour de piste dans le salon VIP à la recherche – sans succès – du président brésilien Lula «pour régler un dernier point». C’est finalement sur son «ami Emmanuel» Macron qu’il va tomber. Bises chaleureuses, le président français ne lâche pas la main du futur retraité de la politique fédérale. «Tu me tiens au courant. Vraiment. Prends soin de toi», lui glisse-t-il.

Le dernier voyage d'Alain Berset: ici au COP 28 avec Emmanuel Macron

Juste avant de quitter la COP 28, Alain Berset croise son ami Emmanuel Macron.

Julie de Tribolet

«La pandémie, un moment d’une extrême brutalité»
 

Dans la voiture qui roule jusqu’à Abu Dhabi, dernière étape de ce marathon présidentiel, on revient avec le ministre de la Santé sur ses douze années passées au Conseil fédéral, forcément marquées par la gestion de crise du Covid-19. «Une crise qui touche tout le monde, dans l’ensemble du pays, de manière immédiate et directe durant deux ans, je crois que ça ne s’était plus vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela s’est traduit par une pression constante, avec le poids des responsabilités sur mes épaules. Un moment d’une extrême brutalité où des menaces ont été proférées à l’encontre de ma famille.» Le conseiller fédéral se souvient de deux moments où il a pensé s’arrêter. Il a alors réuni son équipe et, ensemble, ils ont trouvé une solution pour qu’il puisse continuer. «J’ai de la chance d’avoir une équipe très engagée, extrêmement compétente. Honnêtement, c’était tellement dur et brutal. Sans mes huit ans d’expérience à la tête de ce département, j’aurais coulé.»

A quelques semaines de tirer sa révérence, le Fribourgeois ne ressent-il aucune appréhension à l’idée de ne plus avoir un agenda rempli du matin au soir? «C’est possible que ce soit plus dur que je ne l’imagine. Forcément, le changement de rythme sera brutal. Je trouve toutefois intéressant de pouvoir presque m’observer un peu de l’extérieur. Je l’envisage comme une nouvelle expérimentation.» Ce qui va le plus lui manquer? «Mon équipe, évidemment, et la stimulation intellectuelle. La superposition de sujets et d’éléments différents, qu’on doit gérer simultanément, avec un degré de complexité assez élevé.» Un prérequis pour sa prochaine fonction? Il sourit.«Je vais certainement rechercher des choses qui permettent d’alimenter cette soif de défis intellectuels.» Il n’en dira pas plus sur ses futurs projets. Ah, si. Il a acheté une nouvelle paire de skis.

Par Alessia Barbezat publié le 13 décembre 2023 - 09:17