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Euro féminin 2022

Le football féminin suisse enfin reconnu? Trois Romandes racontent le chemin parcouru

Pour disputer l’Eurofoot féminin qui débute le 6 juillet en Angleterre, les internationales Gaëlle Thalmann, Sandy Maendly et Sandrine Mauron ont dû avoir du caractère. Elles racontent leur lutte contre les préjugés et leurs victoires.

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Die Schweizer Nationalspielerinnen vlnr. Sandrine Mauron , Gaëlle Thalmann und Sandy Maendly , aufgenommen am 14. Juni 2022 in Pfäffikon. © Michele Limina

La gardienne fribourgeoise Gaëlle Thalmann (assise), la Vaudoise Sandrine Mauron (à g.) et la Genevoise Sandy Maendly dans leur hôtel de Pfäffikon (SZ). Angleterre, voilà les Romandes!

MICHELE LIMINA
Marc David

Le quatre-étoiles est du genre cossu, paresseusement posé au bord du lac de Zurich. C’est là que l’équipe suisse féminine de football s’est préparée pendant des semaines avant de gagner l’Angleterre pour y jouer l’Eurofoot. En observant le staff helvétique aux petits soins et la flotte de bus brillants parqués devant l’hôtel, on est forcé d’avoir une pensée pour les pionnières du football féminin, ces femmes qui se sont longtemps heurtées aux barrières de l’intolérance.

On songe à Linda Vialatte, joueuse et fondatrice passionnée du Lausanne-Sport féminin et du FC Yverdon Féminin en 1985, qui raconte volontiers ce qu’était une footballeuse dans les années 1970. Inimaginable de jouer avec les garçons, par exemple: c’était interdit. «J’étais pourtant aussi douée que Bruno, mon frère, qui a fait une carrière. Il y a encore quelques années, nous pouvions nous retrouver dans un village pour un anniversaire et avoir l’impression de débarquer sur la planète Mars. Nous nous en fichions un peu. Pour qu’une fille choisisse de faire du foot, il faut qu’elle ait du caractère.»

Du caractère, les sélectionnées romandes Gaëlle Thalmann, Sandy Maendly et Sandrine Mauron en possèdent des corbeilles pleines. Elles ont toutes roulé leur bosse à travers la Suisse et l’Europe. Mues chacune par la conviction depuis l’enfance qu’elles aimaient profondément ce ballon qu’on tente de dompter, que l’on soit né fille ou garçon.

L’aînée, la gardienne bourlingueuse Gaëlle Thalmann, 36 ans, a joué dans trois grands championnats européens, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. Une anecdote d’enfance la décrit. Elle avait 8 ou 9 ans quand on a distribué des inscriptions pour l’école de football dans sa bourgade de Bulle. Comme elle jouait tout le temps avec ses copains à la récréation, elle a voulu en prendre une. Mais le professeur lui a répondu: «C’est pour le football, pas pour les filles.» Elle est rentrée fâchée à la maison et, comme son père venait de reprendre une équipe, elle n’a plus jamais lâché les crampons. «Pourquoi aurais-je arrêté? Je rêvais comme mes copains de l’Inter et de Manchester.»

A 14 ans, alors que le règlement ne l’autorisait plus à jouer avec les garçons, elle a intégré une équipe de femmes adultes. Elle a alors découvert qu’il existait des clubs, une équipe nationale. Elle est aujourd’hui la doyenne de celle-ci, avec dans la besace 96 sélections et la participation à de grands événements comme la Coupe du monde en 2015 et l’Eurofoot en 2017. En cours de route, elle en a entendu, des remarques qui cinglent, notamment lors de ses cinq ans passés en Italie, de Torres à Sassuolo. Des questions comme: «Vous jouez sur le même terrain que les hommes? Vous avez des buts plus petits?» Elle en sourit, goûte à l’instant: «Participer à un tournoi comme l’Eurofoot, cela reste exceptionnel dans une carrière.»

Gaëlle Thalmann

La gardienne Gaëlle Thalmann en rage pendant le méchant 7-0 encaissé le 24 juin en match de préparation face à l’Allemagne.

HENDRIK SCHMIDT

A ses côtés, Sandy Maendly, 34 ans, ne peut qu’acquiescer. Cette Genevoise n’imaginait pas, enfant, que sa vie allait tourner autour d’un ballon. Même si son père et son frère étaient des footballeurs, elle n’a commencé qu’à 10 ans avec les garçons, à Grand-Lancy puis à Bernex: «Le foot féminin n’était pas très répandu, on était un peu vues comme des bêtes de foire. Je pense que les petites filles qui commencent à jouer aujourd’hui rencontrent une réaction différente de celle que j’ai pu avoir. Rien que parce qu’on ne s’étonne plus qu’elles jouent au foot.»

Dans sa carrière, les étapes vers le sommet se sont enchaînées avec naturel: «Même quand je suis partie aux Young Boys, ce n’était pas forcément pour aller plus haut. Puis des opportunités se sont présentées. J’adorais tellement le foot.» Sacrée footballeuse suisse de l’année en 2021, elle prendra sa retraite après l’Eurofoot. «Je ne m’en rends pas encore compte, on verra au dernier match.» Elle se réjouit de tout ce qui a changé: «Quand j’ai commencé, on en était encore aux vieux clichés, la joueuse de foot masculine, à cheveux courts, avec un peu trop de poids. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Des joueuses font parler d’elles par leur beauté. On peut rester très femme tout en jouant au foot.» Avec Gaëlle, elle a vécu le passage d’un statut de pure amatrice à celui de semi-professionnelle, puis professionnelle.

Sandy Maendly

Sandy Maendly en septembre 2021, face à la Moldavie. Enfant, elle n’aurait jamais pensé devenir footballeuse professionnelle.

ALEX NICODIM

Les deux anciennes regardent la troisième Romande en mesurant le chemin parcouru. Sandrine Mauron, 25 ans, a dix ans de moins qu’elles, une éternité dans cette discipline. Après être passée par Grandson, le Team Vaud, Yverdon et trois saisons à Francfort, elle vient de signer à Servette Chênois. S’avoue reconnaissante: «Heureusement qu’il y a eu des joueuses avant moi qui ont préparé un parcours comme le mien. Grâce à elles, tout était bien organisé quand je suis arrivée: le centre de formation à Huttwil (BE), où Ramona Bachmann fut la première et moi dans celles qui ont suivi, puis celui de Bienne...» Une joueuse comme Lia Wälti était son idole. Sandrine se souvient d’être allée la voir jouer, lui avoir fait signer des autographes. «En dehors des terrains, tout a beaucoup évolué pour nous: la préparation physique, la récupération, la nutrition...» Alors qu’à l’époque, l’entraîneur se chargeait d’à peu près tout, même le «sorcier des chaussures» de l’équipe nationale masculine, le Romand Jean-Benoît Schüpbach, est aujourd’hui présent avec ses tournevis et son épatant savoir-faire.

Sandrine Mauron

Sandrine Mauron en septembre 2021, lors d’un match de qualification pour la Coupe du monde face à la Moldavie. Revenue en Suisse, elle prévoit de travailler à mi-temps.

ALEX NICODIM

Avec un récent record d’affluence pour un match féminin (91 000 personnes en avril pour Barcelone-Wolfsburg), des événements médiatiques comme la Coupe du monde en France en 2019 – même en l’absence de la Suisse – ou la nouvelle formule de la Ligue des champions ont contribué à installer l’image des footballeuses, amoureuses du jeu, acharnées, peu tentées par les simulations à la Neymar. «Chez nous, si une fille reste à terre, c’est presque toujours qu’elle a vraiment mal», confirme Sandrine Mauron.

Bien que le jeu aille plus vite et que les stades se remplissent parfois, le côté financier demeure à des années-lumière des hommes. Si Xhaka ou Shaqiri arrivent à leur hôtel en Porsche ou équivalent, Sandy Maendly et Sandrine Mauron sont venues en train, tranquilles. «On se débrouille. Je ne les envie pas forcément, avec leurs grosses voitures, sourit Sandy. Aucune internationale suisse ne gagne bien sûr ce que perçoit le moins payé des joueurs de l’équipe masculine.»

Cela bouge pourtant, un tressaillement plutôt qu’un séisme. Fin juin, une conférence de presse organisée par le staff suisse a annoncé la parité des primes versées par la banque qui sponsorise l’équipe. On est encore loin des salaires égaux, même si de puissants exemples viennent d’ailleurs. Après la Norvège, pionnière en la matière, les championnes du monde américaines ont été jusqu’à traîner leur fédération devant les tribunaux pour gagner davantage. Celle-ci a dû céder, elle s’est engagée à verser un salaire à taux égal pour les équipes nationales féminine et masculine. L’Irlande, le Brésil, les Pays-Bas, l’Australie, le Danemark et la Nouvelle-Zélande sont au même tarif. Mais Ramona Bachmann n’est pas la star américaine Megan Rapinoe, tout avance plus lentement en Suisse. Sandy Maendly se contente de constater: «On doit arriver en tout cas à semi-professionnaliser la ligue. Avoir des filles qui travaillent à 100% n’est plus possible.» Elle-même s’est offert le luxe d’être pro pour sa dernière saison, après avoir travaillé à plein temps auparavant, pour se «projeter sur un futur». Sandrine Mauron prévoit de travailler à côté du football, sans doute à mi-temps.

football féminin

En avril 2021, la Suisse bat la République tchèque et se qualifie pour l’Eurofoot. Alisha Lehmann (No 23) et les autres joueuses se ruent vers la gardienne Thalmann, héroïne des tirs au but.

Alessandro della Valle

Ce sera après les beautés de l’Eurofoot dans la patrie du football, l’Angleterre. Qualifiée in extremis, la Suisse jouera presque tout sur son premier match contre le Portugal, car les deux autres équipes de son groupe sont des ténors. «Je pense qu’on utilise du mieux possible le peu de joueuses qu’on a», glisse Sandy Maendly, quelques jours avant de faire sept heures de train pour encaisser sept buts en Allemagne, le 24 juin. Qu’importe: elles vont jouer ces trois matchs devant la Suisse entière, alors que les hommes sont à la plage ou en matchs amicaux. Avant de se retrouver sur le quai d’une gare pour rentrer chez elles, comme toujours.

Les matchs de la Suisse à l’Eurofoot:
9.7 (18 h, à Leigh): Suisse-Portugal;
13.7 (18 h, à Sheffield): Suisse-Suède;
17.7 (18 h, à Sheffield): Suisse-Pays-Bas.

Football

Gaëlle Thalmann, témoin privilégié de l’évolution du football féminin

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A 36 ans, la gardienne Gaëlle Thalmann s’apprête à disputer l’Euro féminin de football 2022 avec la Suisse. Professionnelle depuis 2003, la Bulloise (Fribourg) d’origine a joué dans quatre championnats européens. Dans cette interview, elle revient sur la percée du football chez les femmes dans toute l’Europe et reconnaît que la Suisse reste une ligue de formation. Laetitia Béraud
Par Marc David publié le 6 juillet 2022 - 07:23