1. Home
  2. Actu
  3. Le paléontologue Steve Brusatte: «Les dinosaures ne sont pas vieux!»

Sciences naturelles

Le paléontologue Steve Brusatte: «Les dinosaures ne sont pas vieux!»

Le paléontologue américain Steve Brusatte est devenu le spécialiste des dinosaures que tout le monde consulte. Son best-seller, traduit désormais en français, est un chef-d’œuvre de vulgarisation qui plonge ses lecteurs dans la vie sur Terre il y a 240 millions d’années jusqu’à l’astéroïde dévastateur. Rencontre.

Partager

Conserver

Partager cet article

dinosaure

Steve Brusatte, 37 ans, enseigne à l’Université d’Edimbourg. Mais le cinéma (la série de films «Jurassic Park») et la télévision (la BBC et Netflix) font souvent appel à son expertise. Le paléontologue vedette pose devant la réplique du seul fossile complet de dinosaure jamais retrouvé en Suisse: le platéosaure de Frick (AG), au Musée d’histoire naturelle de Lausanne.

GABRIEL MONNET

Depuis des décennies, les dinosaures sont traités comme de vulgaires Pokémon: on les répertorie grossièrement pour les distribuer dans des catégories régressives (gentils, méchants, grands, petits, carnivores, herbivores, etc.). Il en résulte un futile jeu de cartes, une stérile galerie des monstres, avec ses vedettes et ses outsiders. Le livre de Steve Brusatte, «Le triomphe et la chute des dinosaures», est donc une bénédiction: il réussit l’exploit de mettre en perspective les 170 millions d’années d’évolution de ces sauropsides, depuis leurs ancêtres jusqu’à leurs derniers représentants, comme le fameux tyrannosaure rex. La lecture de ce chef-d’œuvre de vulgarisation permet donc d’englober ce long et fabuleux chapitre de la vie sur Terre dans toute la complexité de ses différents chapitres. Elle permet aussi de découvrir intimement le minutieux travail d’enquête que mènent les paléontologues pour établir l’origine de ces créatures, dont les premiers représentants avaient la taille d’un chat, et pour mieux comprendre leur essor, qui les hissera longtemps au sommet du règne animal.

- Une des nombreuses qualités de votre livre, c’est justement qu’il ne parle pas que des dinosaures, mais des autres lignées animales qu’ils ont côtoyées, des climats successifs, de la transformation de la géographie terrestre due à la dérive des continents.
- Steve Brusatte: Je ne suis pas qu’un spécialiste des dinosaures. Je me passionne en fait surtout pour l’évolution, donc pour tous les grands groupes d’espèces de cette très longue époque, comme les crocodiles et les mammifères. Et pour étudier une période aussi longue, il faut en effet prendre en compte de nombreux paramètres, afin de restituer au plus près possible de la réalité les conditions de vie très différentes des époques successives.

- Votre livre bat en brèche de nombreux clichés sur les dinosaures. Lesquels vous irritent le plus?
- Je déteste d’abord le cliché qui les présente comme de gros lézards. C’est un cliché erroné. Ce serait juste en revanche de présenter les dinosaures comme de grands oiseaux. Beaucoup de dinosaures avaient d’ailleurs des plumes, des ailes, des teintes multicolores. Et puis, les oiseaux sont en fait des dinosaures. L’autre cliché qui m’agace beaucoup, c’est de parler des dinosaures comme s’il s’agissait de créatures primitives. Bien sûr, cela fait 65 millions d’années qu’ils ont presque tous disparu, mais quand ils peuplaient la Terre, ils avaient leur propre vie, leur propre complexité, leur propre capacité d’adaptation. Ils chassaient, ils se nourrissaient, ils vivaient en groupes, comme des animaux sauvages actuels. Au fond, les dinosaures ne sont pas vieux! Et, je le répète, ils existent aujourd’hui encore avec les oiseaux, leurs seuls descendants actuels.

- On mesure aussi à la lecture de votre livre l’effarante diversité des dinosaures, une diversité qui a été mise en évidence relativement récemment.
- Oui, c’est un ensemble de créatures beaucoup plus vaste que le petit groupe de dinosaures vedettes qui a longtemps monopolisé le devant de la scène. Cette diversité, fruit de l’évolution, est parfaitement logique en regard de la durée de cette période. Jusqu’à présent, nous avons découvert plus de 1500 espèces. Mais il en a existé des centaines de milliers, voire des millions. On en découvre d’ailleurs chaque semaine de nouveaux. Cet élargissement permanent du catalogue est d’ailleurs un des aspects les plus motivants de notre travail. Nous complétons sans cesse nos connaissances.

- Vous êtes un partisan inconditionnel de l’explication la plus largement admise de l’extinction des dinosaures: c’est bien l’impact d’un énorme astéroïde qui aurait signé la fin de leur règne?
- Oui, les autres théories ne me semblent pas pertinentes même s’il est très sain, en science, que le débat reste ouvert. Pour moi, cette fin brutale est très particulière: ce fut la pire journée de l’histoire de la vie pluricellulaire sur Terre, la pire journée de ces cinq cents derniers millions d’années. D’après les modèles mathématiques, l’impact d’un bloc de roche d’au moins 10 km percutant la Terre à environ 100 000 km/h à l’endroit qui est aujourd’hui la péninsule du Yucatán, cet impact a littéralement fait onduler la surface du globe, la transformant en trampoline géant. L’énergie dégagée par la collision est estimée à plus d’un milliard de bombes atomiques d’Hiroshima. Sans cet événement, les dinosaures auraient poursuivi leur domination du règne animal, tandis que les mammifères seraient restés peut-être jusqu’à aujourd’hui des créatures de la taille d’une souris.

dinosaure

«Un paléontologue doit rester humble: il est impossible de tout comprendre sur ces millions d’années de préhistoire à partir des fossiles»

GABRIEL MONNET

- En étant plongé grâce à vous dans ce travail de bénédictin qu’est la paléontologie, dans ces milliers de comparaisons minutieuses de fossiles qui affinent sans cesse l’arbre généalogique des espèces disparues, on se dit décidément que la vie terrestre est une saga sans chef d’orchestre, que le hasard et la nécessité sont les seuls maîtres du jeu.
- L’univers est structuré par des lois physiques, comme la gravité et l’entropie, qui sont immuables. L’évolution répond elle aussi à des règles biologiques imparables et désormais bien connues. Nous n’avons donc pas besoin de théories métaphysiques ou spirituelles pour mieux comprendre l’univers et l’évolution de la vie sur Terre. Le seul espace disponible, à mon avis, pour le concept d’un Créateur se concentre sur l’origine de la vie. Cela nous reporte donc bien avant l’époque des dinosaures. Le démarrage de la vie demeure encore un mystère scientifique. Et cela permet donc de conserver une certaine ouverture d’esprit.

>> Lire aussi: «Les fossiles, des œuvres d’art sculptées par la nature»

- Avec votre niveau très élevé de connaissances, vous sentez-vous capable d’imaginer avec une très grande pertinence une journée standard sur Terre d’il y a 200 ou 100 millions d’années?
- Non, je ne pense pas que mon imagination soit suffisante pour rendre justice aux dinosaures. Ce monde est trop loin dans le temps, trop différent du nôtre pour se prêter à une reconstitution mentale qui puisse prétendre à l’exactitude. Mon imagination est nourrie par les fossiles que nous trouvons. Et ces fossiles nous disent quelles espèces se trouvaient à tel endroit, à telle période. Ils nous disent s’ils étaient carnivores ou herbivores, bipèdes ou quadrupèdes, quelle était leur taille, voire leur couleur. C’est déjà beaucoup d’informations. Mais il reste presque impossible de savoir comment les dinosaures interagissaient entre eux, comment ils contrôlaient leur territoire, comment ils appréhendaient leur environnement. Je m’efforce personnellement de respecter les fossiles en évitant de leur faire dire plus que ce qu’ils ne peuvent nous dire. Un paléontologue doit rester humble: il est impossible de tout comprendre sur ces millions d’années à partir des fossiles.

- Donc vous admettez que certaines questions qui restent ouvertes, comme celle de la suprématie des dinosaures, n’auront sans doute jamais de réponse?
- L’obsession consistant à vouloir reconstituer à l’identique ces périodes lointaines, je la considère comme du gaspillage de temps et d’énergie. Il vaut beaucoup mieux prendre acte de ce qui est d’ores et déjà certain, par exemple la majesté de ces animaux, une majesté qui ne souffre d’aucune discussion. Face à un squelette de tyrannosaure rex dans un musée, vous êtes forcément rempli de respect pour cet animal de la taille d’un autobus et doté d’un crâne grand comme une baignoire. Les dinosaures sont une formidable source d’inspiration. Ils nous font réfléchir à nos propres origines, à notre monde. C’est pour cela que les enfants aiment ces animaux et que les gens adorent les films les mettant en scène.

«Le triomphe et la chute des dinosaures, la nouvelle histoire d’un monde oublié», Ed. Quanto, 356 p., 24 fr. 50.

Par Philippe Clot publié le 9 décembre 2021 - 08:43