Depuis que Madonna a posté sur Instagram une vidéo de sa soirée à Gstaad, le 7 janvier dernier, Ernest Marmet, son épouse Heidi et leur fils Beat sont désignés comme des yodleurs par la presse internationale. La séquence a fait le tour du monde. Elle montre la famille bernoise à son domicile de Saanen avec la Ciccone, 63 ans, ses six enfants et son amant, le danseur de 27 ans Ahlamalik Williams. Ce soir-là, les hôtes ont eu droit à une démonstration de youtze et à un onctueux sorbet arrosé d’abricotine.
Depuis plus de dix ans, un lien très fort s’est tissé entre le paysan de montagne et l’icône pop aux 335 millions d’albums vendus. Elle aime l’authenticité de cet homme qui la connecte à sa vie d’avant. La chanteuse a prévenu Ernest: «Ce soir, tu fais le «sound check», je débarque chez toi.» Le sexagénaire est modeste: «Moi, je chante faux comme le diable! Ma femme, elle, est déjà passée à la télé.» La star américaine ne jure que par celui qui, avant de vocaliser, est avant tout son prof de ski attitré. D’une discrétion proverbiale, il ne prononce jamais son nom. «Je l’appelle M.» Au Landhaus, son stamm à Saanen, devant un pastis qui marque la fin de sa journée et sans même avoir pris le temps d’ôter sa veste de ski bleu ciel, Ernest évoque ses VIP, ses montagnes et sa vie.
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«Au dos de ma combinaison est inscrit «Ski Lehrer» (prof de ski, ndlr). M n’aime pas ça. Quand je skie avec elle, j’en mets une noire histoire de passer inaperçu. Mais on nous repère assez vite.» Il y a une douzaine d’années, Madonna n’avait encore jamais chaussé les lattes. Pour enseigner le ski à des célébrités, il faut une patience à toute épreuve.
«J’ai commencé avec le couturier Valentino. Il avait épuisé huit moniteurs.» Entre deux sautes d’humeur, les malheureux valsaient. Marmet a tenu bon. «J’ai sorti un peu de ma diplomatie, mais je ne me suis jamais laissé bouffer. Je l’ai eu pendant dix-huit ans.» Dans l’entourage jet-set du styliste, il a notamment fait godiller Claudia Schiffer. «Un jour, Valentino m’a glissé: «J’ai une cliente très importante, mais tu devras signer un «confidential agreement». Marmet bougonne: «C’est quoi ce bordel, là?» Un beau matin, un pli lui parvient par la poste. Ce n’est qu’en parcourant les documents – «Une pile de feuilles haute comme ça», dit-il – qu’il découvre le nom de sa cliente mystère: Madonna. «J’ai paraphé et j’ai appelé Valentino en Italie: «Je dirai que je n’ai rien signé. Je tiens à ma liberté!»
Il est comme ça, Ernest Marmet, d’une seule pièce. Sa poignée de main calleuse est généreuse. «Mon père était moniteur, il emmenait les Givaudan. Cette belle clientèle me faisait rêver. Le ski, c’est toute ma vie, j’ai commencé à 2 ans. Depuis 1985, je fais le plus beau métier du monde. Les personnalités, j’aime les extraire de la «high society», leur faire découvrir la nature, les montagnes et la beauté de la région de Gstaad-Saanenland.»
Star ou pas, c’est le même tarif pour tout le monde: «430 francs la journée.» Il débute à Noël et termine à Pâques, ne compte ni ses jours ni ses heures. Ernest fonctionne à la confiance. Il en faut pour embarquer tout seul l’interprète de «Like a Virgin». «Une fois, M est venue avec un garde du corps. J’ai dit: «Je donne à qui les cours, à toi ou à lui? Autant rester à la maison!» Je ne l’ai plus jamais revu.»
Le tandem Madonna-Marmet, deux fortes têtes, s’entend à merveille. En 2016, faute de trouver où se loger à Gstaad, elle a jeté son dévolu sur Verbier. «Je l’ai prévenue: «Les pistes sont raides, je viens avec toi.» Cette année-là, on a évité la catastrophe lorsqu’une touriste italienne l’a percuté de plein fouet. «J’en ai encore mal à la hanche. Je n’avais plus de skis, plus de gants, plus rien. Je voyais M, derrière elle, brandir son bâton: «It’s my teacher!» (Il rit.) J’ai dû apaiser les esprits.»
Difficile de passer inaperçu avec Madonna Louise Ciccone. «Quand on a commencé à skier à Wispile, tout le monde la photographiait.» Dès le lendemain, les images de la chanteuse en position chasse-neige s’étalaient à la une des journaux. Marmet a pris les devants. «Ici, tout le monde te connaît, alors on monte à l’Eggli.» On a pris la benne. Là-haut, elle était à l’abri des regards.» Les paparazzis, il les repère vite. «Quand ils me suivent en voiture avec des plaques anglaises, je les sème facilement. Une fois, ils m’ont filé toute la journée. J’ai dit à M: «Je fais quoi?» Elle m’a répondu: «Laisse-les faire leur job…»
C’est qu’elle ne se cache pas vraiment. Cette année, la Madone a débarqué avec 17 personnes. En plus de la famille et des amis, un staff documente ses faits et gestes et ceux de sa tribu. Est-elle vraiment aussi extravagante et lascive dans la vie que sur les réseaux sociaux? Marmet a vite fait la différence entre la vitrine destinée aux 17,4 millions de followers et sa cliente. «Je connais la vraie personne. Elle est simple, très sympa, toujours enjouée. Le matin, lorsque je viens la chercher, elle chante dans ma voiture: «It’s a beautiful day. Let’s go!» Pétri de bon sens paysan, Marmet dit: «Moi, je donne la main et je la reçois.»
Chauffeur privé, homme de confiance, ce véritable couteau suisse veille en permanence. Cette année, Madonna lorgnait du côté de Megève, car contrairement à ce que colporte la rumeur, elle n’a pas acheté de pied-à-terre à Gstaad. «J’ai dit: «Là-bas, en France, il y a trop de monde…» Comme j’étais à l’étranger, mon fils a tout organisé.» Une famille a mis son chalet à disposition de la Queen of Pop et de sa troupe. Si Ernest Marmet fait skier Madonna, Beat, l’un de ses trois enfants, moniteur lui aussi, s’occupe des plus petits. «Il a fallu faire des casiers avec le nom de chacun (on les aperçoit dans une vidéo postée par Madonna, ndlr). Le matin, une partie de l’équipe partait skier avec le matériel des autres, c’était le cirque. Le casque, les lunettes de ski de M, tout ça reste chez moi, à la maison.»
L’aînée de Madonna, Lourdes, 25 ans, est venue avec son petit ami, Jonathan Puglia. Comme son cadet Rocco, 21 ans, ou Ahlamalik Williams, elle pratique le snowboard. Les quatre autres enfants de la star, adoptés au Malawi, ne sont pas en reste. «David, je l’ai connu tout petit, dit Marmet. C’est devenu un beau et grand jeune homme de 16 ans. Mercy a le même âge et il y a les jumelles, Esther et Stella. Elles font des progrès inouïs en ski alpin.» Un jour, Ernest a dit à Madonna: «Tes enfants (il met son poing sur sa poitrine, ému) sont tellement polis et bien élevés, ça fait plaisir.» Cette remarque l’a beaucoup touchée.»
Le matin, il apporte le pain frais vers 10 heures. «On part skier et on rentre avec la dernière benne de 17 heures. M, elle, pourrait continuer. Elle a une condition physique impressionnante. C’est une danseuse.» Une battante, aussi. Madonna n’a pas peur du temps qui passe. «Après une semaine seulement, elle skiait partout. On dévalait les pistes noires entre Widemanette et Rougemont. Elle a une volonté de fer et sort par tous les temps.» La superstar n’était pas revenue depuis cinq ans.
Après un accident sur sa tournée Madame X, elle a eu recours à la chirurgie: une arthroplastie de la hanche et une opération du genou qu’elle révélait à ses fans en 2020. «Elle est encore un peu raide. Il faut une coordination pour faire un virage: préparer bas, monter, planter le bâton, tourner. Je lui dis de ne pas prendre de risques, de se laisser tomber, ce qu’elle fait en se couchant sur le côté.» Un jour, Ernest a voulu corriger son style. «Ecoute, M, j’aimerais faire de toi une skieuse.» La réponse a fusé: «Elle n’a rien voulu savoir. Elle veut skier, point. Elle peut être très dure, moi aussi. On se parle franchement.»
Si elle goûte au luxe qu’offre Gstaad, comme le spa du Grand Bellevue visité le 5 janvier, Madonna aime se connecter à la nature. «Je connais les coins où il y a des chamois. Les bouquetins sont plus rares, dit Marmet. Je lui ai fait goûter ma liqueur de gentiane. Je la cueille à 1800 m. Je hache la racine, je la fais macérer et je la distille.» Il ne rate jamais une occasion de faire découvrir ses traditions. Le 31 décembre 2012, alors que Madonna réveillonnait chez Valentino, il est arrivé avec sept copains. «On a sonné les cloches à minuit. J’ai une collection de sonnailles. J’ai commencé gamin avec mon grand-père.»
Il y a dix ans, à la fin de son séjour, elle l’a invité à Zurich assister à son concert afin de le remercier. Il en a encore des étoiles dans les yeux: «On a dîné avec elle et mon fils au Dolder avant de voir le show en VIP.» Vice-président de l’organisation du village de Saanen, Marmet sait l’importance de la présence d’une personnalité de cette envergure pour le rayonnement de sa région. «Elle est venue six fois. Notre but, c’est aussi que les gens reviennent», dit-il. Dans les années 1970, bien avant elle, Liz Taylor avait fait la réputation de la station.
Avant qu’elle ne reparte, Ernest Marmet a suggéré à la reine incontestée du showbiz de venir en juillet-août. A la belle saison, il change de casquette. «Mon père faisait du commerce de bétail. J’ai toujours aidé à la paysannerie. J’ai fait mon apprentissage de fromager à Moudon et j’en ai fabriqué au col des Mosses.» Chauffeur d’autocar jusqu’en 2010, il est désormais couvreur chez Max Brand, un de ses copains d’armée. «En 1995, j’ai aussi acheté un peu de montagne à Rougemont. On a 19 génisses en location pendant quatre mois. J’ai dit à M: «Viens une fois là-haut en été.» Rocco, son fils, a tout de suite montré son intérêt.» Elle devra se plier aux conditions spartiates. «Notre chalet d’alpage n’a ni eau chaude ni télé. On se lave dans un baquet, comme autrefois. Je n’ai que deux panneaux solaires pour l’électricité.» Madonna reviendra dans son paradis blanc. En repartant, elle a laissé un message nostalgique: «Adieu Gstaad. Nous n’oublierons jamais tes montagnes ni ton clair de lune.»