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«Le Théâtre du Jura, ce ne sera pas Netflix, mais un lieu de dialogue»

Formé notamment auprès du dramaturge et directeur du Festival d'Avignon Olivier Py, après de hautes études à Neuchâtel, passé par le Théâtre de Carouge, Robert Sandoz, 46 ans, dirige le nouveau Théâtre du Jura, inauguré cette semaine à Delémont. Echange à bâtons rompus.

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Théâtre du Jura

Le vendredi 8 octobre prochain, le Théâtre du Jura, à Delémont, sera officiellement inauguré avec à sa tête le metteur en scène et comédien Robert Sandoz. Un grand moment pour le canton du Jura. 

Piere Montavon

- Si l’on vous demande de vous présenter en quelques mots?
- Robert Sandoz: (Long silence.) Tempérant. Issu d’un milieu d’ouvriers. Boiteux. Un peu de père inconnu. Epanoui en amour et en famille.

- Où avez-vous grandi?
- A La Chaux-de-Fonds. J’ai très peu quitté les Montagnes neuchâteloises avant 18 ans.

- Vous définiriez-vous comme un chef d’équipe?
- Je crois, oui. Un jour, quelqu’un m’a envoyé une lettre à propos d’une de mes mises en scène qu’il ne trouvait pas très bonne. «Ton seul talent, écrivait-il, c’est de réunir les bonnes personnes.» Je l’ai reçu comme un immense compliment.

- Avez-vous été flatté d’être choisi comme premier directeur du nouveau Théâtre du Jura (TdJ)?
- Je ne suis pas allé me saouler la gueule, vu que je ne bois pas d’alcool, mais j’étais hyper-heureux. Un peu surpris aussi. Dans tout mon parcours, il y a toujours eu une petite part de hasard.

- Diriger un nouveau théâtre, c’est la chance d’une vie, dites-vous…
- Oui, parce qu’il ne s’en ouvre qu’un tous les vingt ans en Suisse romande! Celui-là est sans doute l’un des derniers. Ouvrir un théâtre a une immense portée symbolique. On dit souvent que le Jura est une exception. C’est vrai. Privé de salles de théâtre, ce canton a développé une multitude de centres culturels, de troupes amateurs, etc. Tout cela a constitué un terreau d’une fertilité folle. Et là, dans cet équilibre fait d’envies, de bricolage, d’artisanat, on installe un très bel outil.

- Le 9 décembre 2015, le parlement cantonal votait la création du TdJ avec un score soviétique (60 députés: 58 oui, 1 non, le président ne vote pas, ndlr). Un tel plébiscite, ça interroge forcément, non?
- Le chiffre m’importe moins que ce qui le motive. On peut y voir plusieurs choses. Les jours où je suis optimiste, j’y vois le résultat d’un travail opéré sur toute une région, où rares sont les gens qui n’ont pas fait de théâtre à l’école. Ils en comprennent l’utilité. De plus, ils ont tous côtoyé quelqu’un qui s’est un jour démené pour aménager une scène dans une grange. Le manque était criant.

Théâtre du Jura

«Personne ne peut décemment exiger d’une start-up qu’elle soit rentable dès la première année», déclare Robert Sandoz, directeur du Théâtre du Jura.

Piere Montavon

- Combien de députés ont soutenu le projet pour avoir un théâtre «comme les autres cantons»?
- J’ai rencontré les partis politiques avant le vote. Il y avait adhésion au projet. Si ces gens existent, j’espère donc qu’ils sont très minoritaires. Ailleurs, il m’est arrivé d’être le témoin de ce genre de choses, avec des aventures théâtrales où il fallait «faire comme». Là, à aucun moment on ne m’a demandé de «faire comme», mais bien de «faire pour». Pour la région. Seule l’indifférence pourrait m’effrayer. Je me méfie toujours des croyants non pratiquants. Ces gens qui répètent que la culture nous différencie des barbares, qu’on n’est rien sans elle, avant de prétendre qu’ils n’ont pas le temps de lire!

- Ce nouveau théâtre, vous l’avez imaginé pour qui?
- Pour tout le monde. J’aime bien le terme «généraliste», que je préfère à celui de «populaire», dont on ne sait plus très bien ce qu’il signifie. Vous savez, il m’arrive de croiser des gens qui me demandent: «Faudra bien s’habiller pour venir au théâtre?» On part aussi de là.

- Le festival du Chant du Gros, au Noirmont, s’est installé dans la durée en misant d’abord sur la chanson française. Comment faire en sorte que le Théâtre du Jura soit attrayant tout en restant diversifié?
- On se retrouve tous face à un immense défi de curiosité. Prenez Netflix, c’est super. Le problème, c’est que Netflix ne me propose que ce que j’aime déjà. Idem pour Facebook, YouTube, Pinterest. Mes trois filles, qui ont 11 ans, ne regardent que ce qu’elles choisissent. Ce n’est pas leur temps d’écran qui me préoccupe, mais bien leur curiosité que ces plateformes malmènent.

- L’un des rôles du TdJ sera donc d’attiser la curiosité des Jurassiens?
- Oui. Le Théâtre du Jura, ce n’est en aucun cas Netflix. Il ne peut se comporter comme tel. C’est un dialogue, dans le sens philosophique, qui fait évoluer. Il faut accompagner.

- Comment amène-t-on un public majoritairement néophyte vers des spectacles exigeants?
- Les spectacles pointus n’oublient pas d’être ludiques, croyez-moi. C’est très actuel. Les créateurs trouvent des astuces.

- Vous avez un exemple en tête?
- Bien sûr. Prenons la danseuse contemporaine Eugénie Rebetez, qui proposera à la mi-novembre Ha, Ha, Ha, un spectacle pour enfants autour du rire. Ça parle à tout le monde. En plus, elle est Jurassienne! Alors oui, c’est de la danse contemporaine, mais avec plusieurs clés d’entrée. Autre exemple: la musique classique. J’avoue me méfier de ceux qui pensent que le classique exige une initiation. Les gens ne sont pas insensibles. Le 22 décembre, nous présenterons La croisière du Navigator, un film de Buster Keaton, accompagné par un orchestre symphonique.

- La programmation a-t-elle été compliquée à mettre au point?
- Oui. Le problème n’a pas été de trouver les bons spectacles, mais de faire un tout cohérent, qui ressemble à ce que je promeus et aussi à ce que je pense que le public du Jura est susceptible de vouloir. Encore une fois, c’est un dialogue, que je bouscule un peu, parfois.

- L’idée de créer des passerelles culturelles, avec le voisin bâlois ou la France, revient régulièrement dans le Jura. Pourtant, ça ne prend pas. La récente annonce de la disparition du festival Conte & Compagnies l’a encore démontré. Au fond, cet espoir n’est-il pas vain?
- A la base, mon travail d’artiste consiste souvent à embrasser des causes vaines. Depuis que je fais du théâtre, si j’avais renoncé chaque fois qu’on m’a dit que c’était impossible, je n’aurais pas avancé. Dans certains corps de métier, on doit être constamment dans le possible. Pas chez les artistes, dont je pense précisément que l’une des tâches consiste à renverser les doutes.

- C’est important pour vous qu’il y ait de la création jurassienne?
- Bien sûr. Je le répète souvent à mon équipe. Je refuse qu’on ait une charte. La nôtre sera en évolution. Le but premier du TdJ sera d’attirer les gens, d’enlever tout obstacle entre public et programmation. En parallèle, on mettra tout en œuvre pour aider les artistes à faire de bons spectacles et les accompagner.

- D’innombrables Jurassien(ne)s en exil travaillent à la RTS et dans les théâtres romands. L’une des singularités du Jura réside dans cet essaimage. Le TdJ marque-t-il la fin d’une époque?
- Il ne s’agit ni de garder les gens enfermés, ni de les faire revenir. Fondamentalement, l’artiste est nomade. Il apprend en voyageant. C’est une certitude. Mais pour l’avoir vécu moi-même, je sais combien c’est précieux d’avoir un camp de base. Cela vous renforce. Selon moi, le TdJ doit autant rayonner à l’extérieur du canton qu’à l’intérieur, à petite échelle.

- Un budget de fonctionnement subventionné à hauteur de 1,5 million de francs par le canton, cela représente beaucoup d’argent à l’échelle du Jura et de ses 70 000 habitants. Cela vous met-il la pression?
- Oui, j’ai conscience que c’est un immense privilège, qu’on doit faire attention à cet argent, qui est d’ailleurs soumis à conditions, mais la première année est forcément particulière.

- S’agissant des prélocations et des ventes d’abonnements, vous êtes rassuré?
- Pas complètement. Franchement, ça marche plutôt bien, avec quelques surprises. On a vendu beaucoup plus d’abonnements généraux – qui sont pourtant les plus chers – que je ne l’avais imaginé. A l’inverse, l’abonnement Régio réservé aux seuls spectacles jurassiens n’a pas décollé.

- On aurait pu espérer une première saison à guichets fermés, non?
- Ce n’est pas le cas. Je n’aimerais pas donner le sentiment que notre première année se bouclera fatalement par un déficit, parce que je n’en sais rien. Je demande juste qu’on accorde au TdJ la même patience qu’aux autres. De nombreux chantiers coûtent beaucoup plus cher que prévu. Certaines structures, sportives ou de loisirs par exemple, accumulent des centaines de milliers de francs de déficit chaque année. Personne ne peut décemment exiger d’une start-up qu’elle soit rentable dès la première année. Nous travaillons à avoir des comptes équilibrés.

Inauguration officielle du Théâtre du Jura, rte de Bâle 10 à Delémont, vendredi 8 octobre 2021. Journées portes ouvertes (certificat covid obligatoire): samedi 9 et dimanche 10 octobre dès 10 heures. Renseignements: 032 566 55 50 et sur le site www.theatre-du-jura.ch

Par Blaise Calame publié le 7 octobre 2021 - 08:55