Les bons vivants qui vont de Tour en Tour
Juste après le lac de Joux, dans une côte ensoleillée, ils étaient immanquables. Pub Cochonou, drapeau Cofidis, enseigne Le Gaulois, le «Team Fanet», comme ils se baptisent, accumulait tous les signes distinctifs des fans, les vrais. Ils étaient exactement 17 avec, au centre, la famille d’Aurélie et Stéphane Martin, que tout le monde n’appelle que Fanet. L’existence de ce fonctionnaire haut-savoyard est devenue un hymne aux supporters de vélo. «Au départ, il n’y avait que notre famille, puis plein d’amis se sont greffés. On a même des Colombiens ou une collaboratrice de la Migros. Là, je viens de faire le Giro, le Tour de Romandie, le Tour de Suisse et le Dauphiné. Je me souviens d’une année où on a attendu pendant six jours l’étape de l’Alpe d’Huez, en campant sur un parking. Six jours à faire la fête. Le Tour de France est énorme, rien à voir avec les autres courses.»
Tout a commencé il y a une dizaine d’années quand, avec ses enfants, il est tombé sur une bande de gars du Nord, qui allaient de Tour en Tour. «Cela m’a donné envie. Ensuite, plus vous mettez de décor sur votre emplacement, plus vous recevez de cadeaux des marques.» Il donne de lui-même. Il a son stock de boîtes de peinture, son mégaphone pour interpeller les gens de la caravane, qui le reconnaissent et lui répondent. Une année, il a construit une 2 CV Cochonou en bois, taille réelle, puis une limousine. «Grâce à cela, on a parfois eu des douches de saucissons. Cela devient un peu n’importe quoi, je reconnais.»
Les caravaniers qui aiment les paysages
Paisibles devant leur caravane, placée à l’orée des bois au haut de la côte de Pétra Felix (VD), Suzanne Kolly et Patrick Farjon, de Promasens (FR), ont toute la patience du monde. Ils se sont installés là le 8 juillet, la veille du passage des coureurs. Ont commencé par sympathiser avec leurs voisins, puis déplié leur drapeau suisse. «On a déjà suivi le Tour en France, mais c’est la première fois qu’on le fait en Suisse. On est venus pour l’ambiance.» Ils ont toujours adoré voir les paysages à la télévision: «Une année, on est allé au Puy-en-Velay juste parce qu’on avait découvert ce lieu lors d’une étape télévisée du Tour.»
Passionné de photo animalière, il s’est mis au VTT à la retraite. Les noms des coureurs? Ils auraient de la peine à les réciter, «à part Indurain, que j’aimais beaucoup», sourit la dame. Une année, ils ont secouru un pauvre policier français qui était resté huit heures en plein soleil, avec interdiction de recevoir à boire et à manger. «Là, on a compris ce que voulait dire graisser la patte d’un gendarme», plaisantent-ils, ravis de ces moments entre parenthèses.
Les voisins lausannois n’allaient pas manquer pareille occasion
La casserole pleine de poulet cuisiné à la portugaise fume encore. Normal: la joyeuse troupe de convives habite en face, au bout de l’avenue du Mont-Blanc, à Lausanne, de l’autre côté de la route où passe le Tour. «Tout notre immeuble est là, explique un membre de la famille Pereira, à chaque fois que quelque chose se passe, on sort les tables et on passe la journée ensemble. On n’allait pas rater un événement comme le Tour de France.» Au-dessus de la cantine improvisée installée devant les casernes de la Pontaise, les drapeaux suisse, irlandais et portugais témoignent d’un doux mélange. L’amitié les réunit.
Rien n’a changé depuis un siècle quand Albert Londres, envoyé spécial lors du Tour 1924 pour Le Petit Parisien, décrivait ainsi la ferveur populaire au départ de Paris: «Bientôt, la banlieue s’anima: les fenêtres étaient agrémentées de spectateurs en toilette de nuit, les carrefours grouillaient d’impatients, de vieilles dames, qui d’ordinaire doivent se coucher avec le soleil, attendaient devant leur porte, assises sur des chaises, et si je ne vis pas d’enfants à la mamelle, c’est certainement que la nuit me les cachait.»
>> Lire aussi: Les Romands, maîtres du temps au Tour de France