1. Home
  2. Actu
  3. Dans l’enfer des TOC: «J’ai cru que j’étais un alien»

Santé

Dans l’enfer des TOC: «J’ai cru que j’étais un alien»

Les troubles obsessionnels compulsifs sont une affection psychique méconnue, invalidante et difficilement curable. Témoignage de Zack qui souffre de TOC invisibles.

Partager

Conserver

Partager cet article

file7c50lzxusxt4y9nkimu
2 à 3%. La prévalence du TOC dans la population suisse, ce qui la classe en quatrième position des maladies psychiatriques. Les formes infantiles sont fréquentes. Zack, 14 ans, a accepté de raconter sa souffrance. F.BUSSON

On s’est tous livré, gamin, à ce petit jeu: si j’arrive à l’école sans marcher sur une seule ligne du trottoir, j’aurai une bonne note à mon dernier contrôle, ou Isabelle tombera amoureuse de moi, ou il y aura du poulet-frites à la cantine… Ces pensées magiques appartiennent au délicieux monde de l’enfance. Mais lorsque c’est un adulte qui décide un beau jour de ne plus sortir de chez lui parce qu’il est persuadé que s’il marche sur une de ces lignes, il tombera gravement malade, on parle alors de TOC, trois lettres qui sont l’abréviation de «trouble obsessionnel compulsif».

Et, contrairement à ce que l’on pense souvent, être affligé d’un TOC ne se résume pas à adopter des comportements bizarres prêtant à sourire. Dans sa forme sévère, ce trouble psychologique, qui plonge ses victimes dans des souffrances insondables, s’avère extrêmement invalidant. Jusqu’à, parfois, détruire des vies entières. Car les perspectives de guérison demeurent, encore aujourd’hui, très aléatoires.

1. C’est quoi un TOC?
Pour Guido Bondolfi, médecin-chef du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), «nous avons tous des obsessions, moi comme vous. Mais sans la fréquence, l’intensité et la récurrence de pensées obsédantes des personnes qui souffrent d’un TOC. Celles-ci sont sujettes de manière impromptue à des pensées intrusives souvent contraires à la morale ou pouvant entraîner des conséquences graves, ce qui provoque chez elles de l’anxiété. Elles sont alors obligées de mettre en place des dispositifs compulsifs pour faire diminuer cette anxiété: se laver les mains 50 fois par jour par crainte des microbes, retourner dix fois chez soi pour s’assurer qu’on a bien fermé la porte à clé, déserter tous les lieux publics de crainte d’agresser quelqu’un, etc.»

Ces troubles débutent fréquemment dans l’enfance

2. Existe-t-il différents types de TOC?
Pour le professeur Bondolfi, «la forme classique majoritaire, ce sont des personnes atteintes d’obsessions suivies de manifestations compulsives qui peuvent être observables (gestes, manœuvres de contrôle) ou de pensées compulsives (chanter une chanson dans sa tête, réciter une suite de nombres…). Dans de rares cas, les obsessions peuvent exister sans les compulsions, et l’inverse est vrai également. Enfin, d’autres pathologies, comme la trichotillomanie (arrachage compulsif de ses poils ou cheveux) ou la dermatillomanie (triturage de la peau), font également partie des TOC.»

3. Que sait-on des origines de ce trouble mental?
Il y a une composante héréditaire difficilement évaluable à la fois du TOC et du tic. Souvent, un événement stressant déclenchant creuse le sillon de l’affection. Et les hommes sont autant touchés que les femmes. A cet égard, recommande le professeur Bondolfi, «il faudrait améliorer les systèmes de dépistage précoce de la maladie. Car ces troubles débutent fréquemment dans l’enfance et ne sont souvent diagnostiqués qu’après une vingtaine d’années de souffrance alors qu’ils sont solidement implantés. Il faut sensibiliser pédiatres et pédopsychiatres à ce mal pour améliorer la prise en charge.»

4. Que se passe-t-il dans le cerveau d’une personne atteinte de TOC?
Grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, on sait un peu mieux aujourd’hui quelles sont les régions du cerveau affectées par les TOC. Lorsque l’on demande à un patient sous IRM d’activer une obsession, on constate une augmentation de l’activité des circuits qui relient les zones préfrontales de son cerveau avec les zones sous-corticales abritant les processus d’inhibition et de contrôle. Le sentiment de danger et le besoin de contrôle sont alors artificiellement exacerbés. Les rituels compulsifs servent à vidanger l’hyperactivité du préfrontal et à neutraliser ce risque imaginaire. Comme un enfant hyperactif tape du pied ou se ronge les ongles pour calmer son trop-plein d’énergie. Mais, au fil du temps, ces rituels perdant de leur efficacité, le patient les multiplie à l’infini. Un mécanisme infernal se met alors en place, dont il est très difficile de se débarrasser lorsqu’il est installé de longue date.

On peut diminuer la fréquence des comportements compulsifs, mais sans jamais vraiment les éliminer

5. Les gens souffrant de TOC sont-ils conscients de leur mal?
Pour Guido Bondolfi, «la majorité des patients savent pertinemment que les pensées compulsives qui les agitent sont absurdes. Untel sait bien qu’il ne va pas être automatiquement contaminé s’il touche une poignée de porte. Mais il subsistera toujours chez lui le doute que cela pourrait arriver. Il existe bien sûr des formes psychotiques de l’affection où la personne n’a aucun recul par rapport à ses obsessions, mais elles sont rares.»

6. Comment soigne-t-on les TOC?
Deux traitements courants sont aujourd’hui disponibles, explique le professeur Bondolfi. «Des antidépresseurs sont utilisés pour calmer l’excitation du préfrontal. Ils sont efficaces seulement à des posologies deux ou trois fois plus importantes que celles données pour traiter la dépression. La psychothérapie cognitivo-comportementale, elle, vise à modifier les habitudes automatisées. Elle consiste à confronter le patient à ses obsessions sans qu’il compulse. L’anxiété, bien sûr, monte, mais elle atteint au bout d’un moment un plateau, pour ensuite redescendre à un niveau normal. On peut ainsi diminuer l’intensité et la fréquence des comportements compulsifs, mais sans jamais vraiment les éliminer. Cela dit, l’avis du patient est déterminant.
On ne peut lui imposer ni une médication, ni un traitement psychothérapeutique, ni une combinaison des deux, même si l’on sait que cette dernière approche est la plus efficace. Un troisième type de traitement expérimental s’adresse aux cas les plus sévères: il consiste à implanter dans le cerveau des électrodes qui délivrent un courant électrique de faible intensité modifiant l’activité des zones profondes.»

Celui qui arrive à dompter son mal n’est pas au bout de ses peines

7. Quelles sont les structures soignantes existantes en Suisse romande?
Les HUG disposent d’un programme spécialisé dans les troubles anxieux avec une structure accueillant les malades en ambulatoire. Pour les patients ne pouvant plus sortir de chez eux, des traitements intensifs de psychothérapie éventuellement médicamentée à domicile sont possibles. Malheureusement, regrette Agathe Gumy, animatrice de l’association Tocs Passerelles*, qui s’efforce de venir en aide aux personnes atteintes de TOC, «il n’existe pas en Suisse romande de structures hospitalières pouvant accueillir des malades dont les TOC sont résistants». Elle-même, mère d’une fille atteinte de la maladie, a dû se résoudre à s’adresser à la Clinique Lyon Lumière, à Meyzieu (F), pour pouvoir l’hospitaliser dans une structure prenant en charge le patient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’autres vont même jusqu’à traverser l’Atlantique pour aller faire soigner un enfant dont la maladie a résisté aux traitements ambulatoires.

8. Quelles difficultés socioéconomiques rencontrent les personnes atteintes de TOC sévères?
Pour Agathe Gumy, «à la maladie s’ajoutent de graves difficultés sociales. Les malades perdent petit à petit contact avec leurs amis, leur famille. Ils ont souvent honte de leur maladie et craignent de faire du mal à eux ou à leurs proches. D’où une tendance à s’enfermer, qui aggrave souvent les symptômes. Rares sont ceux qui peuvent encore travailler. Licenciement, perte de gain, prestations sociales, puis AI, c’est le parcours habituel. Et celui qui arrive à dompter son mal n’est pas au bout de ses peines: réinsérer le monde du travail en devant justifier d’années d’absence professionnelle ressemble à un parcours du combattant. Car lorsque l’on parle de maladie psychique, les employeurs se font rares. C’est pourquoi j’encourage toutes les personnes en difficulté à contacter notre association. Nous pouvons vous aider!»

>> Si vous-même êtes touché par cette maladie, ou si vous, proche-aidant avez le sentiment d’être dépassé, seul, incompris ou si vous avez simplement envie d’échanger, n’hésitez pas à contacter: Tocs Passerelles 


«Je me voyais comme un pervers, un être foncièrement mauvais»

file7c50m02brqpazpfyihm

Zack, lors de son premier jour d’école enfantine, avant que la maladie ne se déclare.

DR

«Je m’appelle Zackari, j’ai 14 ans et je souffre de TOC invisibles également appelés pensées magiques. Ça a commencé quand j’avais 8 ans. J’étais en vacances, au camping, et je me suis fait voler ma trottinette devant le bungalow. Je l’ai cherchée partout, en vain. Et j’ai passé tout le reste des vacances obsédé par cette trottinette, seule dans un coin, qui m’attendait. Je suis resté prostré, assis pendant une semaine à ne penser qu’à ça. Après, je me suis mis à développer des attitudes de contrôle, comme vérifier, chaque matin et chaque soir, si tous les souvenirs de mon papa étaient là sur ma table de nuit ou, plusieurs fois par jour, si la porte de la maison était bien fermée. Au moindre accroc, j’ai commencé à avoir des crises d’angoisse.

A Noël 2018, j’ai revu ma cousine, on s’est embrassés. J’ai eu l’impression d’avoir eu un geste déplacé. Ça m’a tellement travaillé par la suite que j’ai arrêté de faire des câlins à ma mère et à ma grand-mère. Et puis j’ai vu à la télé un documentaire sur Michael Jackson et les accusations de pédophilie portées contre lui et je me suis mis à avoir peur d’être comme lui. Je me suis mis à éviter les enfants dans la rue, à descendre du bus quand il y en avait un proche de moi. J’avais peur de les toucher ou de simplement les frôler et je me baladais tout le temps les mains dans les poches. Malgré cela, il m’arrivait souvent de me faire des films dans ma tête où je touchais ces enfants. Même aux animaux, je m’imaginais capable de faire du mal. Je ne pouvais plus rester dans la même pièce que mon chat.

file7c50m02j2494k5liihq

Sur la table de nuit de Zack, soigneusement rangée, des souvenirs de voyage et ses médicaments antidépresseurs et pour le traitement des troubles de l’attention.

F.BUSSON

Tout était confus. Je n’arrivais plus à distinguer le fantasme de la réalité. Je pensais que j’étais un pervers, un être foncièrement mauvais. Et tout ça me tournant constamment dans la tête, j’étais crevé et je n’arrivais plus à me concentrer sur mon travail scolaire. J’appelais ma maman cinq ou six fois par jour pour qu’elle me rassure: «Mais non, il n’est rien arrivé, c’est dans ta tête…» Mais c’était difficile de me convaincre tellement j’étais persuadé d’avoir fait du mal. Je commençais à ne plus me supporter, le médecin de famille m’a prescrit des antidépresseurs et on a dû me retirer de l’école avant la fin de l’année scolaire 2019. Mais, durant les vacances d’été, en Croatie, c’est devenu encore pire. Je ne pouvais dormir sous ma tente qu’après m’être assuré qu’il n’y avait pas un moustique à l’intérieur. J’ai également arrêté la plongée sous-marine parce que j’avais peur de toucher un poisson. A la fin des vacances, je ne mettais plus les pieds dehors.

J’ai alors été pris en charge en urgence par une pédopsychiatre du CHUV. C’est elle qui m’a diagnostiqué TOC et on a commencé une thérapie cognitive et comportementale correspondant à cette affection. Je suis confronté à mes angoisses et j’apprends à y résister. Entre-temps, j’ai été hospitalisé trois semaines à l’hôpital de Nant, mais ça s’est très mal passé. On m’a changé mes médicaments et ils m’ont transformé en zombie. Heureusement, j’ai pu sortir et poursuivre mon traitement avec une thérapeute privée. Elle m’a stabilisé, et j’ai repris l’école, d’abord à 50%, puis à 100%.

Aujourd’hui, je dois toujours prendre des médicaments, mais j’arrive à gérer mes TOC, même s’ils reviennent quand je suis particulièrement stressé. Je travaille beaucoup la confiance en moi. Car le TOC, comme je l’ai appris au sein de l’association Tocs Passerelles, c’est la maladie du doute. La première réunion à laquelle j’ai assisté, ce fut le plus beau jour de ma vie. Simplement parce que je me suis rendu compte que je n’étais pas un alien et que des tas d’autres personnes souffrent comme moi de TOC.»


Par Busson François publié le 3 septembre 2020 - 08:53, modifié 18 janvier 2021 - 21:13