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L’épopée sucrée des pâtissiers suisses

Ils ont terminé cinquièmes (sur 11) à la Coupe du monde à Lyon. Si le résultat les a déçus, ce concours fut une expérience irremplaçable pour Nicoll, Arnaud et Antoine. Récit d’un marathon de dix heures.

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Julie de Tribolet

«On y va pour gagner!» Trois semaines avant le jour J, Patrick Bovon est très clair: ses protégés ne partiront pas à la Coupe du monde de la pâtisserie à Lyon pour faire de la figuration. Le coach de l’équipe nationale et patron du Duo Créatif, gourmande enseigne à La Tourde-Peilz (VD), sait motiver et accompagner ses troupes comme personne. Malgré ça, le résultat final n’a pas été à la hauteur des attentes… Samedi 25 septembre à 19h18, le président de la compétition, Pierre Hermé, annonce le podium: première, l’Italie est suivie du Japon puis de la France. Après dix heures de concours d’une folle intensité, le trio helvétique composé de Nicoll Notter, d’Arnaud Dousse et d’Antoine Chopin termine ainsi à la cinquième place du plus prestigieux concours pâtissier du monde, et remporte le Prix de l’écoresponsabilité. Très maigre consolation.

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Qui penserait trouver une perceuse dans les mains d’un pâtissier? Surprenant, mais ô combien utile à Nicoll Notter pour réaliser les finitions de la pièce en chocolat.

Julie de Tribolet

L’aventure sucrée de Nicoll, d’Arnaud et d’Antoine commence pourtant près de deux ans plus tôt, lors des préparations pour la Coupe d’Europe. Pour la dernière étape qualificative avant la Coupe du monde, la Suisse n’est représentée que par deux pâtissiers: Nicoll Notter et Jean-Sébastien Guinet. Les deux s’arrachent et remportent la première place, suivis de près par la Russie. Il faut donc embaucher un troisième candidat pour la finale… et remplacer Jean-Sébastien. Patrick cherche, cherche et se creuse la tête, mais c’est difficile: «Le problème, en Suisse, c’est qu’il y a peu de pâtissiers et pâtissières qui sont prêts à se lancer dans une telle aventure et à y consacrer autant de temps et d’énergie.» Il convainc finalement Antoine, l’un de ses employés, et Arnaud, chef pâtissier dans un palace lausannois. Initialement prévue en janvier 2021, la finale est reportée à deux reprises à cause de la situation sanitaire. L’événement arrêté à fin septembre, les trois acolytes commencent alors à réfléchir à leur plan de jeu.

Un plan de jeu qui doit être très précis et s’accorder exactement au règlement du concours. Car si son nouveau comité d’organisation a décidé qu’il n’y aurait plus qu’un thème unique pour toutes les équipes, plusieurs contraintes sont imposées sur les différents éléments (dimensions et techniques utilisées sur les pièces en sucre et en chocolat, obligation d’un entremets au chocolat et d’un glacé, dessert de restaurant…).

En 2021, les candidats doivent tourner autour de la phrase: «Tout art est imitation de la nature.» Les Suisses, d’abord partis sur des idées «trop classiques» selon eux, changent rapidement de projet pour revisiter le terroir régional et le lien entre la terre et la table. Les idées deviennent des croquis, les croquis des essais, les essais des recettes… Une réflexion générale qui mène à huit épreuves à blanc, lors desquelles chaque détail est analysé et revu.

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Il a fallu trois quarts d’heure aux Helvètes pour monter leur pièce artistique. Au milieu d’une quinzaine de jurés, ils n’ont pas tremblé sous la pression.

Julie de Tribolet

Juillet 2021. Antoine, Arnaud et Nicoll entrent dans la phase intense de préparation. Ils «emménagent» dans des cuisines professionnelles à Morges, construisent leur «box» (presque) à l’identique de celui qu’ils auront à Lyon, et passent leurs journées à répéter les gestes qui doivent les porter sur la plus haute marche du podium. Le but: devenir des machines ultra-précises en se mettant dans les mêmes conditions que celles de la finale à Lyon.

Août. Les trois compétiteurs commencent leurs épreuves à blanc. Une fois par week-end, ils arrivent à 5 h 30, fignolent la mise en place réalisée la veille, déroulent leur programme selon un horaire extrêmement précis de 6h30 à 16h30, débriefent, rangent et nettoient les cuisines, puis refont une mise en place pour le lendemain. A la sixième journée de «blanc», Antoine commence à trouver l’entraînement répétitif, mais salvateur: «Ce sont de très longues journées, mais si nous n’en faisions pas autant, il serait impossible d’être vraiment prêts le jour J.»

Jorge Cardoso, Jean-Baptiste Jolliet et Cédric Pilloud, les candidats ayant terminé troisièmes au même concours il y a quatre ans, viennent partager avec eux leur expérience, épaulent leurs copains et donnent leur avis sur le travail réalisé. On sent dans ce «Swiss Team Pastry Club» une cohésion et une envie d’aller de l’avant, de construire quelque chose sur la durée, pour construire la pâtisserie helvétique de demain.

Par rapport à la configuration de leur finale à Lyon, les box à Morges sont de même taille et le matériel sera le même, mais quelques détails dérangent. Les frigos sont hors du box et les pâtissiers perdent du temps à y faire des allers-retours; la petite salle non climatisée emmagasine beaucoup de chaleur et les pièces en chocolat fondent facilement; seuls dans la pièce, ils ne peuvent s’habituer à voir passer une flopée de jurés autour d’eux et à soutenir la pression ambiante.

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Le jury des entremets (au chocolat et glacé) est composé des coachs des équipes. Derrière, les étudiants de l’Institut Paul Bocuse sont au service.

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23 septembre. Les quatre Suisses se mettent en route pour Lyon dans une camionnette affrétée pour l’occasion. La veille, ils l’ont remplie avec soin de tout leur matériel: des moules faits sur mesure aux spatules, en passant par le plateau de dégustation personnalisé aux copeaux de bois. Car il faut préciser que chaque équipe peut amener ses propres affaires, dans les limites du règlement. Sur place dans l’après-midi, Patrick, membre du jury comme tous les coachs d’équipe, tient sa première séance d’organisation, alors que ses protégés prennent place dans l’hôtel des candidats au centre-ville.

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Le résultat après plusieurs longues minutes de travail de fabrication. Sur la pièce artistique en sucre, un grand bouquet floral, une dizaine de fleurs sont parsemées ci et là.

Julie de Tribolet

24 septembre. Le premier jour de concours débute à 6 h 30. France, Royaume-Uni, Egypte, Corée du Sud, Russie et Japon sont en lice. Les premiers et les derniers impressionnent, le Royaume-Uni fait bonne figure. Alors que Patrick passe la journée à analyser et à juger le travail des pâtissiers, Nicoll, Arnaud et Antoine choisissent de ne pas venir voir leurs concurrents. Tout le contraire des fans français qui mettent une ambiance de dingue, à l’image d’un stade de foot. Le soir, les trois Suisses sont rejoints par Jorge Cardoso et Jean-Baptiste Jolliet. Ensemble, ils remplissent le box de tout leur matériel et ajustent les derniers détails.

25 septembre, jour J, 4h55. Peu reposés, les quatre Helvètes sont les premiers devant le bus qui doit emmener les candidats sur le lieu du concours. Une heure plus tard, ils vérifient leurs tiroirs et leur planning avant de se serrer dans les bras. Un beau moment d’émotion avant les dix plus dures heures de leur vie professionnelle. Et les plus belles. Qu’est-ce que ces trois pâtissiers, dans leur bulle, peuvent bien ressentir lorsque des champions du monde, des Meilleurs ouvriers de France et des pointures pâtissières tels Christelle Brua ou Pierre Hermé passent devant leur box? Tension, joie, fierté? Sûrement un mélange de tout cela…

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Chaque entremets est présenté aux journalistes. Celui des Suisses a fait sensation, notamment grâce au pochage parfait d’Antoine Chopin.

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11 h 01. L’entremets au chocolat de l’équipe de Suisse quitte la table de service sous les applaudissements des familles des candidats, leurs amis, leurs collègues, arrivés de Suisse le matin même. C’est le premier élément complètement fini et envoyé. Quelques retours se font entendre parmi les jurés, soulignant l’harmonie du mariage chocolat-sureau et l’audace d’avoir utilisé cette saveur. Le pochage parfait d’Antoine Chopin se fait remarquer, tout comme la netteté du biscuit autour du gâteau. Les supporters continuent à faire du bruit, déchaînés comme jamais.

13 h 21. Encore une fois précis à l’heure d’envoi, Nicoll, Arnaud et Antoine font partir leur entremets glacé pile à l’heure. Deuxième dégustation finie, mais toujours pas de relâchement dans le box helvétique. Derniers à envoyer leur dessert glacé à partager, les Italiens sautent de joie et se remotivent en criant avec leurs supporters. Le maître de cérémonie relève avec joie l’atmosphère bon enfant qui règne dans la salle de concours, et il en va de plus belle!

15 h 23. Dans le public, deux boulangers du Duo Créatif sentent la fatigue monter: «On a commencé le travail à minuit à La Tour-de-Peilz avant de partir vers 5 heures. C’est une longue journée mais elle en vaut la peine!» Avec leur patronne, Nadège Bonzon, compagne de Patrick, ils repartiront le soir même pour la Riviera romande. «On aimerait rester plus longtemps, mais demain ça bosse!» rigole Nadège.

A 15 h 28, Antoine et Arnaud envoient les dix desserts à l’assiette, travaillés autour de la pomme. Comme prévu, Nicoll est resté concentré sur le montage de la pièce en chocolat. Dans les gradins, l’ambiance se réchauffe encore plus: les Italiens ont donné de la voix toute la journée – mais en ont encore – et les Français commencent à arriver pour la cérémonie des résultats. Qui aurait pensé que la pâtisserie donnait autant d’émotions?

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Les deux verres et la bouteille de vin réalisés en sucre par Arnaud.

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16 h 30. Après trois quarts d’heure de montage précis, fragile et très stressant, la cloche sonne: l’épreuve est terminée! Patrick félicite chaudement ses trois pâtissiers l’un après l’autre, mais ils rentrent vite dans leur box pour le ranger et nettoyer entièrement. Musique épique, jeux de lumières, cris de supporters, tous n’attendent maintenant qu’une chose: les résultats.

En patientant, on admire tout de même la pièce artistique suisse: bouteille de chasselas, robinet de ferme, roue de char, légumes, sac à patates… Des éléments en sucre et en chocolat à n’en plus finir, entremêlés et posés sur une roue de char en chocolat. Dynamique et élégant, le montage floral en sucre surplombe le tout. Peu d’équipes ont autant mélangé les deux matières. Les Suisses peuvent-ils se démarquer sur ce point?

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Patrick vient féliciter ses protégés à la fin de l’épreuve.

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19 h 07 L’heure des résultats a sonné: après le Prix d’esprit d’équipe pour le Chili, la brigade suisse reçoit celui de l’écoresponsabilité. Maigre consolation. Onze minutes plus tard, l’Italie devient championne du monde, devant le Japon et la France. Le regard lointain, Nicoll, Arnaud, Antoine et Patrick applaudissent respectueusement, se prennent dans les bras et semblent perdus. Ils retrouvent leurs proches peu après pour des moments d’émotion et une fin de journée difficile.
Malgré la déception finale qui mettra sûrement du temps à s’évaporer, Nicoll, Arnaud et Antoine ont vécu ces derniers mois une expérience inoubliable. Patrick souligne: «C’est difficile, mais avec le temps, on comprend que ce type d’aventure n’est que bénéfique. Ils se sont donnés à fond, ont respecté leur plan en travaillant en équipe. Malgré le résultat, ça reste un travail d’exception.» Ceux qui sont les plus jeunes de l’édition 2021 peuvent vraiment rentrer de Lyon la tête haute et fiers de ce qu’ils ont accompli durant des mois.

Par Siméon Calame publié le 30 septembre 2021 - 08:12