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Buvettes estivales

Les buvettes éphémères et leurs éternels déboires administratifs

Ces dernières années, ces établissements saisonniers à ciel ouvert se multiplient. Les citadins plébiscitent cette nouvelle manière de partager un verre ou un repas. Mais leurs créateurs doivent slalomer entre les écueils.

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buvettes éphémères

Les buvettes éphémères se multiplient et les citadins apprécient cette nouvelle manière de partager un verre ou un repas.

Darrin Vanselow
Carré blanc
Joëlle Misson-Tille

A quoi ressemblent les coulisses de ces bars, buvettes ou terrasses éphémères et généralement estivaux? Leur côté relax cache en fait pas mal d’écueils à contourner. A Bussigny, les membres fondateurs de La Dérupe, nouvelle buvette estivale qui devait voir le jour en juin, devront ainsi prendre leur mal en patience. La mise à l’enquête de leur projet a suscité huit oppositions. L’ouverture prévue cet été est annulée. Un cas de figure fréquent.

Et quand la buvette obtient les autorisations nécessaires, le plus dur reste à faire: réussir à tourner. Le principal trouble-fête, c’est bien sûr la météo: «Au quotidien, c’est la plus grande difficulté, confirme Lucas Girardet, fondateur de la Jetée de la Compagnie ainsi que de La Galicienne, à Lausanne. Nous en sommes totalement dépendants. Si le temps est incertain, nous devons jongler avec le stock et les horaires du staff. Cela nous demande une adaptation et une flexibilité constantes.» Mais les comités de ces structures généralement associatives peuvent le plus souvent s’appuyer sur ces qualités et sur une grande motivation. «Faire quelque chose pour notre ville, offrir aux habitants un lieu de rencontre et de détente», c’est ce qui les pousse en avant, bien plus que de faire du chiffre. Mais, comme en amour, la passion ne suffit pas. Il faut verser des salaires, payer un loyer à la commune, régler les frais fixes de fonctionnement et d’entretien du matériel. Pour survivre, il n’y a donc pas d’autre choix que d’être rentable, et de l’être sur les seuls cinq mois – en moyenne – d’ouverture.

Si l’on affectionne ces endroits, c’est parce que «l’éphémère crée la rareté» et que le plaisir de les retrouver chaque année est annonciateur de beaux jours, analyse Fanny Léchenne, directrice de La Barje, à Genève. Mais être éphémère, c’est aussi courir le risque de disparaître. Thierry Bourquenoud, directeur de la fondation qui gère le Bistro du Port, à Fribourg, en est bien conscient puisqu’il ne fait aucun amortissement sur la durée. Généralement au bénéfice d’une licence d’exploitation, les associations sont liées par une convention avec les communes propriétaires des lieux pour une durée allant d’une à plusieurs années reconductibles. Il s’agit d’une fragilité inhérente à cette activité: «Nous ne pouvons jamais être totalement sûrs que la convention sera réitérée.»

Selon tous nos témoins, une bonne collaboration avec les autorités est indispensable pour assurer stabilité et sérénité à leur établissement. L’expérience de La Coquette, installée place Louis-Sutter, à Morges, entre 2018 et 2021, a prouvé qu’une terrasse saisonnière n’est pas maîtresse de son destin: la buvette a été condamnée après que la commune a lancé un appel à projets pour l’animation de cet espace public. «Le soutien des autorités quand il s’agit de créer un lieu ou de trouver des solutions est capital. Je trouve que l’on ne valorise pas encore assez ces petites structures si précieuses pour la cohésion sociale, pour les rencontres. Une buvette estivale qui fonctionne demeure une exception», estime Blaise Hofmnan, membre du comité de La Coquette, qui rebondit cette année en parcourant la campagne vaudoise avec sa Coquette mobile. Mais peut-être est-ce aussi une qualité nécessaire d’une buvette éphémère: savoir se relever et se réinventer pour affronter les inévitables intempéries.


Trois adresses de buvettes éphémères pour profiter de l'été


1. Des brunchs au-dessus de la ville
La basilique de Valère et le château de Tourbillon surplombent la ville de Sion. Entre ces deux monuments historiques, un peu en contrebas, se trouve... l’Entre 2, justement. Cette buvette, c’est un peu l’histoire d’une success-story. Pourtant, son ouverture en plein confinement au mois de mai 2020 aurait pu laisser présager le pire. Il n’en a rien été: Carmen, Carole et Gaëlle, les fondatrices, se sont lancées. La spécialité de l’Entre 2? Des brunchs tout frais en extérieur les week-ends et les jours fériés. «Nous avons fait une première année test, et nous avons été complètement dépassées par le succès», raconte Carmen. Depuis, la terrasse ne désemplit pas.

Buvettes éphémères

A Sion, entre les deux collines et monuments historiques qui surplombent le chef-lieu valaisan, cette buvette née en 2020 ne désemplit pas durant l’été.

Darrin Vanselow

L’Entre 2 privilégie les produits locaux, quand c’est possible, et les vins sont uniquement sédunois. Mais surtout, tout est fait maison: «Nous avons une excellente pâtissière; elle réalise les pancakes les plus aériens que je connaisse.» Et puisque l’objectif de l’Entre 2 va plus loin que la simple restauration, la buvette propose aussi des activités, régulièrement renouvelées, tout comme la carte d’ailleurs, au gré des inspirations de Carmen, qui pioche partout de nouvelles idées créatives. 

Cette année, l’Entre 2 teste, notamment, le «Mix and match duo» (un concept de speed-dating amical) ou encore le Jass’clette, un tournoi de jass accompagné d’une bonne raclette. La buvette se trouve à vingt minutes à pied de la gare de Sion mais, pour les paresseux, le train touristique le P’tit Sédunois vous y emmène aussi.

Adresse: L’Entre 2, Zermatten, Rue des Châteaux 53, 1950 Sion. Réservation (recommandée pour les brunchs): 077 508 31 13. www.entre2.ch

2. De la mixité, dans un esprit bonne franquette
Sur les rives du Rhône, La Barje des Lavandières, qui fait sans aucun doute partie des pionniers des bars éphémères, ne change pas une formule qui marche. Sa roulotte, par exemple, est inchangée depuis l’ouverture, en 2004. A La Barje, «on est au cœur de la ville, mais complètement embarqué dans la nature», raconte Fanny Léchenne, directrice de l’Association La Barje, qui gère trois buvettes éphémères ainsi qu’un dispositif d’action sociale. Au bord de l’eau, on peut y déguster de la petite restauration, comme des empanadas, des pizzas, des crêpes ou, côté sucré, les glaces artisanales, bios et véganes, de Paleta Loca.

Depuis sa création, La Barje tient à préserver son état d’esprit: celui de l’accueil convivial et surtout de la mixité sociale. «Nous conservons une carte de prix abordables afin de maintenir cette mixité, et que tout le monde soit bienvenu, détaille Fanny Léchenne. C’est notre cheval de bataille, et un défi, car le quartier de la Jonction se gentrifie. Nous voulons cultiver l’esprit à la bonne franquette.»

Buvettes éphémères

La Barje des Lavandières: cette portion de la presqu’île qui sépare le Rhône en deux bras est devenue un haut lieu de convivialité.

Darrin Vanselow

Ainsi, la buvette ne prend pas de réservations et ne privatise pas d’espaces. «Il faut passer, et s’il n’y a pas de place, on peut s’asseoir dans l’herbe ou sur les rochers.» Le jeudi soir si on aime l’ambiance ou le dimanche après-midi si on préfère se plonger dans un bouquin allongé sur un transat en sirotant un jus artisanal. Le truc à ne pas manquer? Le jus de gingembre. «Il est très connu! Mon collègue le fait depuis toujours et possède une recette secrète qu’il refuse de donner.» Ça vous titille?

Adresse: La Barge, Genève, Promenade des Lavandières, 1204 Genève. Ouvert de mai à septembre. www.labarje.ch

3. La plus grande terrasse de Fribourg
Le Port de Fribourg, c’est bien plus qu’une buvette. Thierry Bourquenoud, directeur de la Fondation Saint-Louis qui gère le lieu, n’hésite pas à affirmer que Le Port, c’est the place to be à Fribourg: «A ma connaissance, c’est la plus grande terrasse de la ville.» Cette dernière peut en effet accueillir 200 personnes, et l’on s’y trouve niché au cœur d’une végétation abondante, à deux pas de la Sarine. Son mobilier récupéré crée «une alchimie de bric et de broc» qui donne un charme incontestable au lieu, que l’on rejoint en une quinzaine de minutes en bus depuis le centre-ville. On peut y manger tous les jours, matin et soir. «L’offre est relativement sommaire, car nous faisons tout maison, mais nous changeons de plat tous les jours.» 

«Cet endroit, c’est aussi un laboratoire urbain, détaille Thierry Bourquenoud. Nous attachons beaucoup d’importance au développement durable et tentons de l’appliquer à tous nos secteurs d’activité, économique ou social.» Les récoltes des jardins, par exemple, entretenus par des bénévoles, servent notamment à fabriquer des thés et sirops servis au Bistro du Port.»

Buvettes éphémères

Tout près de la Sarine, les habitants de Fribourg et les visiteurs profitent de l’été dans ce petit coin de paradis tous les jours de mai à septembre.

Darrin Vanselow

La Fondation Saint-Louis, dont la mission de base est la réinsertion sociale des personnes en difficulté psychique, a repris la gestion du Bistro du Port en 2017, puis les jardins communautaires ainsi que la programmation d’événements. Sur cent vingt jours d’ouverture, il est possible d’assister à plus de 130 activités, sport, jeux, concerts ou encore conférences.

Adresse: Bistro du Port, Fribourg Planche-Inférieure 5 1700 Fribourg. Ouvert de mai à septembre. www.leport.ch

Par Joëlle Misson-Tille publié le 16 juillet 2022 - 07:35