Dans un peu plus de deux semaines, nos voisins vont voter pour élire la personne qu’ils vont détester et blâmer pour tout les cinq prochaines années. Et nous, en Suisse, on adore regarder ça comme on adore écouter nos voisins de palier s’engueuler: c’est divertissant et ça nous permet de se dire: «Tu vois, «babe», ça va pas si mal chez nous.» Nos propres élections, on s’en fout un peu, mais les françaises, c’est le top, pour la même raison qu’on préfère les séries américaines aux séries suisses: les acteurs sont plus connus, y a nettement plus d’action et ça parle jamais en allemand.
Pour «L’illustré», je vais vous raconter cette campagne jusqu’aux résultats du second tour. Dans ce premier épisode, petite présentation des candidats de gauche, par ordre croissant d’intentions de vote.
Nathalie Arthaud et Philippe Poutou de l’extrême gauche sont de nouveau là, comme en 2017 où ils avaient fait 1,7% à eux deux, ils ont réussi à avoir les parrainages encore une fois. Comme l’Arabie saoudite ou l’Australie à la Coupe du monde, tu sais pas comment ils font pour se qualifier, mais ils sont toujours là.
A peine devant eux, on trouve Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, qui, d’après ses proches, s’est lancée à contrecœur. Elle a pris ses responsabilités mais ne voulait pas être candidate, et c’est un point commun avec 98% des électeurs, qui ne voulaient visiblement pas qu’elle soit candidate non plus. Comment vous résumer la campagne d’Hidalgo? Si sa courbe dans les sondages était une piste de ski, Beat Feuz y battrait son record de vitesse. Vu les mauvais sondages, tout le monde s’attendait à ce qu’elle se retire, mais elle est déterminée à aller jusqu’au bout, ce qui pourrait enfin répondre à une question importante: est-ce possible d’aller en dessous de zéro? Hidalgo est la preuve qu’au PS, il n’y a pas que DSK qui ait de la peine à comprendre quand on dit qu’on a pas envie.
Fabien Roussel représente le Parti communiste en essayant un peu de faire oublier le fait qu’il est communiste pour viser les électeurs pas communistes. C’est une bonne idée, parce que y en a quand même pas mal plus, des pas communistes. On ne sait pas trop ce qu’il y a dans son programme parce qu’il préfère parler bouffe: il cite viande, vin et fromage dans chaque interview, fait campagne auprès des bouchers, il est plus «Top Chef» que chef d’Etat.
Si la cuisine marche pas, il restera l’humour à Fabien Roussel. Lui qui propose le «roussellement» à la place du ruissellement ou déclame «la station-service est le seul endroit où on tient le pistolet mais on se fait braquer». Il auditionne plus pour un job d’auteur d’Anne Roumanoff que pour une fonction politique.
Accusé d’emploi fictif dans son précédent job d’assistant parlementaire, où personne se souvient vraiment de l’avoir vu bosser, Roussel, c’est Penelope Fillon avec une faucille et un marteau. Lui se défend en disant qu’il a énormément roulé et que «les pneus de [sa] voiture s’en souviennent». Mais quand tes pneus se souviennent plus de toi que tes collègues, y a un problème. J’espère pour lui qu’il les a gardés au garage et qu’ils pourront témoigner, car le parquet financier a ouvert une enquête.
Yannick Jadot a gagné la primaire écolo et participera pour la première fois au premier tour, après s’être rangé derrière le socialiste Benoît Hamon en 2017, qui a fini par faire 6%. Cinq ans plus tard, Jadot se dit: «Je suis parfaitement capable de faire un score nul tout seul!»
Voyant que sa campagne ne décolle pas, il décide de prendre une décision radicale, de faire un truc qu’il avait jamais fait: mettre une cravate. Il s’est avéré que c’était pas ça le problème. Dans une interview au magazine «Elle» sur le féminisme, il annonce qu’il repasse ses chemises. Ce qui effectivement l’aurait qualifié comme féministe si on était toujours en 1953. Puis, pour réagir à la crise en Ukraine et à la hausse des prix de l’énergie, Jadot déclare: «Si, pour sauver la démocratie en Europe, il faut faire tourner sa machine à laver la nuit plutôt qu’à 18 heures, c’est le prix que nous devons être prêts à assumer.» Mais c’est quoi cette obsession pour les fringues? C’est la présidentielle, pas «Les reines du shopping», Yannick. Entre lui et l’autre qui parle cuisine, il manque plus qu’un candidat branché «Déco» et la gauche française, c’est M6. C’est ses cravates et chemises qui le stressent autant? Sa solution à la guerre, c’est mettre un réveil pour aller faire une machine de couleurs. Bonne idée, Yannick «5àsec» Jadot!
Et il y a Jean-Luc Mélenchon, qui semble être en campagne présidentielle permanente depuis 2012. Impossible de faire une élection sans lui, c’est le contraire des piles quand t’achètes un truc, il est fourni avec. Mélenchon est ultra-préparé, son programme est excessivement détaillé, 50 thématiques, 694 propositions, il les connaît toutes par cœur, il fait des émissions de deux heures où il chiffre comment il financera chaque élément, mais si les électeurs aimaient les calculs et les longs pavés, on aurait Jamy et Bernard Pivot à l’Elysée. Mais il essaie tout, Méluche, en 2017 c’était des meetings en hologramme, là il a inventé le meeting immersif et olfactif. Ça, c’est une super idée, parce que quand on va à un meeting politique, c’est quand même avant tout pour les odeurs. Sa campagne est la plus connectée de toutes, il est numéro un sur YouTube, Twitch, TikTok, Twitter, PlayStation 5, «Les Sims Online» et l’écran de ton four. Si l’élection avait lieu dans le métavers, Mélenchon serait assuré de gagner.
Mais même s’il est le mieux placé à gauche, celle-ci pèse moins de 30%, vu le nombre de candidatures qui se les disputent, difficile d’accéder au second tour. Heureusement, une initiative s’est donné comme objectif de rassembler les électeurs de gauche derrière un seul et même projet: la primaire populaire! Un scrutin qui rassemble tous les candidats de gauche, même ceux qui voulaient pas y participer. La primaire populaire, t’es inscrit d’office même si t’es pas d’accord, comme les impôts, le service militaire ou les appels à la maison pour changer d’assurance maladie.
Le problème, c’est que comme personne voulait participer, personne n’a respecté les résultats, qui ont consacré Christiane Taubira, avec la note de «bien +» (oui, eux, ils ont pris «primaire» au sens «école primaire», ils ont distribué des gommettes aux candidats, et après ils s’étonnent que personne ne les respecte). Taubira n’ayant même pas eu les parrainages, elle se retire, et la primaire populaire décide de soutenir Mélenchon, alors que Jadot était arrivé deuxième et que Mélenchon les détestait et les critiquait depuis le premier jour. A la primaire populaire, ils sont en tenue latex avec une boule dans la bouche: «Dis-nous encore qu’on est nuls, Jean-Luc, s’il te plaît!»
Au lieu d’unir les gens, la primaire populaire a fait exactement le contraire, comme une pandémie après les trois premiers mois. Il reste donc six candidats de gauche sur le bulletin, est-ce qu’il y en aura un au second tour? Verdict dans quelques jours. D’ici là, je reviens vous présenter les candidats de droite, et si vous vous dites que ça ne peut pas être aussi bordélique qu’à gauche, vous serez surpris.
Je me réjouis, parce que la politique française, c’est comme un feu de camp, c’est quand même beaucoup plus agréable quand t’es à côté qu’en plein dedans.
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