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Les marcheuses antiblues qui s'engagent pour le climat

Combien de records de chaleur allons-nous encore mesurer sur nos thermomètres avant de passer vraiment à la décarbonation? Les initiatrices de la Marche bleue, qui débutera le 1er avril, exigent en tout cas que la Suisse sorte de son inertie et respecte ses engagements climatiques.

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Julia Steinberger, Irène Wettstein, Bastienne Joerchel et Valérie D’Acremont (de g. à dr.).

Julia Steinberger, Irène Wettstein, Bastienne Joerchel et Valérie D’Acremont (de g. à dr.). Et si leur opération commando réussissait à sortir la Suisse et ses leaders de leur torpeur climatique?

Amélie Blanc

Irène Wettstein: «Je crois en cette sororité, en cette solidarité féminine»
Avocate

- L’espoir qu’elle place dans cette Marche bleue? 
- «Je souhaite d’abord que cette action aide le plus possible de gens à surmonter leur sentiment d’impuissance face au réchauffement climatique. Et, plus généralement, cette action doit aussi contribuer à faire sauter les blocages politiques et économiques vers l’indispensable transition écologique de notre société. Un appel visant à réduire de 50% d’ici à 2030 et de 100% d’ici à 2050 les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse sera présenté sous forme de pétition que nous déposerons à Berne.»

- L’origine de son engagement écologique? 
- «J’ai toujours été sensible à ces problématiques. Mais c’est la lecture en 2018 d’un livre de Pablo Servigne qui m’a convaincue que je devais m’engager. En été 2019 a eu lieu la première marche du climat à Genève, suivie par d’autres actions de ce type. Mais je me disais: «Je marche, très bien, mais à quoi bon?» Lors d’une de ces marches à Lausanne, j’ai vu des jeunes se faire expulser des locaux des Retraites populaires. Je me suis dit qu’ils auraient besoin d’être défendus. Je leur ai donné ma carte et c’est comme ça que je suis devenue une des avocates des militants du climat. Puis j’ai cofondé l’association Avocats pour le climat, qui entreprend des actions contre l’Etat et des entreprises que nous estimons coupables d’être complices du réchauffement.»

- Ses raisons de mettre les femmes au premier plan de cette Marche bleue? 
- «Personnellement, je crois profondément en cette sororité, en cette solidarité féminine. Elle fonctionne extrêmement bien, comme le prouve la liste de nos soutiens où se rejoignent, au-delà des clivages, des personnes comme Marthe Keller, des scientifiques, des femmes de droite comme de gauche.»

- Une bonne raison d’espérer? 
- «Les solutions existent et peuvent être mises en œuvre. Assez parlé, maintenant agissons! Mais pour cela, il faut faire pression sur nos décideurs. Je souhaite donc que nous soyons les plus nombreuses et les plus nombreux possible le 22 avril à Berne, au terme de cette marche, pour déposer la pétition.»



Bastienne Joerchel: «La marche est portée par les femmes et ouverte à toutes et tous»
Politologue et directrice du Centre social protestant (CSP) Vaud

- L’espoir qu’elle place dans cette Marche bleue? 
- «J’aimerais que cette marche soit un électrochoc complémentaire pour sensibiliser la population, pour inciter plus de monde à prendre ses responsabilités. Il faut la voir comme un encouragement à une plus large mobilisation. Et j’apprécie aussi le côté non partisan de la démarche. Certes, cette marche est portée par les femmes, mais elle est ouverte à toutes et tous.»

- L’origine de son engagement écologique? 
- «C’est le sommet de Rio de 1992, qui a signalé la gravité du problème climatique en cours. Ce sommet a aussi expliqué qu’il fallait traiter ce défi de manière systémique, c’est-à-dire pas seulement du point de vue de la protection de la nature, mais aussi sur les plans social, économique, sanitaire, alimentaire ou encore énergétique. L’expression «développement durable», qui est aujourd’hui souvent galvaudée, date de cette époque.»

- Sa vision de l’espèce humaine? 
- «Mon travail me permet de vérifier par exemple que les personnes qui ont besoin des services du CSP viennent chez nous parce qu’elles ont des problèmes de survie personnelle ou familiale. Leur priorité n’est pas climatique ou écologique. L’importance capitale de l’enjeu climatique est difficile à mesurer pour ceux d’entre nous qui ont des préoccupations plus quotidiennes. Notre espèce a donc besoin d’une écologie politique, d’un cadre institutionnel clair, incitatif et équitable pour relever le défi climatique. C’est un des messages de la Marche bleue: il faut une loi sur le climat. Le 18 juin, il faudra cette fois que le peuple dise oui. Et, plus généralement, je crois aux capacités de résilience et de créativité de l’être humain. Les solutions existent, mais il faut plus de détermination.»

- Le livre qu’elle recommande? 
- «Les derniers rapports du GIEC. Ce sont les documents scientifiques de référence qui permettent de mesurer la gravité et l’actualité du problème.»

Les 4 initiatrices de la Marche bleue

Les iniatrices de la Marche bleue veulent que la Suisse respecte ses engagements climatiques, notamment l'accord de Paris sur le climat.

Amélie Blanc

Valérie D’Acremont: «Des gens construisaient un mur face à la montée des eaux»
Infectiologue et professeure à l’Unil

- L’espoir qu’elle place dans cette Marche bleue? 
- «Que le plus possible de gens, en se réunissant, sortent de ce sentiment d’impuissance et de solitude face au péril climatique. A plusieurs, la motivation pour des gestes individuels et pour faire pression sur nos autorités pour faire bouger les choses est bien sûr plus grande.»

- L’origine de son engagement écologique? 
- «Je travaillais en Tanzanie il y a une douzaine d’années et je vois un jour des habitants construire un grand mur. Ils m’expliquent que c’est pour retenir la mer, qui monte inexorablement. Cela a été un choc pour moi de constater de manière si concrète que mes lectures scientifiques correspondaient à la réalité.»

- Les origines de l’inertie suisse, selon elle? 
- «A l’échelle individuelle, on est tellement privilégiés que nous en oublions notre dépendance aux autres. Sur le plan politique, aussi bien au niveau exécutif que législatif, la peur d’être impopulaire s’ajoute à une méconnaissance du dossier climatique. Le peuple lui-même n’est pas suffisamment informé des réalités scientifiques. Il est même souvent désinformé par des lobbies. D’autres mécanismes démocratiques pourraient déjouer ces blocages, par exemple les assemblées citoyennes. L’année passée, l’Assemblée citoyenne pour une politique alimentaire de la Suisse a débouché sur des recommandations très proches de celles du rapport de scientifiques indépendants.»

- Sa vision de l’espèce humaine face au danger climatique? «Il y a une réalité psychologique, celle du plaisir immédiat, sans cesse stimulée par cette société de consommation. Ce plaisir entre en dissonance cognitive avec notre part rationnelle. Là encore, le fait de se regrouper favorise la résolution de ces dissonances cognitives.»

- Le livre qu’elle recommande? 
- «Drawdown. Comment inverser le cours du réchauffement climatique», de Paul Hawken. Un gros livre présentant des solutions basées sur la nature.»


Julia Steinberger: «Notre espèce bute sur des jeux de pouvoir et de profits»
Économiste écologiste et coauteure du dernier rapport du GIEC

- L’espoir qu’elle place dans cette Marche bleue? 
- «Cette marche se démarque des autres actions sur le climat. C’est cette originalité qui m’a enthousiasmée quand Irène Wettstein nous a présenté le projet. Le déclic collectif face à l’urgence climatique ne s’est pas encore produit, en dépit des nombreuses actions déjà menées. Cette Marche bleue, avec son côté fédérateur, me semble susciter un engouement plus large que les grèves du climat, par exemple. Or il est justement précieux de démontrer qu’une grande partie de la population, une part plus grande que ce que l’on croit, demande des changements de politique et se sent prête à les mener à bien.»

- Sa vision de notre espèce dans ce contexte de réchauffement climatique? 
- «La science a beaucoup progressé, sur les plans physique et technologique, mais s’est encore trop peu engagée sur les aspects politiques et économiques. La science a été aveuglée sur certains points, comme en s’étant imaginé qu’il suffisait d’énoncer le danger scientifique pour que le système socioéconomique s’adapte. Or ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le désir de changer de voie qui fait défaut. Le problème, c’est que tout est bloqué par certaines forces. Homo sapiens bute moins sur sa propre nature que sur des jeux de pouvoir et de profits. Pendant des millénaires, notre espèce a su vivre de manière durable dans des écosystèmes très différents, avec des structures culturelles en phase avec la nature environnante. Mais maintenant, nous sommes pris au piège par certaines industries, notamment celle des énergies fossiles.»

- Le livre qu’elle recommande? 
- «La malédiction de la noix de muscade», d’Amitav Ghosh. C’est l’histoire du monde à travers l’histoire du muscadier, l’arbre qui fournit cette noix et qui ne poussait que dans les îles Banda. Un livre bouleversant. En attendant sa version française, je recommande «Moins pour plus. Comment la décroissance sauvera le monde», de Jason Hickel.

>> Pour participer, soutenir, coorganiser ou encore signer la pétition de cette marche de 22 étapes entre Genève et Berne, consultez le site www.lamarchebleue.ch

Par Philippe Clot publié le 23 mars 2023 - 09:15