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Les Templiers: des bikers au grand cœur

Motards mais pas loubards, les 55 membres de l’association romande reconnue d’utilité publique se mobilisent 24 heures sur 24 pour protéger les enfants victimes de harcèlement physique et moral. Reportage avec des hommes et des femmes bénévoles qui représentent l’ensemble du spectre de la société et font du bien sans se prendre pour des justiciers.  

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association les Templiers – Post Tenebras Lux

Comme le dernier mercredi de chaque mois, les Templiers se sont retrouvés à Châtel-Saint-Denis, avant leur meeting au Café Tivoli. Ce jour-là, 38 des 55 membres bénévoles avaient fait le déplacement. Leur arrivée à moto impressionne, tout comme leur engagement au service des enfants maltraités. Ils traitent 45 cas en ce moment.

Darrin Vanselow

Fin août sur une aire de parking à la hauteur de Châtel-Saint-Denis (FR). Une trentaine de bikers sur leur grosse cylindrée déboulent dans un vrombissement assourdissant. L’effet de bande impressionne. Ceux qui descendent de leur engin sont vêtus de cuir noir. Certains ont des carrures de déménageurs, des tatouages, ils arborent de lourdes bagues ornées de tête de mort ou de loup. Leur blouson, frappé dans le dos d’un insigne formé d’un heaume, de deux épées croisées et d’une croix de Malte, indique leur appartenance aux Templiers – Post Tenebras Lux. L’association romande reconnue d’utilité publique n’a rien d’une équipée sauvage. Elle est plus proche d’Yves Duteil («Prendre un enfant par la main») que de la série télé «Sons of Anarchy». D’accolades en poignées de mains viriles, de rires en claques sur l’épaule, ces hommes et ces femmes venus de toute la Romandie se retrouvent le dernier mercredi de chaque mois. Leur but: protéger les mineurs maltraités et abusés physiquement et psychologiquement. «Aucun enfant ne mérite de vivre dans la peur»: la devise est inscrite sur la bordure de leur veste.

Ce jour-là, ils vont rejoindre leur stamm, au premier étage du Café Tivoli, où les dossiers en cours sont à l’ordre du jour. Il y a POC, Largo, Bubar, Filex, Scrat’ch, Youyou, Cavern, Odin, Zygène, Biggy, Vidar, Igor, Jo ou Neo. Chacun porte son pseudo sur le torse. Derrière leur panoplie, ce sont des citoyens lambda. On trouve un entrepreneur, un banquier, un informaticien, une institutrice, un policier, un physio, une costumière, un couple de psychiatres, une femme de ménage, un chauffeur poids lourds, un postier, un cuisinier, un peintre en bâtiment, un ex-carrossier ou un représentant en vin. L’association forte de 55 membres, dont dix femmes, gère 45 cas de gamins en souffrance. Elle agit selon un protocole rigoureux et des statuts en conformité avec la loi suisse. «Tous les enfants ont deux parrains qu’ils peuvent solliciter 24 heures sur 24 par message ou un simple coup de fil. On veille à ce qu’ils soient dans leur région s’ils souhaitent se confier en leur présence. Les plus jeunes victimes ont 6 ou 7 ans. Nous les accompagnons le temps nécessaire et jusqu’à leur majorité s’ils le souhaitent. Eux seuls en décident», souligne Pierre-Olivier Christen, alias POC, le président et fondateur.

Pierre-Olivier Christen, président et fondateur des Templiers – Post Tenebras Lux

Pierre-Olivier Christen, alias POC, entrepreneur et père de famille, est le président et fondateur des Templiers – Post Tenebras Lux.

Darrin Vanselow

Aider les enfants à toute heure
 

Ces chevaliers de la route jouent un rôle apaisant pour les jeunes en souffrance. «Ils sont fragilisés et nous leur redonnons confiance. Ils prennent conscience que la force, dont ils ont été victimes, peut être utilisée de manière bienveillante. Nous devenons leur nouvelle famille symbolique, comme une équipe dont ils vont arborer les couleurs.» L’enfant se voit attribuer un survêtement à capuche siglé «Templiers Junior» qu’il portera à sa guise et recevra une médaille de métal. «Il la serre dans sa poche pour se donner du courage. Souvent, le simple fait de posséder le numéro de téléphone de ses parrains le rassure.»

Quel que soit leur rang – novice, écuyer, templier ou officier –, tous les membres de l’association sont bénévoles. Les frais sont à leur charge, ils s’acquittent d’une cotisation annuelle de 50 francs et leurs interventions sont gratuites. Pour adhérer, chaque candidat doit montrer patte blanche, avoir 18 ans révolus, un CV à jour, un casier judiciaire vierge, plus un extrait spécial prouvant qu’aucune condamnation antérieure ne lui interdit de travailler avec des mineurs.

association les Templiers – Post Tenebras Lux

Pour se donner du courage, chaque enfant reçoit une médaille, qu’il serre dans sa poche. «Le simple fait de posséder le numéro de téléphone de ses deux parrains, disponibles 24 heures sur 24, suffit parfois à le rassurer.»

Darrin Vanselow

L’apprenti Templier doit faire preuve d’une volonté réelle. Faire partie de cette force tranquille et généreuse est un sacerdoce. Seuls les plus motivés restent. «Hier soir, j’ai passé trois heures au téléphone», glisse Scrat’ch. Samedi dernier, au Grand Marché d’automne à Morges, l’association avait monté un stand d’information. Leur mobilisation, week-end compris, grignote sur leur temps libre. «On demande à chacun une lettre de motivation écrite», précise POC. Avant d’être admis, les nouveaux sont convoqués à trois assemblées puis soumis à un temps d’essai d’une année minimum. Inutile de venir à scooter. Harley-Davidson, Indian ou Triumph, peu importe la marque: ici, on aime la belle mécanique, mais on ne tolère rien en dessous de 250 cm3.

Comprendre la dynamique familiale


Les Templiers sont souvent le dernier recours de parents désemparés dont les enfants en détresse sont malmenés, parce qu’ils n’ont pas reçu la réponse adéquate des institutions ou que leur sort, ignoré, est passé sous les radars. «Nous recevons un coup de téléphone via la hotline ou un e-mail. Une fois alerté, le responsable régional prend contact avec les appelants. Ensuite, trois de nos membres se déplacent au domicile pour comprendre la dynamique familiale. Il faut éviter que les parents, s’ils sont en cause, puissent utiliser l’enfant l’un contre l’autre. Et on s’assure de la véracité des faits.» Un comité d’évaluation étudie le dossier avant toute intervention. «Il nous est arrivé de découvrir qu’un gamin dont les parents nous sollicitaient était le fauteur de troubles. Dans ce cas, nous apportons notre soutien à sa victime, mais nous essayons de l’aider. Un enfant abuseur reste un enfant.»

Bonnes relations avec la police


Aucun dossier n’est anodin et l’avènement des réseaux sociaux a eu un effet multiplicateur sur les cas de maltraitance extrême. Moqueries, insultes, rejet sont monnaie courante. Sans parler des violences physiques, filmées parfois. Dans les cas de harcèlement scolaire, les Templiers accompagnent celui ou celle qui est visé devant l’établissement. «Nous créons un effet de surprise, en veillant à ne pas effrayer les autres écoliers et leurs parents par ricochet. Nous nous alignons dehors en veillant à rester sur le domaine public. Au-delà, c’est l’affaire de la direction et des enseignants.»

association les Templiers – Post Tenebras Lux

Si les Templiers sont à majorité masculine, dix femmes, venues de tous les horizons, composent aussi leur effectif. Comme le précisent leurs statuts, aucun sexisme n’est toléré au sein de l’association. Pas plus que les sarcasmes de nature politique, religieuse ou raciale. 

Darrin Vanselow

L’enfant escorté affublé de son «hoodie» Templiers arrive parfois à moto. «Il est fier, retrouve l’estime de lui-même et change de statut.» Récemment, deux membres ont pris place dans un car postal sur les quinze minutes de trajet entre l’école et la maison. «La fillette harcelée était à nos côtés, ses tourmenteurs au fond du véhicule. On s’est assis sans rien dire. Dix motos nous suivaient. Dans le véhicule, on entendait les mouches voler, commente Vidar. Notre simple présence rompt l’isolement de la victime et cela suffit souvent à régler le cas.» Et les forces de l’ordre? «Dans la plupart des cantons romands, nous avons une relation cordiale et respectueuse avec les différents services de la police», précise POC.

Selon la locution latine de leur écusson, «Semper paratus», les Templiers sont toujours prêts. «Nos employeurs connaissent notre activité parallèle. Ils se montrent très compréhensifs et, s’il le faut, nous permettent de partir en mission sur-le-champ.» Des urgences, il y en a. «Un enfant de 11 ans m’a dit: «Aide-moi, sinon je me tue!» se souvient POC. Il était abusé par son père, qui habitait en France voisine et bénéficiait de la garde alternée. Son ex-compagne résidait en Suisse.» Les Templiers ont fait des rondes en bas du domicile du garçon du matin au soir. «Nous ne portons jamais d’arme et n’intervenons jamais physiquement. Nous ne sommes pas des justiciers», précise toutefois Youyou, ancien Casque bleu et responsable de la sécurité de l’association.

Attouchements et viol: un cas très lourd
 

Certains cas sont très lourds, à l’instar de celui de Nadia*, une Romande de 15 ans, victime d’attouchements et de viol entre 8 et 11 ans. Elle a été agressée dans sa chambre, dans l’ascenseur, dans la cave ou le local des poubelles de son immeuble. «L’illustré» l’a rencontrée en présence de sa mère. «Un soir, ma fille s’est mise à me raconter tout ce qu’elle avait subi de la part d’un ami proche qu’elle considérait comme un parent. J’ignorais tout. Je suis tombée des nues. Si Nadia a rompu le silence, c’est que cet homme avait commencé à s’en prendre à sa petite sœur.» Le soir même, mère et fille déposaient plainte.

La maman de Nadia, qui avait entendu parler des Templiers, a aussitôt fait appel à eux. «Ils sont venus immédiatement. Ma fille ne sortait plus de sa chambre, n’allait plus à l’école. Une fois qu’ils ont su qu’elle avait été abusée, ses camarades se sont détournés d’elle. Elle refusait d’aller chez son psy et à ses entraînements sportifs. Elle craignait de tomber sur son agresseur. Après six mois de préventive à Bois-Mermet, il était revenu habiter dans le quartier. Et elle commençait à s’automutiler.»

Au début de l’intervention de ses anges gardiens, Nadia, renfermée sur elle-même, répondait par oui ou par non. «Il faut la voir aujourd’hui, se réjouissent-ils. Elle a fait de tels progrès!» Les Templiers l’accompagnent régulièrement afin qu’elle puisse sortir avec un sentiment de sécurité retrouvé. L’été dernier, à Lausanne, elle a insisté pour qu’ils soient là au procès de son agresseur. La veille, ils ont reçu une alerte sur WhatsApp leur indiquant le lieu et l’heure du rendez-vous. «Douze d’entre nous se sont déplacés de 7h30 à 15h.» 

L’ado, dont l’avocate s’opposait à sa présence dans la salle à cause du risque traumatique, a vomi trois fois ce matin-là, mais elle a tenu bon. «Je me sentais plus forte que lui», nous a-t-elle confié. Son courage, sa détermination et la présence des Templiers ont fait la différence. «L’audience était publique et nous avons fait bouclier autour d’elle dans le prétoire afin qu’elle n’ait aucun contact visuel direct avec le prévenu», ajoute Scrat’ch.

association les Templiers – Post Tenebras Lux

Nadia (de dos), 15 ans, devant le tribunal, à Lausanne, avant le procès de son agresseur. «Je me sentais plus forte que lui», a-t-elle confié à la fin de la journée, entourée d’une partie des 12 Templiers venus la soutenir dans cette terrible épreuve cet été.  

Darrin Vanselow

Pendant toute la durée du procès, elle a serré les doigts de Vidar. «J’ai une fille de son âge. Elle avait besoin de se raccrocher à quelqu’un.» Igor se souvient: «Les sévices qu’elle a subis ont été détaillés. C’était très éprouvant.» Finalement, l’individu de 66 ans a écopé d’une peine de 18 mois de prison avec sursis, de 7 ans d’expulsion de Suisse et de 10'000 francs de dédommagement. Ce jour-là, au Palais de justice de Montbenon, les Templiers ont fait l’admiration des gens de loi. «L’avocat de la défense est venu nous féliciter, tout comme la procureure. Ils découvraient l’association.»

Beaucoup ne connaissent pas ces bikers au grand cœur, qu’ils confondent avec deux bandes rivales dont un coup de feu lors d’un affrontement dans un bar genevois en mai 2022 a défrayé la chronique. Grâce aux Templiers, Nadia a mûri. «Vous m’avez beaucoup apporté depuis que vous êtes entrés dans ma vie. C’est juste incroyable. Merci infiniment», leur a-t-elle écrit. «Pour nous, disent-ils, le sourire retrouvé d’un enfant est notre plus belle récompense.»

* Prénom fictif

>> Pour les contacter: help@templarsaca.ch et hotline: +41 79 805 22 22 
>> Le site web des Templiers: www.new.templarsaca.ch

Par Didier Dana publié le 18 octobre 2023 - 08:45, modifié 18 octobre 2023 - 09:05