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Polémique

L’homme qui a tourné le bouton sur «off» à Crans-Montana

C’est le feuilleton valaisan du moment. En pleines vacances de Pâques,
 Crans-Montana décide de fermer
 ses remontées mécaniques au nez
 et à la barbe de ses clients. A l’origine de cette opération choc, Philippe Magistretti, un homme controversé, bras droit de l’actionnaire principal
et milliardaire Radovan Vitek, qui a voulu mettre fin à sa manière aux tergiversations politiques.

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«Ceux qui se promènent en disant que c’est la fin de Crans, ce n’est pas sérieux.» Sedrik Nemeth

Vendredi 6  avril, au départ de la télécabine des Violettes à Crans-Montana, les sourires sont au beau fixe. Le soleil brille et il ne faut débourser que 5  francs aux caisses pour se procurer un abonnement de ski. A notre arrivée, deux touristes belges saluent Philippe Magistretti et le remercient chaleureusement. «Vous voyez, tout le monde ne me déteste pas. Et je ne les ai même pas payés!» Pourtant, depuis mardi, suite à la lettre ouverte du président de l’entreprise Crans-Montana Aminona (CMA) annonçant la fermeture soudaine de ses remontées mécaniques, c’était plutôt la soupe à la grimace dans la station. Un blocus inédit de 48 heures sur fond de divergences financières avec les communes de Lens, Icogne et surtout Crans-Montana, qui s’étaient engagées à verser 800 000  francs à CMA pour combler le trou des activités à perte. Le conflit ne date pas d’hier, mais il a atteint son paroxysme à Pâques, au point de faire parler de lui bien au-delà des frontières valaisannes. «Les divergences existent depuis longtemps. Et ce n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de clan et de famille. C’est l’histoire du Valais», soutient Philippe Magistretti. Une crise momentanément apaisée par la séance de médiation, organisée par le conseiller d’Etat Christophe Darbellay, qui a débouché sur un accord pour les trois prochaines années et a entraîné la réouverture des pistes le vendredi. Pourtant, le feu couve toujours. «Nous nous sommes serré la main de manière contrainte et forcée pour le bien de tous.»

Mais comment en est-on arrivé là? Depuis son entrée au conseil d’administration de CMA en 2001, Philippe Magistretti a personnellement investi 2,5  millions de francs et progressivement pris le contrôle de la société pour atteindre sa présidence en 2009. Mais son principal fait d’armes, c’est son association avec le Tchèque Radovan Vitek au bénéfice d’un forfait fiscal à Crans-Montana. Un milliardaire discret et controversé, qui détient aujourd’hui 85% du capital de CMA via sa société CPI. «Notre relation va bien au-delà des affaires, même si notre première rencontre s’est très mal passée. Sa femme m’a avoué qu’il était rentré à la maison furieux, pestant qu’il n’avait jamais rencontré un crétin pareil…»

Présenté comme l’homme providentiel qui allait permettre à la station de remonter la pente, Radovan Vitek cristallise néanmoins de nombreuses craintes par son arrivée. Pour beaucoup, le domaine a vendu son âme au diable et les événements de ces derniers jours ne sont que le juste retour de bâton. Pour Philippe Magistretti, les autorités locales ont du mal à accepter de ne pas avoir le contrôle total sur ce qui représente le moteur de la région. «Radovan Vitek a quand même investi 100  millions de francs et CMA emploie en pleine saison plus de 500 à 600 personnes. Je ne comprends pas pourquoi certains politiques n’intègrent pas cette donnée.»

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Quant à savoir qui a pris la décision radicale de tirer la prise de la station, les avis se déchirent. Selon David Bagnoud, opposé à la fermeture du domaine, qui a la position plus qu’inconfortable d’être président de la commune de Lens et troisième membre du conseil d’administration de CMA aux côtés de Philippe Magistretti et Radovan Vitek, pas de place au doute. «Il n’y a que Philippe Magistretti qui est 
capable de faire un truc pareil! 
M. Vitek est moins impulsif.» Du côté de l’office du tourisme, on penche plutôt pour l’oligarque et on relève que Philippe Magistretti avait lui-même annoncé à l’époque dans les médias que l’arrivée de l’actionnaire tchèque, c’était «un peu faire entrer le loup dans la bergerie».
«Je le reconnais, être l’intermédiaire, ça me met dans des positions très difficiles. Surtout auprès de l’entourage de M. Vitek qui a des conseillers très professionnels, concède Philippe Magistretti. D’un côté, on pense que tu fais des magouilles avec tes copains valaisans aux dépens de CPI. De l’autre, on dit que tu as vendu ton âme aux Tchèques qui veulent tout bouffer. C’est une structure d’affaire qui met certaines personnes entre le marteau et l’enclume. Mais je ne me plains pas parce que c’est mon choix de vie.»

Car à 62  ans, l’imprévisible président de CMA en a vu d’autres. Après des études de médecine, il a suivi une brillante carrière de banquier d’affaires à Wall Street «dans les années où on s’amusait beaucoup». 
A Londres, il fonde et préside la banque d’investissement AIG Financial Products, une société qui, bien après son départ, a fait sauter la maison mère American International Group et a déclenché la crise de 2008. Passé par la banque 
Lazard et le conseil d’administration de la Faculté de médecine de Harvard, il retrouve Genève et la banque UBP, afin d’élever ses trois filles en Suisse, avant de s’intéresser à la société des remontées mécaniques au début des années 2000. Aujourd’hui divorcé, il vient de s’offrir un appartement à Crans dans une nouvelle résidence construite sur les terres de son enfance par Nati Felli, la propriétaire brésilienne du Guarda Golf.

Pour Charles-André Bagnoud, son ami de longue date qui a une étude d’avocat au centre de Crans-Montana, «Philippe est une intelligence supérieure. Il a un côté fascinant. Des fois, je me dis que je ne vaux rien à côté.» Car depuis trois ans, Philippe Magistretti suit tous les matins des cours de chinois. Il a également obtenu un master en philosophie et ambitionne d’écrire un livre sur la philosophie des sciences. «C’est un homme très intelligent, confirme David Bagnoud, président de la commune de Lens. Et comme souvent, les gens extrêmement brillants ne sont pas les meilleurs en communication ou en relations humaines.»

Selon Charles-André Bagnoud, on peut résumer cette saga ainsi: «C’est deux mondes qui s’affrontent: la finance et la politique. Philippe et Radovan sont des hommes d’affaires. Quand on dit blanc, eh bien il faut faire blanc avec eux. Ils en avaient certainement marre des tergiversations et ont voulu montrer comment ils se comportaient en négociation. Même si c’est un peu malheureux.»

Mais alors que Philippe 
Magistretti tente de minimiser les dégâts provoqués par une telle opération coup de poing, à Crans-Montana Tourisme, c’est l’incompréhension et le sentiment d’avoir été pris en otage qui 
prévalent. «Rien ne justifiait cette action, se désole son président Jean-Daniel Clivaz. Aujourd’hui, les dégâts d’image sont monstrueux et se chiffreront en millions pour une fermeture capricieuse de deux jours. C’est inexcusable.» Une démonstration de force d’un autre temps qualifiée d’«autogoal volontaire» et aux conséquences dramatiques pour la station. «C’est allé beaucoup trop loin, affirme David Bagnoud. Je suis très déçu et j’ai beaucoup d’amertume. La fermeture, c’est inconcevable. C’est déclencher la guerre.»

Des sentiments que ne partage pas Philippe Magistretti. «Ceux qui se promènent en disant que c’est la fin de Crans et que le déficit d’image est énorme, ce n’est pas sérieux. Le mardi de Pâques, il n’y avait que 700 skieurs. C’est malheureux, certes, mais ce n’était pas un 28  décembre avec 15 000 personnes. Ça ne remet pas en question le business model de la marque Crans-Montana.»
Aujourd’hui, les communes et Crans-Montana Tourisme tentent de jouer la carte de l’apaisement face à cette manœuvre qui ne les laisse pas moins pantois et qui ne pourrait être que «la pointe de l’iceberg». Quant aux commerçants, ils comptent bien demander réparation pour le manque à gagner. Du côté de CMA, en revanche, on ne cache pas sa satisfaction. «Nous avons eu raison et donné l’image d’un groupe qui se soucie de sa 
pérennité», se réjouit Philippe 
Magistretti. Et pour l’avis tchèque, on repassera. «Vous savez, quand vous leur expliquez que sur deux kilomètres vous ne pouvez pas vous entendre, ils se demandent si vous n’êtes pas complètement fou.»

Par L'illustré publié le 10 avril 2018 - 00:00, modifié 17 mai 2018 - 10:50