Voyager en avion? Même pas peur! Sortie de son panier de transport dans l’appareil qui la mène de Vienne à Berne, puis deux fois encore au passage de la douane à l’arrivée, Mini ne montre pas un poil de stress. Et passe une nuit d’hôtel paisible avec Pia Maria, sa maîtresse.
Mais le lendemain, à peine les portes de la Kleintierklinik franchies, la petite chatte se hérisse. «Elle sait faire la différence entre l’avion et la clinique vétérinaire», constate Pia Maria. Et encore. Ce que Mini ne sait pas, c’est qu’elle a rendez-vous avec l’un des pontes mondiaux de la neurochirurgie animale, le Pr Franck Forterre, pour être opérée d’un méningiome, une tumeur au cerveau. Et que cette expérience, qui va lui sauver la vie, va aussi être la plus stressante de son existence.
Qui ne miaule mot consent-il?
Des professeurs aux vétérinaires, des assistants aux étudiants qui travaillent et se forment à la Clinique pour petits animaux, l’opinion est unanime: un chien difficile est plus facile à traiter qu’un chat difficile. Et ce n’est pas Mini qui les fera changer d’avis. Décidée à ne pas se laisser faire, la minette de 3 ans, grondant, feulant et crachant, met les pattes contre le mur à toutes les étapes de sa prise en charge, bien que tout le monde, dont la comportementaliste de service appelée à la rescousse, fasse son possible pour la rassurer sans la brusquer.
Lorsque, enfin, elle sera sur la table d’opération, après une IRM et les péripéties d’une anesthésie à laquelle elle aura mis toute son énergie à résister, il suffira de quarante petites minutes au Pr Forterre pour extraire la tumeur, une grosseur de 1,3 cm de diamètre. Et sauver ainsi la vie de Mini… du moins jusqu’à une éventuelle récidive, possible chez les jeunes chats.
«C’est très dur de voir Mini tellement stressée, avoue Pia Maria, très dur d’avoir dû prendre la décision pour elle de signer un consentement auquel elle n’a pas consenti. Comme j’ai dû le faire pour ma fille, lorsqu’elle était enfant.»
Le grand art du vétérinaire
Pour prendre des décisions aussi difficiles, les maîtres peuvent compter sur des professionnels conscients de leurs dilemmes. «Le Tierspital est un hôpital universitaire dont le but premier est de former de jeunes vétérinaires, souligne le Pr David Spreng, directeur de la Clinique pour petits animaux et vice-recteur de la faculté. Dans le cadre de cette formation, un accent particulier est mis sur le relationnel. Sentir quel type de relation est présent entre le maître et l’animal, afin de trouver le bon niveau de communication: ça, c’est le grand art du vétérinaire! Pour certains, un chien ou un chat n’est «qu’» un animal quand, pour d’autres, c’est un membre de la famille. Et cela change tout!» On le sent bien au Tierspital, dont la qualité d’accueil et de prise en charge est réputée loin à la ronde, tant pour l’animal, traité avec respect et un maximum de douceur, que pour son maître, souvent bouleversé, qui se voit offrir une écoute empathique.
«La plupart des propriétaires sont réalistes et raisonnables», juge pour sa part le Dr Thierry Francey. Expert en néphrologie, dingue d’animaux depuis tout petit, il ne favorise pas les interventions qu’il ne ferait pas à son propre chien ou chat. «Si j’ai l’impression qu’un traitement n’est éthiquement pas responsable, je ne le fais pas! Si tout est OK mais que le propriétaire dit non par principe, j’essaie de le motiver; quant à celui qui ne veut pas soigner son animal pour des raisons financières, je peux comprendre.»
Quand on aime…
Les coûts d’une prise en charge peuvent en effet être dissuasifs, même s’ils sont largement au-dessous de ceux de la médecine humaine. Pour la tumorectomie de Mini, par exemple, le prix annoncé à sa propriétaire était de 2000 francs, dont la moitié à régler directement lors de l’entrée en hospitalisation.
Subventionné par la Confédération, le canton de Berne et des fonds privés, le Tierspital doit gagner la grande partie de son pain – «on n’a pas d’assurance derrière», souligne le Pr Spreng. Les tarifs pratiqués doivent toutefois tenir compte de ce que les propriétaires peuvent et veulent payer pour leurs compagnons. Car, le plus souvent, l’argent sort tout droit de leur poche: le vice-recteur estime en effet que seulement 20 à 30% des personnes qui consultent aujourd’hui à l’hôpital universitaire sont au bénéfice d’une assurance pour leur animal.
Marina et Laurent, eux, n’ont pas hésité quand leur chatte bengale Diamantine, dite Diams, s’est mise à souffrir de problèmes rénaux à cause d’une obstruction des uretères. «Je l’aime tellement, confie Marina. Ils nous ont dit qu’ils pouvaient la sauver, alors c’était évident qu’on fasse le traitement.» Malgré les coûts annoncés, 4000 à 5000 francs pour l’opération et les sept à dix jours d’hospitalisation, et 1000 francs de plus par an pour l’entretien du dispositif implanté tous les trois mois. Sans négliger la demi-journée à consacrer à l’expédition et les deux bonnes heures de route aller-retour, de Vaud à Berne.
C’était il y a deux ans. Diams a bénéficié du traitement de pointe que le service de néphrologie dirigé par le Dr Francey pratique depuis bientôt quatre ans, la mise en place de deux SUB (pour subcutaneous ureteral bypass), afin de relier chaque rein à la vessie en contournant les uretères, grâce à deux cathéters reliés à un port sous-cutané. Et la friponne se porte comme un chat… rme!
Les humains cobayes des animaux
Malgré les apparences, et Dieu sait qu’on peut rester baba devant l’équipement de la Clinique pour petits animaux et ses différents services, neurologie, cardiologie, neurochirurgie, orthopédie, anesthésie ou encore radiologie, la médecine vétérinaire n’en a pas moins de dix à quinze ans de retard sur la médecine humaine. Normal. C’est d’elle qu’elle s’inspire, ce sont ses outils qu’elle utilise en les adaptant au besoin. «Si un implant humain marche pour l’animal, OK, mais par contre un implant spécifique pour l’animal ne sera que rarement développé», précise le Pr Franck Forterre.
Juste retour des choses, nous servons donc de cobayes à nos compagnons. La dialyse qui va aider le labrador Inuk à récupérer de sa leptospirose est toute pareille à celle d’un bipède, à l’exception de sa durée: chez les animaux, une dialyse chronique est inenvisageable. On recourt à cette thérapie – que le centre est le seul établissement à offrir en Suisse – seulement de manière ponctuelle, durant trois ou quatre jours, pour passer le cap.
Une nuit aux urgences
La clinique a même un service d’urgences, de 17 heures à 8 heures et les week-ends, une sacrée responsabilité pour celle – les femmes sont majoritaires dans le métier – ou celui qui l’assume. La nuit du 26 au 27 mars, c’est William Pownall qui est de garde. Ce jeune vétérinaire déjà chevronné compte huit ans d’études et de formation (dont deux au Tierspital) et en envisage cinq de plus, pour un PhD et une résidence en chirurgie au Tierspital. Il gère le prévu, les patients en stationnaire et aux soins intensifs, comme le saint-bernard qui s’est cassé la patte en sautant du deuxième étage («j’ai eu des semaines où j’avais jusqu’à 60 patients»), et les trois urgences annoncées.
Un dalmatien désorienté, un bouledogue français souffrant d’une pneumonie d’aspiration qui se moque de savoir que c’est son anniversaire, une femelle boxer, bringée, qui traîne une patte. William, avec ses assistants et les élèves de piquet, pare à l’essentiel, les labos ne travaillant que la journée, comme la médecine interne qui reprendra les cas. Et puis, à 0 h 23, c’est l’imprévu. Balou, un gros toutou, un adorable bâtard de 10 ans, s’est probablement retourné l’estomac. Sa vie est en jeu.
A la vie, à la mort
William réalise les examens nécessaires pour confirmer le diagnostic, tire de leur lit anesthésiste et chirurgien. A 3 h 30, l’opération est terminée, le ventre de Balou refermé. Tout baigne et William en informe les propriétaires, morts d’inquiétude, par téléphone. Joie de courte durée, hélas, car Balou meurt le lendemain d’un arrêt cardiaque… Une perte très douloureuse pour ses maîtres, qui adoraient leur «lion», mais un coup dur aussi pour William, qui croyait vraiment le chien tiré d’affaire.
Heureusement, les histoires d’amour ne finissent pas toutes mal au Tierspital. A peine dans l’avion qui la ramenait vers Vienne avec sa maîtresse Pia Maria, Mini retrouvait tout son allant et se laissait même faire des câlins par l’hôtesse.