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Destin

Lionel Clerc: «Aujourd’hui, je suis un homme apaisé»

La beauté peut être un cadeau empoisonné. Celle de Lionel Clerc lui a ouvert les portes du mannequinat, un titre de vice-Mister Suisse, mais l’a aussi entraîné dans une vie de luxe et de démesure qui l’a conduit en prison pour escroquerie. Son livre raconte cette trajectoire rocambolesque. Et sa reconstruction.

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Lionel Clerc

La naissance de Lehyan, le 8 juillet dernier, a aussi été pour Lionel comme une renaissance. Le quadragénaire mène désormais la vie ordinaire d’un père de famille comblé avec son fils et sa compagne.

Darrin Vanselow

Un homme qui tient un nouveau-né dans ses bras. Une scène attendrissante, surtout quand le père vous dit que la naissance de son fils, le 8 juillet dernier, a été pour lui «une véritable renaissance». C’est Lionel Clerc qui s’exprime ainsi. Barbe de quelques jours soigneusement taillée, tenue décontractée chic sport, le vaste et lumineux appartement de Pully où il nous accueille donne sur un jardin entouré d’arbres, un calme étonnant à seulement quelques encablures du centre-ville. «On vient d’emménager», explique-t-il fier de nous montrer son nid décoré avec goût dans lequel il habite avec sa compagne Lyna et son fils Lehyan. «Il y a toutes les lettres du prénom de sa mère dans son prénom. J’espère qu’il aura ses yeux marron.» Inutile de le dire, Lionel est un homme amoureux. Mais si son fils a ses yeux verts, ce ne sera pas plus mal non plus.

Ce joli faciès qui ne déparerait pas la une de GQ vous dit peut-être quelque chose? 2007. Mister Suisse, l’époque où les concours de beauté étaient encore en vogue. Lionel était monté sur la deuxième marche du podium. Un beau gosse déjà repéré durant un séjour linguistique en Californie. «Tu devrais faire du mannequinat», lui avait dit un professionnel rencontré par hasard. Bye-bye les bilans comptables qui devaient être son quotidien après son brevet fédéral d’analyste financier, le Romand avait saisi sa chance. Recruté très vite par de grandes agences: Milan, New York, Mexico, Athènes. Défilés, catalogues, pubs, il y en eut beaucoup pour Coca, Carlsberg, des meubles et même des chewing-gums, se souvient-il amusé à l’évocation du casting où il avait fallu embrasser quantité de filles… Une vie passablement bling-bling, à surfer sur tous les continents et où la principale préoccupation ontologique tient au souci, dit-il, «de parfaire le bronzage d’un corps qui était notre outil de travail».

Lionel Clerc à l'élection de Mister Suisse 2007

Ce samedi 14 avril 2007, Lionel, 24 ans, défile torse nu pour l’élection de Mister Suisse. Il remportera la deuxième place.

Salvatore di Nolfi/Keystone

Trouver de l’argent à tout prix
 

Un ange passe. Ce temps est bien révolu. Lionel publie aujourd’hui un livre au titre évocateur, «Victorieux malgré le démon». Ecrit avec la collaboration du journaliste Pascal Pellegrino. Un livre confession, un livre rédemption, même s’il préfère le mot reconstruction, moins connoté religieusement. Un livre pour se pardonner, pour demander pardon à ceux qu’il a fait souffrir, car l’homme revient de loin. Cette beauté donnée à la naissance a été d’une certaine manière un cadeau empoisonné. Avoir une belle gueule et une silhouette qui culmine à plus de 1m90 peut vous entraîner dans un monde où on perd le sens des réalités et la morale qui va avec. C’est ce qui est arrivé à Lionel. Qui a passé un an de semi-détention à l’établissement pénitentiaire du Levant, à Lausanne, pour escroquerie par métier, faux dans les titres et blanchiment d’argent. Pendant cinq ans, ce deuxième plus beau mec du pays a volé 1,76 million de francs à la multinationale suisse pour laquelle il travaillait. Ses 40 ans, il les a fêtés en prison avec une boîte de raviolis. Loin des restaurants de luxe qu’il avait si souvent fréquentés. Il évoque sans fausse honte ce premier retrait délictueux au bancomat, en 2010, avec une carte de crédit dormante qui ne lui appartenait pas. Il créera par la suite différents comptes d’émissaires bidons à qui il versera des salaires fictifs.

Le mélange de culpabilité et d’excitation, l’adrénaline suscitée par la transgression, «croquer de temps en temps dans la pomme du péché», et puis la fuite en avant avec Claudia, sa compagne de l’époque, une femme fascinante mais habituée à un train de vie plus TGV que ligne régionale. Avec sac Vuitton à 25 000 francs et pot de crème de beauté jamais en dessous de 500 francs. Quand le couple s’installe dans un bel appartement au-dessus de Montreux, Lionel, qui a repris un job d’analyste financier, pensait que son salaire confortable suffirait à maintenir leur niveau de vie, «que Claudia allait s’adapter». Il n’en fut rien. Dès lors, écrit-il en page 50 du livre, «l’objectif s’est très vite mué en trouver à tout prix de l’argent… et rapidos»!

Faire la paix avec soi-même
 

On admire chez lui cette sincérité à évoquer sans fard ce passé en dents de scie. «Je n’aimerais pas qu’on me résume à cette fraude, mais j’en assume l’entière responsabilité.» Il évoque encore son état d’esprit de l’époque, son addiction aux drogues, cette peur du gendarme qui le rendait de plus en plus paranoïaque, le poussant à dormir avec une canne de golf près de son lit et une ceinture contenant 100 000 francs au cas où il faudrait partir précipitamment.

Le couple se sépare en 2014 au terme d’une tactique digne d’un polar mise au point par Lionel. L’ex-mannequin ne reverra sa compagne qu’à son procès. Aujourd’hui, c’est un homme qui a fait la paix avec lui-même qui veut partager ce vécu, peu importe ce qu’on pensera de lui. Il a retrouvé un travail dans une petite e-entreprise qui l’a même engagé un an avant sa peine de prison. Il a continué d’ailleurs à se rendre au boulot la journée durant toute sa semi-détention. «Je rembourse 1500 francs par mois à mon ex-employeur. Je sais qu’il me faudra au moins un siècle pour effacer mon ardoise.»

L'ex-mannequin Lionel Clrec chez lui à Pully, pratique parfois la méditation

Lionel pratique parfois la méditation, qui lui permet de se recentrer et de trouver une certaine paix intérieure. Aujourd’hui, il a retrouvé du travail et est reconnaissant pour cette deuxième chance qu’on lui offre.

Darrin Vanselow

La parenthèse bouddhiste
 

Il y a une sérénité chez ce jeune quadra qui n’est pas étrangère aux différents objets bouddhistes ici et là dans son appartement. Petit retour en arrière. En 2015, il s’est envolé dix jours dans un monastère népalais, dont deux dans un total silence, à prier, à se familiariser avec les préceptes du bouddha, à tenter de ramener un peu de calme en lui. «Je suis passé alors de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être», confie-t-il. C’est au terme de ce séjour que le Rimpoché lui donne son nom bouddhiste: Jampa Namgyal, «victorieux malgré le démon». On lui demande ce qui l’a empêché de mettre un terme immédiat à ses activités délictueuses au retour du Népal. «Je crois que je n’étais pas encore prêt. Mais j’ai effectué mon dernier retrait frauduleux au bancomat en décembre de cette année-là.» Il y aura encore ce séjour salvateur en Espagne, son purgatoire, son «Fort Boyard» de l’âme», puis le départ au Mexique pour se réinventer hôtelier dans le Yucatán.

manuel bouddhiste de Lionel Clerc

Un manuel bouddhiste, souvenir de son passage dans un monastère népalais en 2015.

Darrin Vanselow

Côté cœur, il y aura aussi la rencontre avec Gretell, qui, comme son prénom ne l’indique pas, est une star mexicaine de «telenovelas». Doublée d’une femme d’affaires redoutable. Il l’épouse le 8 décembre 2018. Mais l’idylle ne durera pas. Lionel a déjà été rattrapé par la justice de son pays. Onze heures d’audition un an auparavant dans le bureau d’un procureur vaudois. Il sera condamné en première instance en juin 2020 à 3 ans de prison, dont 18 mois ferme et 18 mois de sursis, mais obtient en appel une prolongation de son sursis à 24 mois qui lui évite la prison ferme. «Mais à la moindre incartade en semi-détention, précise-t-il, ou si je ne rembourse pas ma dette tous les mois, je pars direct en prison!»

Il y a dans le livre cette très jolie photo en noir et blanc de lui à sa sortie de sa semi-détention le 24 juillet 2022. Comme un nouveau départ, une promesse d’une nouvelle vie avec Lyna, cette entrepreneuse indépendante intriguée par ce garçon attirant mais un peu secret. Lionel ne lui a bien sûr rien caché de son passé mais hésitait à s’engager. Lyna a fait fondre sa réserve, il y avait assez de confiance entre ces deux-là pour faire un enfant ensemble. «Elle m’inspire beaucoup, confie-t-il, elle ne m’a pas jugé, tout comme mon employeur qui m’a donné une deuxième chance. Mon objectif aujourd’hui, c’est de me démener pour montrer qu’on a eu raison d’avoir confiance en moi.»

>> «Victorieux malgré le démon», un livre de Lionel Clerc, aux Editions Favre

Par Patrick Baumann publié le 11 novembre 2023 - 22:21