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L'exploit

Louis Margot: «Sur l’eau, un jour pouvait durer une seconde»

Après 76 jours à ramer sur l’Atlantique, le baroudeur et rêveur vaudois Louis Margot est arrivé le 28 février en Martinique. Avec profondeur, il raconte combien il a dû se «détacher du temps qui passe» pour résister. L’aventure continue. Il vise le record du tour du monde accompli à la seule force humaine.

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Louis Margot

Le 28 février, Louis Margot (32 ans) s’apprête à aborder au port de plaisance du Marin, au sud de la Martinique. Parti le 13 décembre des Canaries, il a ramé sur plus de 6500 kilomètres sur l’Atlantique, sans cacher des moments de grande difficulté.

David LANISTA

Pour ceux qui ont un peu de mémoire en matière d’aventuriers sur les mers, il y eut du Stève Ravussin mâtiné d’une rasade de Roger Montandon dans l’arrivée de Louis Margot au sud de la Martinique, une fin de matinée ensoleillée de février. Ce sportif chaleureux, qui pratiqua longtemps l’aviron au niveau international, jusqu’à devenir champion du monde junior en 2010 et à participer au mythique duel Oxford-Cambridge sur la Tamise, suscite un émerveillement d’enfant. Il exprime son incrédulité d’avoir traversé la grande gouille tout en dégageant un naturel absolu, avec des mots comme «chenit» ou «micmac» prononcés avec bonhomie et le jovial accent vaudois de Colombier-sur-Morges, le village d’où il vient. Le lendemain de son arrivée, quand on l’a joint, il en était au stade où il essayait de retomber sur terre. «Là, je suis en train de vivre un moment dont j’ai rêvé depuis longtemps. Le fait de le vivre vraiment, c’est un peu bizarre. Je peux enfin me relâcher, me dire que c’est fait, mais ce n’est pas facile de décrocher. Je me suis mis tellement de pression.»

- Est-il facile de vous remettre à parler?
- Louis Margot:
Bonne question. Sur l’eau, je n’ai eu que quelques appels avec des amis. Sinon, silence total. Je me sens comme si j’avais été un autre Louis pendant la traversée et qu’on m’avait remis dans mon corps de base en revenant sur terre. Quand on a recommencé à me parler, j’ai souvent répondu simplement, parce que j’avais oublié pas mal de mots de vocabulaire. 

- Vous dites que vous avez l’impression de revenir d’une planète étrangère…
- Oui, j’ai la sensation de débarquer de l’espace et de revenir sur Terre. Tout est tellement différent sur l’eau, surtout sur un bateau à rames et pendant aussi longtemps. Je n’avais aucun des conforts de base d’un voilier normal. 

- Est-ce une performance plutôt physique ou mentale?
- C’est beaucoup plus un voyage intérieur qu’une performance physique, en vrai. Ce à quoi j’ai le plus pensé pendant ma traversée, c’étaient les choses les plus simples de la vie. Ma famille, mes amis, un bon plat, boire un truc frais avec quelqu’un. Cette simplicité, ce n’était pas une idée sortie par un théoricien quelconque: je l’ai effectivement ressentie à l’intérieur de moi. J’ai compris qu’on n’a pas besoin de beaucoup pour se sentir bien et à quel point l’environnement influence notre perspective. Si la performance physique existe, c’est l’âme à l’intérieur de nous qui compte. Nous sommes capables de grandes choses. La seule limite est celle qu’on se place en nous-mêmes. 

- C’est long, 76 jours seul sur l’eau. Comment avez-vous vécu la monotonie des journées?
- Pour résister, j’ai dû me détacher du temps qui passe. Au début, je suis parti en mode performance: je rame pendant huit heures, je regarde mes moyennes, j’observe mes vitesses. En fait, j’ai vite vu que ce n’était pas possible. C’était trop long, trop dur. J’ai donc tout abordé de façon plus méditative. J’ai essayé de me distancier des minutes qui passent. J’ai enlevé ma montre, je n’ai plus regardé mes vitesses, j’ai fonctionné par rapport au soleil. C’était difficile mais, quand je réussissais à le faire, une journée pouvait passer en une seconde. J’ai aussi écouté beaucoup de musique zen, méditative. Je suis parti en fuite, sans référence avec le temps. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu cette partie océan car sur le vélo on reste très enraciné. Je voulais m’extraire des illusions, des influences sur la terre ferme qui ne sont pas forcément pures, des idées qu’on veut nous inculquer. Là, face à la nature, tout seul, on en découvre beaucoup plus à l’intérieur de soi.

 

- En vous rapprochant de la terre, tout a changé?
- En fait, le vrai voyage se passe au milieu de l’océan, là où on est totalement seul. Sur la fin, je me suis mis de nouveau à regarder l’heure. J’ai retrouvé la compétition, j’ai été happé par le stress de l’arrivée et de la terre ferme. Il a fallu m’organiser, plein de choses ont commencé à se passer. Puis il y a eu des bateaux partout pour venir me dire bonjour et c’était la folie sur les réseaux. Mon Instagram, quelqu’un le gérait pour moi. J’y allais de temps en temps, aussi pour me motiver à des moments où j’étais dans le dur. J’ai eu tellement de messages, 62 000 followers, plus de 700 commentaires. Je ne m’attendais pas du tout à cela. 

- A quoi sert votre aventure?
- Les réactions des gens qui me font le plus plaisir sont celles qui me disent que cela les motive à faire quelque chose dans leur vie. En Martinique, un gars est venu en béquille, il a traversé toute l’île juste pour me voir. Cela me touche beaucoup plus que de rencontrer une personnalité qui me félicite. Les gens ont besoin de ce souffle de vie parce que l’existence est dure. Avec certains, on sent tout de suite dans leur regard qu’il n’y a pas besoin d’expliquer pourquoi j’ai fait tout cela. Souvent, ceux qui me posent la question du pourquoi ne peuvent pas comprendre la réponse. Je crois qu’entre le covid et les guerres, les gens ont besoin de respirer et de voir des choses positives.

- Travailler huit heures par jour, c’est aussi difficile…
- Mon projet n’est pas une critique de la vie standard. Je l’ai vécu et je le revivrai sûrement un jour. Dans mon voyage, il y avait aussi une certaine routine. Cela devenait mon boulot de ramer; 90% de ma traversée était des trucs pas marrants que je n’avais pas envie de faire. Je devais me laver, faire ma lessive, ranger le bateau, faire le ménage, comme dans une vie normale. Mais ce que je fais, c’est vivre mon rêve. J’ai suivi des études, obtenu un master de génie mécanique, tout ce qu’il fallait. Un jour, je me suis vu dans quarante ans après avoir passé ma vie à travailler. Etait-ce cela que je voulais? Le temps passe si vite, il s’accélère même. 

- En passant tant de temps en mer, le corps change-t-il?
- L’impact du sel et du soleil est réel. Tous mes poils sont blancs, j’ai les cheveux blonds, je suis bronzé, j’ai la peau qui pique. Les yeux, je les avais bien protégés, avec un chapeau et des lunettes tout le temps. J’ai aussi perdu des kilos. A l’œil, entre cinq et dix, même si je ne suis pas allé sur la balance. Je me rends compte que le corps humain est magique.

 
Retrouvailles entre Louis Margot et ses parents.

Emotion à l’arrivée avec son père, Jean-Richard, qui s’occupe de la logistique du projet, tandis que sa mère Karin gère les finances.

 
David LANISTA

- Allez-vous couper votre barbe d’ermite?
- (Il rit.) On m’a invité à la tailler et il le faut, cela devient n’importe quoi, même si les gens l’aiment bien. Les cheveux aussi, c’est le chantier.

- Quel est le programme, maintenant?
- Je vais me reposer en tout cas un mois et j’ai un milliard de trucs à faire. Les réparations, la logistique, les relations publiques. Je ne vais pas être sur mon canapé devant la télé. 

- Qu’est-ce qui pourrait vous arrêter?
- Il existe deux obstacles majeurs. Moi-même, soit le psychologique ou une blessure, et un incident météo. En seconde zone, mon financement de 480 000 francs n’est pas bouclé. Là, j’ai assez pour aller jusqu’au départ dans le Pacifique. Ce qui coûte vraiment cher, c’est cette partie sur l’océan, bien davantage que les portions à vélo. Les marinas, les assurances, les réparations, tout est onéreux. 

- C’était quoi, le meilleur moment sur l’eau?
- Etre posé dans ma cabine un soir de nuit étoilée, sans vagues, sans vent, sans lune. Donc rien. La mer est d’huile, rien ne bouge. Comme la lune n’est pas là, la lumière des étoiles est forte. Tu es dans le ciel, c’est fou.

 
Par Marc David publié le 12 mars 2024 - 09:00