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La rencontre

Luc Bruchez, le Romand qui tourne avec Laetitia Casta

En misant sur un novice valaisan pour incarner Gus, le héros de son film «Le milieu de l’horizon», la Suissesse Delphine Lehericey a eu le nez fin. Le jeune Sédunois Luc Bruchez fait merveille aux côtés de Laetitia Casta. Rencontre.

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Laetitia Casta, ici sur le tournage, ne tarit pas d’éloges à propos de Luc. «Dans le registre dramatique, il était parfait! Une fois la scène terminée, il redevenait un enfant.» Gjorgji Klincarov

On dit que la chance fait partie du talent. L’aventure du film «Le milieu de l’horizon», tiré du roman à succès du Lausannois Roland Buti, n’en manque pas. Il y a plus de deux ans, la réalisatrice suisse Delphine Lehericey avait choisi ses rôles principaux, Laetitia Casta et Thibaut Evrard, pour incarner un couple de paysans. Des éleveurs de poulets accablés par la canicule de 1976. L’eau manque et leurs bêtes meurent une à une. Lorsque Cécile (Clémence Poésy) fait irruption dans cette vie de labeur, les deux femmes s’attirent. Leur passion amoureuse va faire éclater la cellule familiale. Pour compléter la distribution, il fallait trouver Gus, le fils. Un garçon d’une douzaine d’années. Il serait de tous les plans et porterait le film sur ses épaules.

A l’affiche de ce long métrage intense et dépouillé, l’heureux élu est le jeune Valaisan Luc Bruchez, 14 ans cette année. «Je cherchais une perle. J’ai eu de la chance. Lorsque je l’ai vu, j’ai su que c’était lui. Il avait le truc», commente la cinéaste. Elle ajoute: «En plus, il ressemblait au petit fermier qui orne la couverture du livre sorti en 2013. C’est dingue!»

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Luc Bruchez, 14 ans, ici au cinéma Arlequin, à Sion, porte désormais des lunettes. Il a poussé de 20 cm depuis le tournage. Sedrik Nemeth

Sec comme un haricot, pas franchement fan de cinéma, Luc a une douzaine d’années lorsque sa maman entend l’annonce du casting à la radio. Les auditions se terminent à 19h30. «Ça t’intéresse?» demande-t-elle à son fils. «A l’école, c’était la routine, je m’ennuyais. C’était sympa d’aller voir.» Sur place, des centaines de mômes tentaient leur chance. «J’étais le dernier. On m’a posé des questions et demandé d’improviser une scène. J’ai toujours aimé les jeux. Alors je me suis prêté au jeu.» L’expérience se terminait par un: «On vous recontactera.» Un mois plus tard, une invitation à se présenter à Lausanne allait sceller son destin.

Deuxième round

Lors de ce deuxième round, les mères louaient les mérites de leur trésor: «Mon fils a fait dix ans de théâtre. Il est passionné de Molière», dit l’une. Une autre ajoutait: «Le mien a joué à Paris.» Le petit Bruchez, parfait novice, s’était armé de son naturel. «En arrivant, j’ai dit: «Salut, je m’appelle Luc, je fais du karaté. C’est cool, quoi!» Il avait lu le livre et appris trois scènes. «Sans me vanter, j’ai de la facilité. Je n’ai pas fait d’introspection, ni une monstre analyse des personnages. J’étais au maximum du stress, mais je ne laissais rien transparaître.»

A la fin, Delphine Lehericey n’a donné qu’une consigne: «Laissez-vous pousser les cheveux. Surtout toi», dit-elle en désignant Luc. Il n’allait pas tarder à embarquer dans l’aventure. «Lorsqu’elle m’a appelé pour me dire que j’étais choisi, je ne savais pas comment réagir. Je n’y connaissais rien», fait-il aujourd’hui avec une légèreté désarmante.

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Avant de se distinguer au cinéma, Luc a fait dix ans de karaté et du slam. Son rappeur préféré? «C’est Hugo TSR. Le maître ultime», dit-il sans sourciller. Sedrik Nemeth

Si à l’époque le Sédunois n’avait aucune expérience de comédien, il était slameur à ses heures. Aujourd’hui, une année après la réalisation, une légère myopie lui impose des lunettes. Luc est en deuxième du collège, section latin-grec. Il a poussé de 20 centimètres et porte les cheveux très longs.

«Tension intérieure»

A Sion, Olivier Knupfer, son prof de karaté, connaît bien Luc Bruchez. Il l’a amené au grade de ceinture marron. «Il est tout en tension intérieure, analyse-t-il au Karaté Club Valais. Contrairement à certains enfants de son âge, il est extrêmement réactif, humble, plein de densité.»

A une semaine de la sortie du film, le tournage est presque un souvenir lointain. «Comme quelque chose qui aurait existé dans une autre dimension», dit Luc. Parier sur un débutant comportait une part de risque. Delphine Lehericey a laissé respirer son apprenti comédien. «En le faisant répéter, je me suis aperçue qu’il perdait en spontanéité.» Elle savait que Luc allait vivre un moment extraordinaire à un âge charnière. Si les choses ne se passaient pas bien, l’expérience pourrait s’avérer traumatisante. «Il était loin de ses parents, en Macédoine puis en Belgique pendant sept semaines. C’est un huis clos à ciel ouvert avec une équipe de 40, parfois jusqu’à 100 personnes. Je devais donc construire une vraie relation avec lui, un cadre solide, rassurant, dans lequel il pouvait s’abandonner à la direction d’acteur. Je souhaitais avant tout qu’il comprenne ce qu’il faisait.»

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L’imposant Thibaut Evrard est épatant dans le rôle du papa de Luc, un paysan bourru et aimant. Gjorgji Klincarov

«Tellement parfait!»

La réalisatrice a su saisir l’émotion, comme dans ces films classiques français d’André Téchiné ou de Louis Malle auxquels elle se réfère volontiers. «J’ai travaillé comme on réalise un documentaire.»

Luc est tout en réalisme. A la fois juste et naturel. Son visage pâle encadre un regard pénétrant. Sans dire un mot, il exprime la rage, la frustration, la tendresse, la tristesse. Laetitia Casta souligne: «Il était tellement parfait! Il a une grande capacité à entrer dans le drame, à exprimer la colère. Alors que dans la vie on demande de la freiner. Il jouait pour la première fois. Une fois la prise terminée, il redevenait lui-même, un enfant.» Luc ajoute: «Il y a de moi dans ce personnage. C’est venu naturellement. Comme Gus, j’ai souvent tendance à m’énerver.»

Il ne s’est pas laissé distraire par la machinerie du tournage. «J’étais entouré de gens bienveillants, soutenu par des acteurs professionnels. On a beaucoup travaillé, fait des lectures. Il y avait du répondant, ça t’aide si tu dois pleurer, par exemple. Je n’arriverais pas à le refaire spontanément.» Luc est instinctif. «Avant de jouer, je ne m’isolais pas. Je parlais à quelqu’un, on rigolait cinq secondes et je plongeais direct», souligne-t-il.

Les petites ficelles du métier

Les comédiens ont partagé avec leur jeune camarade quelques ficelles du métier. «Ils m’ont dit d’observer les gens dans la rue afin de saisir des moments comme on collectionne des capsules. Sur un tournage, il faut les ressortir de façon appropriée afin que le cocktail ne soit pas trop fort...»

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Luc Bruchez (T-shirt jaune) dans «Le milieu de l’horizon». Gjorgji Klincarov

Tout le monde souligne l’intelligence de Luc Bruchez. «J’arrive à capter les émotions des gens. On avait pris du retard au début du tournage, à cause du mauvais temps. L’équipe a tenté de me rassurer. Au fond de moi, je savais bien qu’ils se disaient: «Comment c’est la m..!»

«Entre mecs»

Dans l’œuvre littéraire librement adaptée à l’écran, Gus quitte l’enfance et vit ses premiers émois amoureux. Delphine Lehericey a su le préparer. «J’ai d’abord demandé à Thibaut Evrard de le chercher sur ce terrain-là. Je souhaitais qu’ils en parlent entre mecs. Ensuite, je m’en suis ouverte de façon assez directe avec Luc. Pour un ado – et je l’ai expérimenté avec «Puppy Love», mon film précédent – une scène d’amour est souvent plus facile qu’une scène de repas, où il faut gérer plein d’informations en même temps, des gestes, des paroles, des regards.»

Luc a commencé le tournage par un baiser innocent avec la jeune Mado, la fille du village. «C’était difficile car ils ne se connaissaient pas, confie la cinéaste. Je leur ai expliqué qu’il suffisait de poser sa bouche sur celle de l’autre. En les voyant faire, on s’est dit qu’ils n’avaient pas dû beaucoup embrasser avant le tournage», s’amuse-t-elle. Luc avoue: «Cette scène me faisait un peu flipper. Mais ce n’est que du cinéma. On ressent l’adrénaline du moment et la présence de l’équipe facilite le truc.» Au fil de la conversation, il ajoutera: «Maintenant j’ose regarder des films d’horreur. Je sais que tout est faux!»

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L'affiche du film. Précédé d’avant-premières romandes, «Le milieu de l’horizon» sort en salle le mercredi 2 octobre. DR

Figure centrale

Un film, ça ne tient à rien
. Le monde du cinéma aime les révélations, souvent filles du hasard. Celle de Luc Bruchez en évoque une autre: Kacey Mottet Klein, découvert par Ursula Meier dans «Home» (2008) aux côtés d’Isabelle Huppert. «A la différence qu’ici, Luc est une figure centrale, souligne Delphine Lehericey. J’ignore s’il sera l’enfant d’un seul film, comme Eléonore Klarwein dans "Diabolo menthe". D’autres réalisateurs vont le découvrir. J’espère qu’ils auront envie de travailler avec lui. Luc chante, est sportif, il est doué.»

>> Lire l'interview de Kacey Mottet-Klein

Jouer, tourner, il a adoré. «J’ai fait un film, c’était génial. Un 
deuxième? Je sauterais sur l’occasion.» Delphine, sa bonne fée, projette d’adapter une BD pour la RTS et il s’est présenté au casting. Pour les camarades de son âge, il est devenu un objet de curiosité: «On me pose sans arrêt les mêmes questions. Le top 3, c’est: «Tu as gagné de l’argent? Combien? Tu as joué avec des acteurs célèbres?» Lui regarde tout ça avec une distance amusée: «Un film, ça ne tient à rien!» conclut-il. C’est le métier qui rentre...


Par Dana Didier publié le 25 septembre 2019 - 08:35, modifié 18 janvier 2021 - 21:05