Tous les deux 29 ans, ce sont des visages bien connus du sport suisse. Voilà deux saisons, la Vaudoise Charlotte Chable, l’une des meilleures slalomeuses du pays, a dû raccrocher ses skis, poursuivie par des blessures. Détentrice d’un bachelor en communication, elle est aujourd’hui coordinatrice médias de la Coupe du monde masculine. L’escrimeur valaisan Lucas Malcotti, lui, a touché au graal en enlevant en novembre dernier sa première victoire en Coupe du monde à Berne. Les deux champions, elle blonde et souriante, lui cheveux courts et regard perçant, forment aujourd’hui un couple très glamour. Ils se définissent l’un l’autre comme des «têtes de mule», déterminés à réussir dans ce qu’ils font malgré des caractères très différents, discipliné et rigoureux pour Lucas, enjouée, extravertie et rieuse pour Charlotte.
Union sportive
Ce jour-là, c’est au château de la Soie, au-dessus de Savièse, avec sa vue imprenable sur les Alpes valaisannes, qu’ils nous ont donné rendez-vous pour nous raconter leur jolie histoire d’amour. Charlotte revient de Chamonix, où elle a assisté à la désormais légendaire remontada de Daniel Yule, passé de la 30e place à la victoire lors du slalom. «Personne n’aurait misé sur lui, c’était totalement inattendu», dit-elle, avec son visage lumineux. Revenu d’une Coupe du monde au Qatar, Lucas, une fois n’est pas coutume, a pu accompagner sa belle sur place. «Parfois, l’hiver, comme je suis quasi en permanence sur le circuit, on ne se voit pas pendant trois semaines», raconte Charlotte. Les deux amoureux font beaucoup de sports ensemble, de la peau de phoque, du tennis, du golf, du vélo aussi, et c’est là que Charlotte lâche souvent sa moitié quand la route s’élève. «Elle en fait quatre fois par semaine, alors que moi, le vélo ne me sert qu’à la récupération», justifie-t-il, un rien jaloux. Face à la photographe, pas besoin de les forcer: sourires pleins de tendresse, mains qui s’entrecroisent, elle pose délicatement sa tête sur son épaule, la complicité saute aux yeux.
Charlotte comprend d’autant mieux son champion d’amoureux qu’elle a aussi été une sportive d’élite avec ses hauts et ses bas. «Je sais à quel point Lucas travaille. Ces temps, ça marche bien pour lui et je suis contente. Je suis toujours ses résultats en live. Une fois, je me suis essayée à l’escrime, croyez-moi, il faut avoir la tête dure.» Lucas, lui, a été bluffé par la manière dont Charlotte a su rebondir après l’arrêt de sa carrière. «Je l’ai accompagnée lors de sa dernière blessure. Elle a passé son brevet, son bachelor, multiplié les stages, toujours hyperactive. Elle m’a épaté.»
Les deux décrivent la personnalité de l’autre en s’amusant. «Plutôt carré, Lucas tient, par exemple, à avoir ses heures régulières de sommeil, raconte Charlotte. Il ne peut dormir que s’il n’y a ni lumière ni bruit alors que moi, je dors n’importe où, n’importe comment. Suivant un régime équilibré, il ne touche pas à un yogourt s’il est échu, fût-ce d’un seul jour. Alors que moi, je suis plus olé olé.» Ce trait de caractère, Lucas l’assume totalement. «Discipliné, rigoureux, c’est aussi grâce à cela que j’ai percé alors que d’autres avaient plus de talent que moi.» Chez Charlotte, il aime particulièrement «sa joie de vivre, elle me fait beaucoup rire».
>> Lire aussi: Quand la volonté des champions de ski vacille
Un commencement sur la pointe des pieds
C’est déjà cette bonne humeur qui l’avait séduit dès leur première rencontre, en 2020, sur le lac, à l’occasion d’une sortie en bateau avec des amis communs. Ils avaient fait du «wakesurf» ensemble. «Un peu fofolle, Charlotte dégageait beaucoup de charisme.» L’attrait ne fut pourtant pas réciproque ce jour-là. «Oh non, même pas du tout, plaisante Charlotte aujourd’hui. Une copine m’avait dit qu’il y aurait un célibataire sur l’un des bateaux, genre «Charlotte vas-y», et c’était Lucas. Or je déteste qu’on me force la main. Je n’avais aucune idée de qui il était. Alors quand Lucas s’est mis à me parler, je suis restée en retrait, méfiante.» Quelques mois plus tard, après avoir vu Charlotte en photo sur les réseaux sociaux, Lucas, en stage à Macolin, est reparti fleur à l’épée. «Je suis à Macolin, et toi?» Depuis, plus rien ne les sépare.
Deux succès retentissants ont marqué la carrière de Lucas Malcotti. En 2018, à 23 ans, il décrochait le titre de champion du monde par équipe avec la Suisse en Chine. «Intégré six mois auparavant et promis à un rôle de joker, j’avais pourtant disputé plusieurs matchs, dont la finale contre la Corée. Inoubliable.» Et puis il y a donc eu, récemment, ce premier triomphe individuel en Coupe du monde. «C’était magnifique, surtout que, jusque-là, je n’avais jamais dépassé les huitièmes de finale. J’y suis allé sans pression, touche par touche.» Cerise sur le gâteau, dans une finale fratricide, il a battu un autre Valaisan, Alexis Bayard, son coéquipier à la Société d’escrime de Sion. «On se connaît depuis l’enfance, on s’entraîne ensemble, on fait chambre commune en équipe suisse. J’ai dû dormir plus souvent avec Alexis qu’avec Charlotte», rigole-t-il. De Sophie Lamon aux frères Guy et Jean-Blaise Evéquoz, le club sédunois a vu éclore plusieurs médaillés olympiques, ce qui est exceptionnel. «Peut-être parce que le Valaisan n’aime pas perdre, quitte à se faire mal. A 70 ans, Jean-Blaise reste d’ailleurs mon maître d’armes», relève Lucas. Après la déception des JO de Tokyo, où l’équipe suisse avait été éliminée prématurément, le champion rêve de revanche à Paris. «La France, l’Italie et la Hongrie quasi déjà qualifiées, le dernier ticket se jouera entre nous et les Tchèques. Il faudra faire des points ces prochains temps.» L’escrime, il s’y est mis à 8 ans un peu par hasard. «On se promenait dans le quartier du Sacré-Cœur avec ma maman quand j’ai aperçu des escrimeurs à travers une baie vitrée. «C’est quoi ce sport?» ai-je demandé. Je n’ai plus arrêté.»
>> Lire aussi: L'escrime, une histoire de famille chez les Favre
Le même objectif en ligne de mire
Aujourd’hui, Charlotte se dit pleinement épanouie dans son nouveau job: gestion de la presse, réseaux sociaux, interviews des vainqueurs dans l’aire d’arrivée. «J’aime trop ça», dit-elle. Après quatre saisons ponctuées de blessures, renoncer à la compétition avait été à la fois une déchirure et un soulagement. «Je ne pouvais plus continuer. Prendre une telle décision équivaut à un saut dans le vide, on lâche ses rêves du jour au lendemain. Mais je suis fière de ce que j’ai fait.»
Parmi ses 35 courses en Coupe du monde, elle avait frôlé l’exploit lors d’un slalom à Santa Caterina, en 2016. Deuxième de la première manche, elle possédait les meilleurs temps intermédiaires quand elle a chuté à quatre portes de l’arrivée. «Si je pouvais changer un moment dans ma vie, ce serait celui-là.» Aujourd’hui, Wendy Holdener blessée, les Valaisannes Camille Rast et Mélanie Meillard sont les deux meilleures slalomeuses suisses. «Mélanie a retrouvé la confiance après une grave blessure et je sais ce que c’est. Très talentueuse, elle est plutôt relax, alors que Camille est plus soucieuse du détail.» Autre ex-coéquipière, Lara Gut, toujours au top à 32 ans, mais toujours avec cette image clivante d’individualiste parfois arrogante. «J’avais notamment fait un camp avec elle à Ushuaia et on avait beaucoup ri. Depuis l’adolescence, Lara est scrutée de partout, ce qui n’est pas facile à vivre, mais c’est vrai qu’elle n’a pas toujours fait juste.» Aujourd’hui, libérée de ses douleurs, Charlotte s’éclate de nouveau skis aux pieds.
Quand, sur les hauteurs de Savièse, on demande aux deux tourtereaux s’ils ont des projets, un mariage, des enfants, ils répondent d’un oui sans équivoque. Tournés vers le même objectif, comme en sport.