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Le portrait

La Lune, son jardin secret

Commandant de bord long-courrier, le Romand Lukas Viglietti a rencontré 10 des 12 hommes qui ont foulé le sol lunaire. Son livre raconte la folle aventure d’Apollo et le pas historique de Neil Armstrong dont on fête les 50 ans le 21 juillet.

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Le commandant de bord Lukas Viglietti devant l’œuvre «Space Walk» d’Yinka Shonibare MBE, lors de l’expo «Fly me to the Moon» au Kunsthaus de Zurich. Il porte la réplique du gant de Neil Armstrong, qui prononça, en posant le pied sur la Lune, la phrase: «Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité.» © Fred Merz | lundi13

Il y a un demi-siècle, dans son landau posé devant l’écran de télé familial, le petit Romand Lukas Viglietti, ingénieur et actuel commandant de bord long-courrier chez Swiss, n’imaginait pas que les images du tout premier homme sur la Lune devant lesquelles ses parents l’avaient installé deviendraient la passion de sa vie. L’homme hyper-documenté a mis vingt ans à écrire un livre de référence: Apollo confidentiel. Il y raconte la conquête de la Lune à travers sa rencontre avec 10 des 12 hommes qui ont foulé le sol lunaire. Son récit fourmille d’anecdotes inédites, alors que l’on fête le dimanche 21 juillet les 50 ans du premier homme sur l’astre d’argent. Une aventure hors norme où s’entremêlent la technologie, le rêve et l’humain.

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Avant même de déployer la bannière étoilée, les astronautes ont installé le Swiss Flag, une voile mise au point à Berne et destinée à capter les vents solaires. The LIFE Picture Collection via Getty Images

Quelles sont les prémices et le contexte des missions Apollo?

La menace atomique. Dans les années 1950, le monde est divisé en deux: l’URSS et les Etats-Unis. Les armes de type fusées deviennent de plus en plus perfectionnées. Une idée domine: arriver à détruire son adversaire à très longue distance. Le 4 octobre 1957, les Américains détectent au-dessus de leur tête un signal qui fait bip, bip, bip. C’est le choc Spoutnik, premier satellite artificiel de la Terre. La prochaine fois, ce pourrait être une ogive nucléaire. Pour eux, c’est un coup au moral terrible. Ils pensaient détenir la suprématie militaire et ils se disent: «On entre dans l’âge spatial, il faut nous protéger.» L’étape suivante consistera donc à envoyer un homme dans l’espace.

Le 12 avril 1961, avec Iouri Gagarine, les Soviétiques ont une longueur d’avance. Comment réagissent les Américains?

Le président Kennedy décide de placer la barre très haut. Wernher von Braun, père de la fusée Apollo, vendait l’idée d’aller sur Mars. Buzz Aldrin, le deuxième homme à fouler le sol lunaire, me l’a confirmé. «Tu te rends compte, j’ai su ça seulement il y a deux ans!» m’a-t-il dit. Au sein de la NASA, une petite équipe y travaillait en parallèle. En 1965, la sonde Viking, sans grand fracas médiatique, s’est posée sur la planète rouge. Et ça, on l’a oublié! Les premières images du sol martien ont été réalisées quatre ans avant la mission Apollo 11. Mais on était hypnotisé par la Lune.

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En haut: Lukas Viglietti et Neil Armstrong en 2011 en Floride. DR

La guerre des blocs Est-Ouest est digne d’un polar. Tous les coups étaient permis?

Un exemple: à l’époque, mon ami Günther Wendt, une figure de la NASA, avait rendu visite à sa mère à Berlin. Soudain, deux agents du KGB se sont approchés et l’ont sommé de les suivre. Il s’est rendu compte du guet-apens, s’est mis à gesticuler et, par chance, une jeep militaire américaine passait par là. Il a été sauvé in extremis.

Ce même homme vous a confié un secret inouï avant son décès…

Il m’a révélé qu’il y avait, à bord des capsules Mercury, des explosifs afin d’éviter qu’elles puissent être récupérées par les Soviétiques si d’aventure elles coulaient après leur amerrissage. Des hommes ont donc voyagé dans l’espace – et peut-être sur la Lune – en ignorant qu’ils avaient une bombe à bord.

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Lukas Viglietti en 2015 avec Buzz Aldrin, en Suisse, pour un spot TV de Suisse Tourisme. DR

L’informatique d’alors balbutiait. Avait-on les moyens techniques d’aller sur la Lune?

Les calculs ont été développés par Kepler et Newton dans les années 1500-1600. Donc, en théorie, on savait comment s’y rendre depuis trois cents ans. La grande force aura été de réunir 400 000 hommes de toutes les nationalités dans un effort commun. Ce fut un puzzle technologique gigantesque pour que tout s’imbrique parfaitement. Tout le contraire de la légende et de ce qui fait qu’une partie des gens, aujourd’hui encore, ne croient pas que l’homme se soit posé sur la Lune.

Dans l’imaginaire collectif, seuls deux noms se détachent: Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Comment a-t-on choisi qui serait le premier à fouler le sol lunaire le 21 juillet 1969?

En mars 1969, soit quatre mois avant le départ, la presse annonçait Buzz Aldrin. Tout d’un coup, la NASA a dit: «Stop! On ne parle plus d’un «piéton» de l’espace, mais du premier homme sur la Lune, soit du successeur de Christophe Colomb.» Ils ont donc désigné le commandant, c’est-à-dire Neil Armstrong. En avril 1969, Deke Slayton, le chef des astronautes, les convoque pour le leur annoncer. Pour Aldrin, qui s’entraînait à être le premier, c’était une tragédie.

Vous les avez rencontrés. Qui sont-ils?

Neil Armstrong, malheureusement décédé en 2012 (lors d’une opération du cœur, ndlr), était un être extrêmement charismatique. Calme, serein. Ses collègues astronautes se taisaient lorsqu’il arrivait dans une salle. Il illustre bien le fait qu’une faiblesse peut devenir une force: il était quasiment autiste, mais dans son métier, c’était sa force. Buzz, lui, est extraverti. C’est tout le contraire. Il est devenu une sorte de rock star, il a eu recours à la chirurgie esthétique, porte des bagues et des bracelets. Par la suite, il a connu de sévères problèmes d’alcool et de dépression. Il ne s’en cache pas.

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Wernher von Braun, considéré comme le père de la fusée. Universal Images Group via Getty Images

Vous décrivez les astronautes comme aimant les femmes, la vitesse, un peu «bad boys». Cela vous a frappé?

Non, ça m’a rassuré: ce sont des hommes comme vous et moi. En approchant les uns et les autres, je souhaitais savoir comment un être humain arrive à réaliser quelque chose d’incroyable.

Tous ont un point commun: un traumatisme de l’enfance qui les a rendus plus forts.

Il n’existe pas de photo, de face, d’Armstrong sur la Lune. Une vengeance puérile d’Aldrin?
Je pense que oui. Tous deux avaient des appareils photos. Buzz n’a pas fait d’image de son commandant. A ce jour, on n’a que son reflet dans le casque de Buzz Aldrin ou alors des images de dos.

Vous racontez qu’ils ont failli ne jamais repartir. Pourquoi?

Il y a dans le cockpit du module lunaire, ou LEM, des centaines d’interrupteurs. De retour dans la cabine, ils se sont allongés, épuisés, recouverts de poussière lunaire. Soudain, Buzz a dit: «Hé, Neil, c’est quoi, ça?» Une pièce traînait au sol. Ils ont cherché et se sont aperçus que c’était le bouton qui permettait d’enclencher le moteur pour repartir de la Lune. C’est dingue! A la limite du tragicomique.

Ces deux hommes ont vécu une expérience incommunicable. Y a-t-il eu un travail psychologique afin de les soutenir à leur retour?

Aucun. Ils ont été lâchés dans la nature du jour au lendemain. Comme les militaires qui rentrent d’un conflit. Aldrin et Armstrong ont été, en quelque sorte, des «traumatisés de guerre».

On a tous en tête l’image du drapeau américain sur la Lune. Or, vous révélez que le drapeau suisse a flotté avant. Mais comment?

La mission avait embarqué trois expériences scientifiques. La seule étrangère était suisse, destinée à capter les vents solaires avec une voile, le Swiss Flag, mise au point par Johannes Geiss de l’Université de Berne. Elle a été déployée, pour des raisons de timing, avant la bannière étoilée. Sur le mât, on pouvait lire «Physikalisches Institut Universität Bern Switzerland». Les rumeurs disent que dedans était gravée la croix suisse.

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Une image iconique de Buzz Aldrin. Ce dernier, vexé de n’être que le deuxième homme sur la Lune, n’a pas fait de photo de Neil Armstrong de face. The LIFE Picture Collection via Getty Images

La conquête spatiale a fait des morts. Comment est-ce possible alors que l’on est dans de la très haute technologie?

C’est une hiérarchie verticale stricte. Lorsque des gens réalisent qu’il y a un problème, il est alors quasiment impossible de faire machine arrière. Le professeur suisse Fritz Casal, alors jeune ingénieur à la NASA, l’a lui-même constaté à l’occasion de sa toute première séance de travail à Washington. Il avait entendu parler de l’atmosphère à 100% d’oxygène pur à bord du vaisseau pendant les entraînements d’Apollo 1. Il s’est dit: «Pourquoi font-ils ça? C’est trop dangereux.» Un court-circuit a mis le feu et coûté la vie aux trois membres d’équipage, brûlés vifs. Casal le répète aujourd’hui encore: «Je regrette de ne pas avoir eu le courage de le dire.»

Quelle est la finalité d’un tel voyage?

Je vous répondrai en citant Constantin Tsiolkovski (père de la cosmonautique moderne, ndlr): «La Terre est le berceau de l’humanité, mais personne ne reste toute sa vie dans son berceau.» L’homme a toujours eu cette rage d’explorer.

En 2019, on ne peut pas dissocier conquête spatiale, écologie et survie. C’est le but ultime?

Il faut trouver une solution à long terme. La plus facile, ce serait que l’humain prenne conscience de la problématique de notre planète, il en a les moyens. Mais tous nos efforts sont basés sur l’économie, sur l’argent. C’est en quelque sorte une guerre perdue d’avance. Il faut un plan B.

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Le président Nixon salue les trois héros d’Apollo 11, ici en quarantaine. The LIFE Picture Collection via Getty Images

Lequel?

Le projet Terraforma: rendre Mars habitable. Maintenant, on le sait, c’était la première planète habitable dans le système solaire, mais elle a perdu son atmosphère, perdu son eau liquide et vraisemblablement sa vie et ses débuts de vie et est devenue cette planète aride. D’où cet impérieux besoin d’y aller, d’essayer de comprendre, de trouver des bribes de vie. Si on arrive à déchiffrer ce qui s’est passé, on va peut-être sauver la Terre.

A qui appartient la Lune?

La question a été posée en 1967 au sein des Nations unies. Des gens se sont inquiétés du terme «conquête de la Lune». Ce mot ayant une connotation très négative, on a mis des garde-fous. Le Outer Space Treaty décrète que tout corps céleste extérieur à la Terre appartient à l’humanité entière, comme le pôle Sud et le pôle Nord. Aucune nation ne pourra se les octroyer.

Votre passion est totale, vous avez même imaginé «Apollo 11 – The Immersive Live Show». Qu’est-ce que c’est?

C’est un show immersif et familial dans un amphithéâtre de 1600 places, avec des comédiens et un dôme de projection d’une surface équivalant à 16 écrans Imax, où vous revivez le voyage sur la Lune. Mon rêve, modeste au départ – je visais le Hallenstadion à Zurich – est devenu un spectacle total qui a démarré à Los Angeles. J’ai bénéficié du savoir-faire des concepteurs de Mamma Mia! et de Cats à Londres et des metteurs en scène de Walking With Dinosaurs à Las Vegas. On espère 2,5 millions de spectateurs. Si la tournée nord-américaine de 18 villes est un succès, on envisagera une tournée en Europe, en Suisse puis en Asie.


Par Dana Didier publié le 19 juillet 2019 - 15:24, modifié 18 janvier 2021 - 21:05