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Le vécu  

Des lunettes qui rendent la vue aux malvoyants

Saliou a 19 ans et souffre de rétinite pigmentaire. Alors, quand il a testé les lunettes eSight 3, une prouesse technologique permettant aux malvoyants 
de retrouver une partie de leur acuité visuelle perdue, il en a été bouleversé. Pour lui, cet outil représente 
un rêve: celui de l’autonomie.

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Sur le nez de Saliou, testées cliniquement, les eSight 3, qui améliorent la vision des malvoyants. Seul prérequis: un minimum de 3% de vision résiduelle. Blaise Kormann

Cela ne doit pas arriver souvent qu’un document PowerPoint sur les assurances sociales excite l’intérêt d’un jeune de 19 ans. Pourtant, au premier rang de sa classe de l’Ecole professionnelle commerciale de Lausanne, Saliou Sangaré ressemble à un gamin à la veille de Noël. Sur son nez, une visière blanche façon adepte de jeu de réalité virtuelle et, juste en dessous, un sourire radieux, lumineux, contagieux.

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Les verres de l’appareil peuvent être corrigés. Les deux écrans, à l’intérieur de la visière, affichent les images, en haute définition, dans lesquelles on peut par exemple zoomer. Blaise Kormann

Cet apprenti employé de commerce de deuxième année souffre de rétinite pigmentaire. Une maladie de l’œil, génétique et dégénérative, qui entraîne une perte progressive et graduelle de la vision. Dans la plupart des cas, ceux qui en souffrent deviennent aveugles. Saliou, pour l’instant, voit flou. Des ombres et des halos, des taches et des zones grises, avec, sur les côtés, des angles morts. «Ma vision est comme un puzzle auquel il manquerait des pièces, décrit-il. Ce qui me pèse le plus? Je n’arrive pas à me faire de nouveaux amis. On m’a reproché de dévisager les gens, et certains se vexent quand je ne les reconnais pas.» Son œil droit, «le meilleur», dispose d’une acuité visuelle de 40%. A gauche, il voit moins de 10%. Alors, pour les cours et son apprentissage, scolarité normale et exigences standards, Saliou doit plisser les paupières, se concentrer et déplacer son focus entre ses taches oculaires afin de parvenir à lire ce que ses camarades découvrent aisément sur le tableau blanc de la salle de classe.


Si Saliou arbore cet après-midi une mine réjouie, c’est que les lunettes qu’il étrenne pour la seconde fois, et dans le cadre de cet article, sont d’un genre nouveau et totalement révolutionnaire. Les eSight sont une création canadienne. Ces lunettes électroniques, qui permettent à des malvoyants d’exacerber ce qu’il leur reste d’acuité visuelle, figurent parmi les 25 meilleures inventions de 2017 répertoriées par le magazine Time. L’ingénieur en électronique Conrad Lewis rêvait de redonner la vue à ses deux sœurs, quasiment aveugles à la suite d’une maladie de Stargardt. Il a fallu près de dix ans à ce chercheur pour imaginer un moyen d’assistance mobile, où une caméra capte la réalité et la retransmet sur deux petits écrans placés devant les yeux. L’image peut ensuite être travaillée, agrandie et modifiée via une télécommande, pour y changer les contrastes, les couleurs, et ainsi l’adapter à la vision résiduelle de son utilisateur. Un système de reconnaissance des caractères avec synthèse vocale, pour l’heure en anglais uniquement, permet aussi de déchiffrer un panneau d’information, par exemple.

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En classe, grâce aux eSight 3, Saliou peut faire ressortir en blanc les caractères sur fond noir, prendre une photo, zoomer ou se connecter à un logiciel pour les malvoyants. Blaise Kormann

Attendues depuis longtemps

La troisième génération des eSight, sans rivales pour l’instant sur le marché mondial, existe depuis février 2017 en Amérique du Nord. Les eSight 3 ne sont disponibles en Suisse que depuis le printemps dernier. Saliou attendait cet appareil depuis longtemps. «J’en avais entendu parler dans un camp pour jeunes malvoyants et aveugles. Quand l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin a organisé une démonstration, je me suis dépêché de m’inscrire. C’était incroyable! J’ai pu zoomer et voir des panneaux de signalisation, et même lire ce qui était écrit sur une grue à des kilomètres de là. Moi qui peine à prendre le train seul parce que je n’arrive plus à lire l’horaire et les voies du convoi, je n’aurais plus besoin de personne si je les avais.»

Saliou déteste demander de l’aide. «Cela ne fait pas très longtemps que j’accepte de parler de ma maladie, raconte ce jeune homme courageux. A Liège, en Belgique, je suivais une scolarité normale. Ma maladie n’a été réellement diagnostiquée que vers mes 10 ans. Auparavant, ma mère remarquait juste que, à la nuit tombée, je renversais des choses et je trébuchais. Vers l’âge de 14 ans, j’ai perdu d’un coup presque la moitié de mon acuité visuelle. A l’école, je ne voyais plus rien, mais je n’ai pas voulu le dire à ma mère ni à mes enseignants. En rentrant des cours, je regardais sur YouTube des tutoriels sur les théorèmes mathématiques pour compléter ce que j’avais raté en cours.»

Un sésame onéreux

Excellent élève, Saliou n’a pas souhaité poursuivre des études pour réaliser son rêve: devenir chimiste ou biologiste. «Je voulais voir le métier que je ferais plus tard. J’avais envie de travailler avant de devenir aveugle.» La Belgique ne propose pas de système d’apprentissage, alors Saliou fait des recherches et part avec sa mère s’établir en Suisse. Passionné par l’économie, il y réalise son nouveau but: «Devenir employé de commerce. Ensuite, j’aimerais effectuer un brevet fédéral.» Et rester autonome, indépendant, le plus longtemps possible.

Au bénéfice d’une allocation pour impotence faible, Saliou n’a pas encore pu convaincre l’AI de contribuer à l’achat de ces lunettes. Avec les 600 francs de son salaire d’apprenti, difficile de débourser les 9995 francs que coûte l’appareil. En Suisse, quelques dizaines de personnes ont pourtant sauté le pas. Sur les 42 pays où 2000 paires ont été vendues, seuls le Danemark et la Norvège remboursent l’achat. «Cette technologie représente pourtant un réel bénéfice pour ceux qui souffrent, entre autres, de dégénérescence maculaire, explique l’ophtalmologue et chirurgien Michel Sickenberg. J’en ai acheté un modèle de démonstration pour mes patients. Ils pourront ainsi les tester une première fois dans mon cabinet, avant d’apprendre à les utiliser avec une ergothérapeute s’ils se décident à les aquérir. L’avantage de cette technologie par rapport à ce qui existe sur le marché, c’est le cumul de fonctions utiles aux malvoyants: jumelle, loupe, lampe, optimalisation du contraste et même reconnaissance vocale, de manière portative.»

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Indépendant, avec ses lunettes et leur télécommande, Saliou peut déchiffrer, seul, le numéro d’un bus ou d’un quai de gare. Le système de reconnaissance des caractères avec synthèse vocale lui lit un horaire de train. Blaise Kormann


Le porte-parole de la marque en Suisse estime qu’il faut une acuité visuelle minimale de 3% pour que les eSight 3 apportent une plus-value à l’utilisateur. Pour aider ses clients à investir dans ce moyen auxiliaire, l’entreprise, dont le credo est «tout le monde mérite de voir», assiste ses clients potentiels dans leurs démarches de levée de fonds. Emus par le sort de Saliou, ses employeurs, la commune du Mont-sur-Lausanne, se sont engagés à l’aider à exaucer son rêve. Saliou, à son tour, a ainsi décidé de se battre pour les autres: ses amis malvoyants qui rêvent eux aussi de pouvoir regarder leur avenir en face.

Crowdfunding organisé par Saliou Sangaré: www.gofundme.com/UnisPourLaVue

Par Mathyer Marie publié le 12 octobre 2018 - 08:50, modifié 18 janvier 2021 - 21:00