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Télévision

Maïtena Biraben: «J’ai gagné et Bolloré a perdu!»

Bien installée à Paris dans sa nouvelle vie de productrice loin des caméras, Maïtena Biraben savoure avec émotion sa victoire contre Canal+ et son tout-puissant patron, Vincent Bolloré, qui ont dû lui verser 3,4 millions d’indemnités de licenciement.

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Maïtena Biraben photographiée dans les locaux de son agence de production à Paris.

L’ancienne présentatrice de la RTS et du «Grand journal» de Canal+ a installé les petits bureaux de Mesdames Productions au 6e étage de la tour Montparnasse. Un bel exploit quand on sait qu’elle souffre terriblement du vertige, mais la vue sur la tour Eiffel vaut bien cette peine.

Manuel Braun

La pièce est petite, toute simple, décorée d’une multitude de bibelots colorés, rigolos et parfois malicieux. On n’est qu’au sixième étage de la tour Montparnasse, à Paris, mais la vue sur la ville est déjà à couper le souffle. C’est là que Maïtena Biraben, l’ancienne présentatrice franco-suisse de la RTS et du «Grand journal» de Canal+, a installé les bureaux de sa nouvelle vie. Celle de l’après-télé, celle où elle peut désormais savourer sa victoire sur le milliardaire Vincent Bolloré, le patron du groupe Canal+, qui l’a virée en 2016.

Si être devant les caméras, c’est terminé pour elle, sans regret aucun, la passion de l’image, elle, ne s’est pas éteinte pour autant puisqu’elle produit des séries («Has#tag Boomer» sur la RTS l’an dernier, c’était elle) et des documentaires sous l’enseigne de Mesdames Productions, la société qu’elle a fondée en 2019 avec son amie Alexandra Crucq. Vingt-six ans que ces deux-là se connaissent, depuis que Maïtena est arrivée en France pour travailler avec Thierry Ardisson, dont Alexandra était l’assistante. «Nous ne nous sommes jamais perdues de vue et lorsque, bien plus tard, j’ai été virée de TF1, elle a été de ceux qui sont restés présents», confie cette spécialiste des divertissements et des programmes de flux. Il y a trois ans et demi, elle a eu envie de monter sa propre boîte de production et a naturellement confié sa peur à Maïtena, qui animait alors une quotidienne à la radio sur RMC. «Quelques jours plus tard, on s’est revues et elle est arrivée en me disant: «Tu veux vivre le rendez-vous qui va changer ta vie? Viens, on va s’associer!»

Alexandra et Maïtena, la brune et la blonde, l’organisée et la spontanée, l’eau et le feu, la rigueur et la tornade. Elles sont si différentes que le risque était grand. Alors, pour calmer ses appréhensions, la productrice soumet l’animatrice à un test grandeur nature, réunion après réunion, avec sérieux et organisation. «Au bout de trois mois, j’ai été persuadée qu’elle était solide, qu’on était souvent sur la même longueur d’onde et que nos différences étaient un atout pour arriver sur le marché avec des propositions originales. On travaille dans la confiance, le respect et avec une envie folle de liberté. Maïtena est généreuse, attentive, créative, toujours du côté de la vie et du rire. Ce qui n’empêche pas le travail et l’exigence. Deux notions que je cultive aussi, mais qui me tirent plutôt du côté de la culpabilité dès que j’en sors. Maïtena m’a appris à être plus du côté du plaisir et de la satisfaction, à savourer les victoires et j’en suis heureuse.» L’une cadre, l’autre décadre, avant de retourner à la rencontre l’une de l’autre, créant une troisième femme à mi-chemin entre elles deux, c’est cela, Mesdames Productions.

Maïtena Biraben et Alexandra Crucq

Mesdames Productions, c’est Maïtena Biraben et Alexandra Crucq, deux caractères opposés, à l’image des duos de cinéma qu’elles ont espièglement affichés dans leur bureau, mais à la complémentarité efficace.

Manuel Braun

- A vos côtés, Alexandra dit avoir appris à mieux savoir savourer une réussite. Et vous, Maïtena, qu’avez-vous appris d’elle?
- Maïtena Biraben: Elle est très structurée, elle a les formules, les expressions et sait monter un dossier comme personne. Du coup, elle me crédibilise, pas pour moi-même, mais face aux autres, car j’ai un côté plus brouillon, spontané et évanescent qui est perçu parfois comme de la légèreté ou de la vacuité. Mais j’apprends et je maîtrise un peu mieux chaque fois, d’autant plus que j’aime ça, apprendre. Par ailleurs, nous partageons les mêmes valeurs, la même envie de raconter le monde, mais on ne le regarde pas du tout de la même façon et ça, c’est très enrichissant.

- En 2019, vous avez lâché votre émission à la radio pour vous lancer dans cette aventure qu’est la production. C’était un défi ou une évidence?
- Comme je suis du genre inconscient, c’était une envie assez évidente. Réflexion, il y a toujours, mais à mon insu. Ce n’est qu’une fois la décision prise que je me rends compte que tout est en fait profondément construit et élaboré.

- A l’instar de la websérie «Résotuto», qui explique aux ados les bonnes pratiques numériques, les projets que vous choisissez de monter ont toujours un message ou traitent de questions de société. Avoir du sens, est-ce important pour vous?
- J’ai quasiment toujours pu travailler sur des projets ou des émissions qui m’intéressaient. J’ai eu ce luxe-là. C‘est d’ailleurs pour cette raison que je me suis lancée dans l’aventure de Mesdames, pour que ma vie professionnelle continue à avoir du sens. Comme on m’en proposait moins, c’était à moi de le créer.

- Y aura-t-il une suite à «Has#tag Boomer», que la RTS a diffusée l’an dernier?
- C’était notre première série. Elle a été produite avec toutes les qualités et tous les défauts qu’un tel projet peut avoir, mais nous avons adoré ce projet et ces personnages. Nous aurions aimé les revoir, mais cela ne s’est pas fait. C’est le jeu et il faut l’accepter.

- En 2017, on vous avait déjà retrouvée sur la RTS durant tout l’été avec des interviews à l’enseigne d’«Ecran total». Vous y reverra-t-on un jour?
- Non, ou en tout cas pas comme ça devant les caméras. Mais j’ai eu un plaisir immense à revenir sur la TSR – j’ai encore beaucoup de mal à dire la RTS – car j’aime cette magnifique maison. Elle m’a beaucoup donné, j’ai tout appris là-bas. Je l’aime avec affection et respect.

- La télé ne vous manque-t-elle pas?
- Non, je vous assure que c’est fini! J’y suis arrivée par hasard et j’ai adoré faire ce métier. On ne reste pas trente ans animatrice sans le vouloir, ni sans travailler beaucoup, c’est vrai. Mais cela n’a jamais été un rêve, ni un besoin, heureusement pour moi. Le rêve, c’est la poésie, les fleurs qui s’envolent, le temps qui s’écoule lentement. Moi, ce qui m’amuse et me motive, c’est de créer des choses, de déplacer des frontières et, de ce point de vue là, en télé, j’ai déjà touché à tout ce qui pouvait l’être, à tous les genres, alors pourquoi j’y reviendrais?

- Suissesse par votre premier mariage mais habitant Paris depuis 1996, avez-vous conservé des liens avec notre pays?
- Bien sûr, déjà par mes fils qui sont Suisses eux aussi. Ensuite, j’étais très amie avec Guy-Olivier Segond, qui a presque fait office de grand-père pour mes garçons. On fêtait ainsi l’Escalade et le 1er Août. Je jette aussi toujours un œil à ce que fait Point Prod, la société de Vincent Gonet et David Rihs, ainsi qu’à la RTS bien sûr. Et j’aime ce que fait Pierre-Philippe Cadert sur La Première. Mais j’ai peu l’occasion de revenir en Suisse, car je n’ai pas beaucoup de temps. Je me souviens encore de la fraîcheur sous mes fesses des pierres du bord du lac aux Eaux-Vives où j’allais m’asseoir avec une brique de jus d’orange et un délice au jambon en guise de petit-déjeuner.

- «Ça colle et c’est piquant» n’a duré que le temps d’une saison, entre 1995 et 1996, pourtant les Romands ne vous ont jamais oubliée, comment l’expliquez-vous?
- Quelle équipe nous faisions, avec Noël Noël, Blaise Angel, Joseph Gorgoni et sa Marie-Thérèse, ainsi que Pierre Miserez, qui me faisait tellement rire! On s’est vraiment beaucoup amusés. C’était l’un des premiers talk-shows de deuxième partie de soirée, de la télé pour les jeunes. Avant cela, il y avait eu «Vanille fraise» et j’avais travaillé avec Christian Defaye sur «Spécial cinéma». C’était une autre vie, mais je pense que les gens ont pas mal suivi ce que j’ai fait en France ensuite. Peut-être parce que je suis plutôt sympa en fin de compte. J’aime les gens, j’aime leur parler, les écouter, je leur ressemble et je ne me prends pas du tout au sérieux. Je suis juste quelqu’un de moyennement extraordinaire et d’extrêmement curieux qui a une vie extraordinaire.

- Vous débordez tout de même d’une vivacité rare…
- Oui, comme beaucoup de gens dans la vie, mais c’est vrai qu’il y en a moins à la télé. Parce que c’est un endroit qui range les personnes dans des cases, qui est fait pour produire et produire, cela veut dire maîtriser. Et je ne suis pas maîtrisable, ça, c’est sûr et certain. Les moments où j’ai pris le plus de plaisir et qui ont été extraordinaires, ce sont ceux où l’on n’essayait pas de me maîtriser. Où on profitait de ce que j’apportais, alors que, par ailleurs, je suis un bon petit soldat, pas folle, ni hystérique. «Les maternelles», «Le supplément» ont ainsi été des émissions d’une immense liberté. «La matinale» aussi, mais parce que je l’ai imposé. Je pense qu’on est tous très libres, mais qu’on s’autorise tous plus ou moins à l’être. Moi, je n’ai pas le choix, je suis née comme ça. Je ne sais pas être autrement. Mais pour certains, ça demande du courage. Je dis souvent à mes enfants: «Ayez du courage et tout ira bien. Car lorsqu’on accepte de perdre, c’est moins douloureux.»

- Justement, du courage, il vous en a fallu pour défier en justice votre employeur, Canal+ – et son puissant patron, le milliardaire Vincent Bolloré –, qui vous a licenciée comme une malpropre pour faute grave après une seule saison à la tête du «Grand journal» en 2016. Où avez-vous puisé cette force?
- Je l’ai fait pour défendre une idée et pour tous ceux qui ont été virés de Canal+ mais qui n’avaient pas les moyens de supporter ce combat, ou encore ceux qui sont restés parce qu’ils avaient un loyer à payer ou une famille à soutenir et qui ont été jugés comme minables, miséreux ou honteux par tous ceux de l’extérieur qui avaient la critique facile et détestable. Et puis, franchement, la question ne s’est jamais posée. La manière dont ils se sont comportés avec moi a été inacceptable, donc il ne fallait pas l’accepter, voilà tout! J’aurais pu négocier comme d’autres et repartir avec un chèque conséquent, mais je n’ai pas voulu. Ils avaient leurs raisons, tout comme moi j’avais les miennes d’aller aux prud’hommes.

- Sept ans après, la Cour de cassation vient enfin de confirmer les deux jugements précédents qui vous donnaient gain de cause pour ce «licenciement sans cause réelle et sérieuse». Vous avez fêté ça?
- Non, j’ai plutôt été remplie d’une immense émotion. J’habite en banlieue et, l’autre jour, je suis entrée dans un petit magasin de déco tenu par deux anciennes de Canal+. Elles m’ont accueillie les larmes aux yeux en me disant: «Maïtena, on voulait vous dire merci, parce que c’est aussi notre victoire à nous.» Cela m’a infiniment émue et c’est pour cela que j’ai fait tout ça, pas pour faire la fête. Au final, je suis plus triste que soulagée. Mais je suis fière aussi, c’est même une satisfaction: j’ai gagné et il a perdu!

- C’est long, sept ans, est-ce qu’on arrive à vivre normalement pendant ce temps?
- Non, car on pense à ça en permanence. Ça pèse tant moralement que physiquement: je ne me suis pas fait des hernies discales pour rien. Ce d’autant plus lorsque l’on est en train de fonder une boîte de production qui est d’avance sur la liste noire de toutes les chaînes du groupe Canal+. D’un autre côté, durant les trois premières années, ce procès a été un lien – certes très singulier – avec Canal+. C’était chez moi, c’était ma maison et j’en avais été chassée violemment, j’ai eu besoin de ce lien. Ensuite, cette immersion dans la justice et son fonctionnement m’a beaucoup intéressée, amusée aussi parfois. L’exercice du droit a quelque chose de très poétique, en fait.

- Qu’allez-vous faire des 3,4 millions que vous avez touchés en guise d’indemnités?
- Déjà, vous pouvez diviser cette somme par deux – c’est du salaire et les impôts vont passer par là – et ce que j’en ferai ne regarde que moi et ma famille…

- Au fond, avec une nouvelle formule restreinte élaborée à la va-vite durant l’été 2015, moins coûteuse et sans «Guignols», la catastrophe n’était-elle pas courue d’avance? Ça aurait dû vous alerter, non?
- Tout cela ne s’est décidé que très tard, et quand je m’engage, c’est toujours pour gagner le match et non pour reculer parce que c’est dur. Le problème, entre autres, c’est que les producteurs de l’émission n’étaient pas là pour les mêmes raisons. Il me faudra encore du temps pour mentaliser et verbaliser ce qui s’est passé durant cette année-là. Par contre, ce que je sais, c’est que si j’avais été un homme, cela ne se serait pas passé ainsi, c’est une certitude! Mais moi, je ne me laisse pas faire, j’ai mené mon combat et il faut croire que j’ai eu raison puisque j’ai gagné! 

Son parcours

1994 : «Vanille fraise»/TSR 
Elle remplace Maggy Corrêa à la barre de cette émission gentiment coquine.

1995-1996 : «Ça colle et c’est piquant»/TSR
Ce talk-show déjanté a été précédé d’«Oh! les filles», une émission de rencontres.

1997 : «Vue sur la mer»/France 2
Repérée par Thierry Ardisson, elle est prête à conquérir Paris.

2001-2004 : «Les maternelles»/France 5
Arrêter ce programme qu’elle a créé a été un déchirement, mais il le fallait pour ne pas s’enfermer.

2004 : «Nous ne sommes pas des anges»/Canal+
Suivront «La matinale», «Le supplément» et «Le grand journal» jusqu’en 2016.

2017-2019 : «M comme Maïtena»/RMC
Un petit détour par la radio avant de se lancer dans la production.

Par Isabelle Rovero publié le 10 mai 2023 - 09:30