En participant à la campagne de Santépsy, Elio entendait témoigner du fait que l’homosexualité, que l’on croit aujourd’hui acceptée par la société, n’est pas si facile à vivre au quotidien. Subissant régulièrement des regards ou des remarques peu amènes, il a carrément été tabassé, l’été dernier, en marge du Montreux Jazz Festival, par un groupe de migrants. «Pour moi, l’homophobie est une forme de racisme. Je ne comprends toujours pas pourquoi ces gens, souvent victimes de discriminations, m’ont agressé. Surtout que, avant d’être à moitié assommé par un coup de poing, j’ai vraiment vu de la haine pure dans le regard de celui qui allait me frapper.»
En même temps, Elio insiste beaucoup sur le fait qu’on ne doit pas le réduire à son orientation sexuelle: «Ça m’énerve quand on parle de moi en disant "Elio le gay". Ce qui me définit, ce n’est pas ma sexualité, mais qui je suis, mes liens familiaux, les passions qui m’animent… Surtout que je suis jeune, que je me cherche encore. Dans quelques années, je serai peut-être hétéro ou bi…»
Atteinte à la vie privée
Il a particulièrement mal vécu la pression que la société met sur les gays pour qu’ils fassent leur coming out: «Derrière l’injonction à s’assumer se dissimule une atteinte à la vie privée. On ne demande pas à un hétéro de se déclarer hétéro… Moi, on m’a un peu forcé la main à l’occasion d’une consultation à la Division interdisciplinaire de santé des adolescents du CHUV (DISA) il y a un an. Heureusement que mes parents s’en doutaient et l’ont très bien accepté.»
Aujourd’hui, Elio insiste beaucoup là-dessus, il est très heureux dans sa vie: «En témoignant, je voulais également casser le stéréotype de l’homo tourmenté et mal dans sa peau, candidat au suicide.»
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«Pas simple d’être un ado en suisse»
Sébastien Gendre, délégué au suivi des situations complexes à la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle et consultant indépendant, a une expérience de terrain de plus de vingt-cinq ans avec les ados. Le tableau qu’il brosse de la fameuse génération Z est nettement moins sombre que ce qui est souvent décrit.
- C’est quoi, la génération Z?
- Sébastien Gendre: C’est la génération des jeunes nés depuis 1993, qui a toujours baigné dans l’univers numérique. Cet univers fait partie d’eux et ils se posent beaucoup moins de questions que les adultes à son sujet.
- Est-ce que cette génération présente des fragilités spécifiques? On parle beaucoup, en particulier, des phénomènes de harcèlement à travers les réseaux sociaux…
- Et on exagère en fait un épiphénomène, un dommage collatéral à l’omniprésence d’internet dans les existences de tout un chacun. L’apparition du livre ou de la télévision a provoqué le même type de peur. On a commencé par accuser les jeux vidéo violents d’être à l’origine de tueries de masse avant de s’apercevoir, avec le recul, qu’ils constituaient au contraire un exutoire et retardaient le passage à l’acte. Le harcèlement scolaire a toujours existé et il est nettement moins fréquent sur internet que dans la réalité. Et quand il est présent sur internet, il n’est que le corollaire de celui vécu dans la vraie vie.
- Mais l’anonymat d’internet n’encourage-t-il pas les harceleurs?
- Il est erroné de penser qu’internet est anonyme. L’interface de l’écran donne cette illusion et désinhibe le harceleur. Mais dans la réalité, lorsque des plaintes sont déposées, internet permet au contraire de retracer précisément les agissements du coupable. Et comme, en général, on harcèle à propos d’une différence – qu’elle concerne le physique, la race ou l’orientation sexuelle d’un individu –, cela tombe sous le coup de la loi. Par exemple, prendre une photo de quelqu’un à son insu constitue une atteinte à son intégrité et est puni pénalement.
- Mais que peut-on faire face à ce phénomène?
- C’est là que ça se complique. Car internet offre une telle caisse de résonance que d’anciennes solutions, comme déplacer le harcelé ou le harceleur d’une école à une autre, sont vouées à l’échec. Autre problème: la Toile ne respecte pas le droit à l’oubli. Si une jeune fille envoie une photo dénudée à son petit copain ou qu’un garçon se filme à l’occasion d’un rodéo TGV, ils prennent énormément de risques, car ils ne pourront pas contrôler l’usage de ces images et n’arriveront sans doute jamais à les effacer du Net. Mais dans la réalité, les jeunes utilisent les réseaux sociaux de manière plus responsable que les adultes, car ils les maîtrisent mieux.
- Quels sont les principaux risques que courent les adolescents aujourd’hui?
- Ils ne courent pas plus de risques aujourd’hui que moi lors de mon adolescence, qui fut celle de la génération sida. De toute manière, les conduites à risques sont inhérentes à l’adolescence et nécessaires pour grandir. En faisant tout pour préparer vos enfants à se rendre à l’école à pied, vous limitez les risques mais vous n’avez aucune prise sur le chauffard qui prend un matin sa voiture avec 2,4 grammes dans le sang. Cela dit, ce n’est pas simple d’être un ado aujourd’hui en Suisse, entre les incertitudes professionnelles et la difficulté de s’affirmer dans une société où l’individualisme est roi. Surtout au sein d’une génération qui est beaucoup plus nombreuse que les précédentes: difficile de sortir du lot!
- On a l’impression que les parents ont aujourd’hui de plus en plus de mal à gérer leurs ados…
- Ce qui est frappant, c’est la manière dont a évolué le rapport entre l’école et la famille. Il y a vingt-cinq ans, si le prof avait téléphoné chez moi pour signaler que Sébastien avait fait ceci ou cela, mes parents m’auraient convoqué pour avoir une explication. Aujourd’hui, lorsqu’un gamin rentre chez lui avec une sanction quelconque, il n’est pas rare que les parents téléphonent à l’établissement pour demander des comptes. Il y a désormais une espèce de compétition entre l’école et la famille et chacun, par exemple, rejette la responsabilité sur l’autre du mauvais usage des réseaux sociaux. Si on veut un filet de sécurité efficace pour rattraper un jeune qui, tout d’un coup, n’irait pas bien, il faut retisser du lien entre la famille et l’école.
- Quels sont les signes annonciateurs d’un problème grave chez un ado et que peuvent alors faire les parents?
- Un brusque changement de comportement est un indicateur clair. Un jeune qui arrête de faire du sport, qui se coupe de ses amis, qui prend ou perd beaucoup de poids… S’il commence à s’isoler en se coupant de ses réseaux, même numériques, c’est l’alerte maximum! Par contre, la baisse des performances scolaires survient en général plus tard, lorsque la situation est devenue insupportable. Cela réclame des parents une attention bienveillante mais constante sur tous les aspects de la vie de leurs enfants: alimentation, sommeil, activités sociales… Le meilleur facteur de protection est, bien sûr, un dialogue permanent. Et si le dialogue enfant-parent est difficile, il ne faut pas hésiter à faire appel à un adulte de confiance extérieur: enseignant, psychologue, pédiatre (un interlocuteur trop souvent négligé), parrain ou marraine, grands-parents… Mais l’inquiétude des parents ne correspond pas nécessairement à la réalité des ados.
- A quel moment les parents doivent-ils aller chercher de l’aide à l’extérieur?
- Ils peuvent à tout moment, s’ils ont un souci, aller chercher de l’information auprès des associations de spécialistes. Si votre gamin passe tous ses week-ends devant «Call of Duty» (jeu vidéo de guerre), vous pouvez aller consulter le site de PEGI, du Centre du jeu excessif à Lausanne ou celui de Rien ne va plus à Genève, avant d’en parler avec lui. J’encourage également les parents et les professionnels à se rendre sur le site Ciao.ch pour se rendre compte précisément des questions que se posent les ados. On réalise ainsi que l’hypersexualisation des ados d’aujourd’hui est un mythe. D’ailleurs, l’âge du premier rapport sexuel en Suisse n’a pratiquement pas évolué depuis quarante ans. Bref, il y a aujourd’hui une pléthore d’institutions publiques ou privées à même de venir en aide aux parents et aux enfants.
- Mais ça prend du temps…
- Effectivement, car les problèmes des ados ne se règlent pas plus rapidement que ceux des adultes. Il n’y a pas de remède ou de thérapeute miracle. Il faut essayer, tâtonner et ne pas hésiter à frapper à une multitude de portes pour trouver la personne ou l’institution qui va permettre de rétablir le dialogue. Vous serez peut-être étonné d’apprendre que, dans une situation de jeu excessif chez l’ado, c’est la thérapie familiale qui est la plus efficace. Car chez un jeune de moins de 20 ans, il n’y a jamais de réelle addiction (au sens d’une pulsion qui ne peut être gérée) aux écrans, mais un comportement palliatif: déficit relationnel, manque d’estime de soi… Idem pour l’attachement aux réseaux sociaux qui permettent à l’ado de se façonner à l’envi une image positive, une démarche essentielle à un âge où on est hypersensible au regard des autres. Enfin, les parents doivent faire très attention à ne pas disqualifier la souffrance de leur ado même si son origine semble bénigne ou absurde (j’ai un nez trop gros, j’ai des poils qui poussent, je n’ai pas de poitrine à mon âge…), tout en ayant bien conscience que ce même ado a une force de vie et une énorme capacité de résilience qui lui permettent en général de surmonter difficultés et souffrances si on reste à son écoute.
Le livre
«Penser l’adolescence». Une vision drôle, précise et très intéressante de l’adolescence d’aujourd’hui.
Par Denis Jeffrey, Jocelyn Lachance et David Le Breton, aux éditions Presses universitaires de France (PUF).