Tout est parti d’une promesse: celle d’amener Gwendal, son fils de 3 ans et demi, sur les marchepieds du Poudlard Express, le train mythique de la saga «Harry Potter» qui sillonne les Highlands écossaises à toute vapeur. Un rêve d’enfant que son papa a saisi au vol pour réaliser le sien, trottant dans sa tête depuis plusieurs années: faire un vrai bon «road trip» à bord de son bus VW T2 de 1969, racheté 15'000 francs à l’état de quasi-épave au sortir des trois saisons de l’émission «Aujourd’hui», que la RTS consacrait à l’écologie. Un véhicule déjà partiellement converti à l’électro-solaire, que le Vaudois d’origine neuchâteloise a encore «rétrofité» depuis, c’est-à-dire que la motorisation existante a été modifiée.
En l’occurrence, en plus de son moteur électrique qui a remplacé le diesel d’origine, Marc Muller a étendu la surface de panneaux solaires sur le toit. Voilà pour le côté autonomie, qui assure 150 km à pleine charge. Pour le confort, le futur voyageur a installé un petit boiler de 2 litres pour l’eau chaude, un frigo, casé une cuisinière à gaz et des couchettes amovibles. Il a bien sûr aussi pensé à une foule de micro-aménagements permettant une vie à pratiquement zéro carbone.
Quarante-cinq jours de pluie
Comme on ne revient jamais sur une promesse faite à un enfant, et d’autant moins quand un projet fou vous titille l’esprit, le citoyen de Châtillon s’est mis en route le 25 mai dernier, sous une pluie battante, en compagnie de son petit garçon et de Lupita, 14 ans, la chienne braque de Weimar de la famille. Au programme de ce voyage au long cours, la traversée de dix pays: France, Angleterre, Pays de Galles, Irlande, Irlande du Nord, Ecosse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg et Allemagne, avant le retour à la case départ, le 10 août.
Un périple de 7000 km en mode «slow travel» (voyage lent), amorcé avec une météo quelque peu décourageante. «La pluie nous a accompagnés pendant quarante-cinq jours d’affilée, dont trente-huit 24 heures sur 24», indique cet ex-passionné de rallye automobile, en consultant ses notes. «On a fini par s’en accommoder, bien que la pluie ininterrompue use le moral», relève-t-il en rendant hommage à Gwendal. «En plus d’apprendre à vivre sans sa maman, qui attend un bébé pour le mois de décembre et qui nous a rejoints à mi-parcours pour une quinzaine de jours, il s’est adapté à ces circonstances parfois un peu spartiates. A la clé, zéro plainte et zéro pipi au lit», s’enthousiasme le quadragénaire, très fier de son fiston qui, selon lui, a vécu l’aventure comme une école de vie. «Notre proximité nous a rendus complices et solidaires. Je crois lui avoir plus parlé en septante-cinq jours qu’en trois ans», sourit le fondateur de la start-up Impact Living, une société active dans la transition énergétique.
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A l’heure du bilan, l’ingénieur domicilié dans la Broye assure avoir valorisé le temps à sa disposition comme jamais auparavant. «J’ai réussi à me déconnecter totalement du boulot et des petits tracas du quotidien. En me hâtant lentement, j’ai découvert d’innombrables activités qu’on ne ferait jamais en temps normal. Kayak, parcs naturels, campings improbables, visites de châteaux perdus dans la nature, j’en passe et des meilleures. Et puis, en étant maître de sa mobilité et de son mode de vie, on peut s’immerger dans ces nouvelles cultures et en profiter à fond», détaille-t-il, intarissable. «Quand tu te réveilles avec le soleil, la batterie du bus chargée à bloc, tu ne peux que te réjouir de te laisser porter vers l’imprévu. Démontrer qu’on peut réaliser un voyage aussi extraordinaire sans énergies fossiles sous le capot procure une joie très intense», confie-t-il, assurant avoir été transcendé par les paysages grandioses qu’il a découverts et surtout pris le temps d’apprécier. «C’est un beau contre-pied à l’aviation, comparable à un voyage à vélo ou en 2 CV, comme mon père l’a fait naguère autour de la Méditerranée.»
«Cent cinquante francs par jour en tout»
A l’entendre, on pourrait sans autre conclure, comme le poète, «heureux qui comme Marc Muller a fait un beau voyage», tant une sorte de joyeuse insouciance se dégage de son récit. Au point d’avoir échappé à l’angoisse de la recharge quotidienne de la batterie même dans les grands espaces écossais ou irlandais. «Des bornes, il y en a partout. C’est un non-sujet. En revanche, la gestion des données s’avère très compliquée et représente un certain challenge. Entre pannes numériques, absence de réseau internet, stations de recharge vandalisées, moyens de paiement ou bornes incompatibles, les embûches sont encore trop nombreuses», constate le Vaudois, qui a souvent eu recours au système D pour rester dans des coûts acceptables. «Quatre francs les 100 km et 150 francs par jour pour toute la famille. Nourriture, lessives, ferrys et un hôtel par-ci, par-là, alors que la moyenne des Suisses en vacances se situe à 240 francs par personne.» Un voyage économique en somme, même si Monsieur et Madame Tout-le-Monde n’ont pas les moyens d’investir 100'000 francs dans un tel véhicule, reconnaît Marc Muller, en estimant qu’avec les progrès de la technologie 60'000 francs suffiraient pour les mêmes réaménagements aujourd’hui.
Temps de travail et salaire à la carte
Dans le même registre, tout le monde ne peut pas s’offrir le luxe de prendre trois mois de congé sabbatique pour sillonner le monde. Une question de choix, estime notre interlocuteur, en brandissant l’exemple de son entreprise pour illustrer son assertion. «D’entente entre tous, nous avons instauré une politique de travail et de salaire à la carte. Chacun des 12 employés affiche ses objectifs personnels en début d’année. Après qu’ils ont été validés, nous gérons notre temps et notre argent comme bon nous semble, un peu comme des indépendants. Lorsqu’une personne dépasse ses objectifs, elle a le choix entre réduire son temps de travail, convertir sa réussite en cash et prendre un congé sabbatique financé par sa réussite. Personnellement, j’étais le quatrième à profiter de cette option», explique Marc Muller, pas du tout gêné par le fait de ne pas être le plus gros salarié de la maison malgré sa casquette de patron. «A chacun son modèle», conclut-il, conscient que l’organisation encore très verticale de la plupart de nos entreprises n’est pas compatible avec ce concept.
Il y a deux ans, Marc Muller, Gwendal et sa fidèle Lupita avaient flâné autour de la Suisse avec leur van électrique. Un tour de chauffe avant d’accéder au rêve ultime...
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La «vanlife» séduit mais n’électrise pas (encore) les constructeurs
«La «vanlife», ça cartonne en ce moment. Et la version électrique est un mouvement qui démarre très gentiment par des transformations privées en attendant que les constructeurs s’y mettent. Ce qui va arriver sous peu», assène Marc Muller. Renseignements pris et au risque de le décevoir, ce n’est malheureusement pas demain la veille que les bus-camping se faufileront sans bruit dans la circulation. «Certains demandent parfois si nous en proposons. Visiblement plus par curiosité que par réel intérêt. Notre flotte (600 véhicules à la vente et une centaine en location) tourne entièrement au diesel. Je sais que le bus électrique existe mais, à ce jour, il n’y a pas de perspectives sérieuses pour lui», résume Paas Hendricks, responsable du service location auprès du groupe Bantam Wankmüller. Un avis que semblent partager les constructeurs, récemment réunis en grand-messe à Düsseldorf (2100 véhicules sur 250'000 m² d’exposition). Parmi les 778 marques présentes dans la ville du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, seules deux marques ont annoncé une version hybride rechargeable pour 2025: VW, qui a momentanément renoncé au tout électrique pour son légendaire California, et Ford. De son côté, Mercedes dit plancher sur un véhicule tout électrique mais sans donner de date de sortie.
Cure d’amaigrissement
Tous butent sur une question de poids, selon Massimo Gonnella, porte-parole du TCS, qui offre une plateforme relais aux adeptes de ces maisonnettes roulantes et équipe ses 30 campings de bornes rechargeables. «Les batteries sont encore trop lourdes. Résultat, les véhicules dépassent les 3,5 tonnes et passent en catégorie camion, ce qui limite drastiquement leur nombre d’utilisateurs. Cela étant, je ne doute pas que la technologie évoluera rapidement avec, pour conséquence, de faire baisser leur prix et surtout leur poids.» Même son de cloche du côté de CaravaningSuisse, la faîtière du secteur. «Pour l’instant, les fans de voitures électriques font comme M. Muller ou aménagent leurs petits utilitaires pour le week-end avant de les rendre à leur vocation pendant la semaine. Pour de vrais vans électriques, il faudra encore attendre», confie Christoph Hostettler, son président. Avec un nombre de pionniers qui va croissant, les marques finiront tôt ou tard par craquer...