Depuis qu’elle s’en souvient, la musique et le chant ont toujours réveillé sa maison à Goumoens-le-Jux, un petit village dans le canton de Vaud. C’est là que Marie Lys a grandi avec ses parents, tous deux flûtistes professionnels. Fan de pop et de chanson française, la Romande commence par imiter les grandes voix, de Véronique Sanson à Céline Dion. Elle prend ensuite des cours de chant au Conservatoire de Lausanne et à la Haute Ecole de musique (HEMU). Sûre de sa vocation, elle s’envole au Royal College of Music de Londres et réalise un master en interprétation vocale. C’est là que son intérêt pour l’opéra explose. Sa carrière se pare de rôles et de prix. Les projets s’enchaînent. La voilà qui se produit dans le «comic operetta Candide» à l’Opéra de Lausanne. Conte écrit par Voltaire, il a été repris par Leonard Bernstein, père de l’emblématique comédie musicale «West Side Story», qui le transforme pour Broadway. Le spectacle entre dans la légende.
- Quels sont vos premiers souvenirs avec le monde de l’opéra?
- Marie Lys: Quand on partait en vacances, mes parents écoutaient en boucle «Carmen» de Bizet dans la voiture. Le CD, on le connaissait par cœur! Je me souviens aussi des répétitions de l’orchestre où jouait ma mère, qui pratique la flûte traversière. «Don Pasquale» de Donizetti ou le «Roi Pausole» du compositeur suisse Honegger m’ont marquée.
- Devenir chanteuse d’opéra, c’était une évidence pour vous?
- Pas du tout! Enfant, je trouvais que l’opéra sonnait ridicule et j’imitais avec excès la diva du dessin animé «La Panthère rose». Jamais je n’aurais imaginé en faire une carrière! Chanter oui… mais pas dans ce registre! C’est venu beaucoup plus tard, quand j’étudiais à Londres, que j’ai osé prendre cette voie. Je chantais déjà des petits airs d’opéra, surtout du bel canto italien, mais je ne pensais pas avoir les capacités vocales ou théâtrales pour être sur scène. On m’a convaincue du contraire.
- A quoi ressemble la journée type d’une cantatrice?
- Ma routine idéale, si je n’ai pas de répétition, c’est de commencer par une session de yoga avant mon petit-déjeuner, pour travailler mon souffle et méditer. Ensuite, j’exerce ma technique vocale en réécoutant l’enregistrement de mon dernier cours. C’est important d’entendre ce que l’on fait depuis l’extérieur, car ça sonne différemment. C’est parfois douloureux (rires). Après, j’étudie le répertoire de mes futurs rôles.
- Vous devez suivre certaines règles d’hygiène de vie?
- Je ne bois presque jamais d’alcool. Je dois éviter le thé noir et le café, mais parfois je cède, car j’adore le goût. Les produits laitiers, mieux vaut les éviter pour que les cordes vocales restent dégagées! Et, personnellement, je ne mange pas épicé la veille d’un spectacle, car ça me brûle la gorge. Après, chaque chanteur et chanteuse a son propre régime.
- Avez-vous déjà été aphone?
- En août dernier, j’ai eu un virus qui m’a fait perdre ma voix. Elle avait une octave plus grave, alors j’ai dû annuler des concerts. C’était angoissant, car elle n’est pas revenue pendant plusieurs semaines. Je me sentais très vulnérable.
- Votre parcours vous a fait beaucoup voyager. Chanter «à domicile», cela vous fait quelque chose?
- L’expérience de connaître la moitié de la salle est différente! Avant, ça me stressait, car je voulais que mes parents soient fiers. Je suis plus relax aujourd’hui. Je trouve agréable de chanter pour des gens que je connais. Et je dois vous avouer que j’aime pouvoir rentrer chez moi le soir et dormir dans mon lit.
- Vous jouez dans «Candide», un «comic operetta». Dites-nous-en plus sur ce style particulier.
- C’est de l’opérette, donc un petit opéra plus léger et rigolo. La musique est festive et entraînante. Le mot «comic», c’est pour faire écho à l’absurdité de l’histoire. C’est une œuvre très satirique. Vous verrez, on part dans un vrai délire! Il faut savoir que la pièce a été créée à Broadway, donc avec un style un peu jazzy. L’adaptation pour l’opéra a conservé ce côté démonstratif. Comme dans les comédies musicales, il y a aussi des textes parlés. C’est inhabituel!
- Vous prenez les traits de Cunégonde, enfant gâtée qui se perd dans la recherche d’une vie luxueuse. Qu’est-ce qui vous touche dans ce personnage?
- Elle va tellement loin qu’elle ne s’appartient plus à la fin. Dans un tableau, elle voit un miroir de ce qu’elle est devenue dans les yeux de Candide. A ce moment-là, elle se rend compte que sa quête est vaine. Qu’il vaut mieux cultiver son jardin, couper son propre bois, construire sa maison. Elle se libère de sa superficialité et devient elle-même.
- Vous interprétez «Glitter and Be Gay», qui est à l’opéra ce que la chanson «My Heart Will Go On» de Céline Dion est à la pop. Que ressentez-vous?
- C’est un air difficile, car il a beaucoup d’aigus. Il faut de l’agilité, mais c’est drôle à faire! Toutes les sopranos s’amusent avec ce bout de répertoire. C’est un rite de passage dans la musique lyrique.
- Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans les projets de l’Opéra de Lausanne?
- Avec ses ateliers de médiation, l’Opéra de Lausanne invite les jeunes à découvrir sa programmation. Il y a aussi des prix spéciaux pour les étudiants!
- C’est également important d’attirer de nouveaux publics?
- Oui, beaucoup de gens me disent qu’ils n’osent pas venir, car ils pensent devoir porter un costard-cravate. Cette vision élitiste est à déconstruire.
- A l’époque, l’opéra, c’était les matchs de foot d’aujourd’hui. Un art vivant, accessible et populaire. Quel virage prend l’opéra en 2022?
- On est de plus en plus présent sur les réseaux sociaux et les nouvelles technologies. Mais rien ne vaut une expérience live! Recevoir les vibrations d’une personne qui chante sans micro, dont la puissance vocale traverse tout un orchestre et arrive jusqu’à la salle, c’est transformateur! C’est l’art le plus complet, qui marie musique, chant, théâtre, costumes, scénographie, parfois de la danse ou de la peinture.
- Est-ce que les combats féministes impactent votre métier?
- Les livrets classiques que l’on joue sont empreints de patriarcat et représentent cette réalité historique avec des rôles de femmes qui ne contrôlent pas leur destinée. Ça met en perspective et ça pousse à la réflexion. Les nouvelles pièces, elles, proposent d’autres profils et représentent davantage la diversité de notre société. Il y a encore du chemin à parcourir dans les institutions, mais je vois de plus en plus de femmes dans les orchestres par exemple.
>> Découvrez «Candide»: A l'Opéra de Lausanne, livret de Hugh Wheeler d’après Voltaire, paroles de Richard Wilbur, Stephen Sondheim, John Latouche, Dorothy Parker, Lillian Hellman et Leonard Bernstein, sous la direction de Gavriel Heine, mise en scène de Vincent Boussard. Les dates:
- Dimanche 13 novembre 17 h
- Mercredi 16 novembre 19 h
- Vendredi 18 novembre 20 h
- Dimanche 20 novembre 15 h