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Gastronomie 

Marie Robert, la magicienne de la cuisine

Chevelure flamboyante, cuisine féminine et créative, c’est une jeune cheffe de Bex (VD) qui a reçu le titre envié de «Cuisinière de l’année» 2019 du prestigieux guide culinaire GaultMillau. Rencontre gourmande dans les cuisines du Café Suisse, un lieu pour lequel Marie Robert a eu un véritable coup de foudre.

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A 30 ans, Marie Robert a de l’appétit. Et le prestigieux titre que la jeune cuisinière a reçu consacre un travail audacieux. Julie de Tribolet

«J’ai toujours voulu être cuisinière!» lance Marie Robert, 30 ans, la chevelure abondante et le regard pétillant, dans la cuisine de son Café Suisse, à Bex. Une cuisine de conte de fées, avec un plafond à 5 mètres, comme dans un manoir, avec plein de louches, de spatules et de fouets de cuisine accrochés à la grande hotte, au-dessus du fourneau à gaz. C’est là, dans cet espace à la fois vieillot, bohème, hyper-propre et très bien équipé, que s’active la «Cuisinière de l’année» 2019 du GaultMillau.

La Vaudoise Marie Robert vient de gagner deux points d’un coup, ce qui lui vaut 16/20, une note dont seules 25 tables romandes peuvent s’enorgueillir. Deux points qui arrivent en compagnie d’un titre très convoité, que seules onze cuisinières helvétiques se sont vu attribuer. Le guide justifie cette extraordinaire promotion ainsi: «A 30 ans, la cheffe a mûri et sa cuisine spontanée y a gagné la pertinence qui signe les vraies cuisines d’auteur.» 
Respect.

«J’ai appris à filer droit»

«Dans la vie, il y a les meneurs et les menés», analyse la jeune cheffe. A l’évidence, elle se positionne dans le premier groupe. Et elle n’a sans doute pas tort. Car cette jeune femme tonique et menue, au regard plein de rêves et au rire de collégienne facétieuse, a une volonté d’acier. A Prilly, près de Lausanne, où elle a grandi, Marie adorait faire des gâteaux. Ses parents – père comptable, mère dans l’événementiel – ont à peine eu le temps de réaliser que l’idée de devenir cuisinière n’était pas une simple lubie que Marie s’affairait déjà derrière les fourneaux du Bleu Lézard, à Lausanne: «Ça m’a appris la rapidité et l’organisation.» Un bon début, qui assure des bases solides.

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Regard espiègle et chevelure abondante, Marie Robert fait une cuisine qui lui ressemble. Sur des bases solides, elle décline des harmonies subtiles et anticonformistes. Julie de Tribolet

Mais après quelques mois, il lui fallait un nouveau défi. Coachée par l’un de ses professeurs, André Reymond, de l’Ecole professionnelle de Montreux, «que je ne remercierai jamais assez», elle s’inscrit à un concours d’apprentis. Et comme rien ne résiste à Marie Robert, elle remporte le premier prix, haut la main. Boostée, elle décide de viser plus haut et termine son apprentissage au Beau-Rivage Palace, à Lausanne: «Un autre monde. C’est de là que je tiens la rigueur nécessaire en cuisine. Avec chef Gerber, j’ai appris à filer droit!» raconte Marie en riant.
En plus d’apprendre à filer droit, comme elle dit, elle a aussi décidé de filer tout court. Mais pas n’importe où: à 19 ans, fraîchement diplômée, elle part chez Thierry Marx à Cordeillan-Bages, près de Bordeaux. Là, c’est Top Chef tous les jours: «Je n’étais pas prête. Pour évoluer dans une cuisine comme celle-là, il faut une maturité que je n’avais pas», avoue la bouillonnante Marie. Elle, en tout cas, ne voyait pas pourquoi elle aurait dû passer un an à éplucher des carottes au garde-manger alors qu’il y a tant à découvrir ailleurs!
Pas découragée pour autant, elle revient, plus décidée que jamais à ouvrir son propre restaurant. Comme un feu follet, elle passe de place en place, et un jour elle tombe sur Arnaud Gorse au Montreux Jazz. Comme elle, il est cuisinier de formation, «mais après avoir travaillé en salle, je n’ai plus jamais voulu faire autre chose», se souvient le jeune homme. Voilà qui tombait bien! Aujourd’hui, il est en salle et elle en cuisine.
«Il m’a toujours encouragée, soutenue, poussée à ne pas baisser les bras. Je suis l’exploratrice, il est le pilier.» C’est donc tout naturellement avec lui qu’elle a ouvert le Café Suisse, il y a sept ans et demi. «On était sur un autre projet de restaurant au bord du lac, qui a malheureusement capoté à la dernière minute, se souvient Marie. C’est ma maman qui a trouvé Bex. Alors on est venus visiter. C’était un soir, assez tard, mais je n’ai pas hésité, je me suis dit: «Je prends!» Un coup de foudre, comme dans les films.
D’ailleurs, ce Café Suisse tient du décor de film, justement. Ce n’est pas par hasard qu’il a servi au tournage de Repérages de Michel Soutter, avec Jean-Louis Trintignant et Delphine Seyrig. Oui, l’actrice de L’année dernière à Marienbad, qui a retrouvé à Bex un peu de cette nostalgie des stations thermales du début du XXe siècle. Car autrefois – le saviez-vous? –, Bex avait son Grand Hôtel des Salines. Et dans la cave de leur restaurant, Arnaud et Marie ont retrouvé un menu marqué Grand Café-Restaurant Suisse, destiné à des aristocrates russes en villégiature dans la station.
Du Bex chic de la Belle Epoque, l’actuel Café Suisse garde ce côté théâtral qui lui confère un charme unique. Les stucs du plafond culminent à 6 mètres du parquet et un escalier à double révolution dessert la galerie du premier étage: en fait, on se croirait presque dans un saloon du Far West, le piano mécanique en moins, l’espiègle et délicate cuisine de Marie en plus.

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«Il est le pilier, je suis l’exploratrice», affirme Marie en parlant d’Arnaud Gorse, qui a lancé le Café Suisse avec elle. Julie de Tribolet

Mise en scène spectaculaire

En partie autodidacte, Marie a développé au fil des ans un style de cuisine bien à elle. «Ludique, fraîche, amusante et spontanée, c’est une cuisine qui me ressemble», dit-elle. «Une vraie cuisine d’auteur», ajoute le GaultMillau, qui applaudit par exemple cette «poupée russe qui recèle un saumon écossais et sublime, fumé au bois de hêtre, qu’agrémente un joli caviar de vodka». Ou encore les pousses et les pétales qui font ressembler les plats à un «jardin enchanté». Enfin, en dessert, cette glace «sur le modèle des Magnum, mais miniaturisée, au sorbet passion, qu’un volcan d’azote liquide rend inoubliable».

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De g. à dr.: Arnaud, Ala Beta, Marise (avec la casserole), Marie, Yann, Kassandra, Luisia et Magali. Julie de Tribolet

Au-delà des mises en scène spectaculaires et des produits insolites, Marie est la première à dire que l’essentiel, ce sont les bases. Les encouragements, aussi: «Parrainée par Loris Lathion du Mont-Rouge, à Haute-Nendaz, et par Damien Germanier, à Sion, j’ai pu entrer aux Jeunes restaurateurs d’Europe, un groupement de cuisiniers attachés à la qualité. Plusieurs autres membres m’ont beaucoup encouragée. Pierrick Suter, à Lucens, par exemple, est une référence à mes yeux.» Et quand on est jeune, sans argent et avec somme toute assez peu d’expérience, le soutien, ça compte.

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Poétique: bonsaï aux fruits des bois. Julie de Tribolet


Le soutien des amis, des collègues, mais aussi celui des fournisseurs. Parmi ces derniers, David Lizzola, le fondateur de Léguriviera, frappe justement à la porte de l’office avec un cageot de racines multicolores et de pousses aux parfums inédits: «Lui aussi, il a une sacrée trajectoire! lance Marie Robert. Il a commencé seul avec une fourgonnette et, maintenant, ils sont 230 collaborateurs qui livrent les meilleures tables de Suisse romande.» Mais le coup de main qui a peut-être le plus touché Marie, c’est celui des propriétaires du Café Suisse: «C’était au début, on n’était que deux, et ils ont bien vu qu’on ne s’en sortait pas, alors ils sont venus nous aider et se sont retrouvés… à la plonge!» Décidément, rien ni personne ne résiste à Marie Robert.


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Par Knut Schwander publié le 10 octobre 2018 - 09:05, modifié 18 janvier 2021 - 21:00