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Cinéma

Marina Foïs: «De la gentille névrosée à la sociopathe, j’aime tout jouer!»

L’actrice française est partout. Elle a enchaîné sept tournages et deux de ses films sortent ce mercredi. Nous, c’est pour «Barbaque», une comédie totalement barrée, que nous l’avons rencontrée.

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Marina F.

Marina Foïs, l'actrice française qui joue le rôle de Sophie dans le film «Barbaque».

Sabine Villiard / Trunk Archive

Pas facile de décrocher une interview avec Marina Foïs. La promo des films, cela n’a pas l’air d’être son truc. Pourtant, dès qu’elle répond à vos questions, on la sent impliquée, même si une sorte de distance bergmanienne émane de sa personne. Mais, au fil de la discussion, on comprend que cette implication est due à une volonté de défendre son personnage, aussi foutraque soit-il, de l’analyser et de lui insuffler encore une fois un peu de vie. Car ce que la comédienne aime par-dessus tout, c’est jouer. Interview tout en contraste avec une passionnée de l’humain.

- Fabrice Eboué dit avoir tourné une comédie romantique. C’est votre avis?
- Marina Foïs: Je préciserais en disant que c’est plutôt une comédie romantique gore. Car un couple de bouchers qui devient «serial killer» et ne tue que des véganes et les transforme en jambon d’Iran, j’ai déjà vu plus romantique.

- C’est vrai que leur couple ne fait pas franchement rêver…
- Leur histoire est banale. Ils vivent ce que l’on vit tous à un moment donné de notre vie, la lassitude, l’usure et parfois la reconquête. On reconnaît le parcours et le mécanisme. Lorsqu’on est face à des difficultés, pour rebondir, continuer, on a besoin d’un projet commun, s’installer à l’autre bout du monde, créer un gîte rural, etc. Mais bon, eux, ils choisissent de tuer des véganes et d’en faire des jambons!

- Qui est Sophie, la femme que vous incarnez?
- C’est une bouchère amère et qui s’ennuie. Elle végète à tous les niveaux, sa vie fait du surplace. En plus, elle est humiliée par ses pseudo-amis, qui exposent sans vergogne leur réussite sociale. Elle vit dans la honte et cela développe chez elle une rage infinie. Tuer des véganes, finalement, devient pour elle un projet de vie. C’est sa revanche sur la destinée.

«Les faits divers, les crimes, ça me fascine»

 

- On dirait que vous vous retrouvez dans ce personnage?
- Oui, bien sûr. On a tous, à des moments de notre vie, besoin de sentir que l’on peut prendre sa revanche sur le destin, sans bien sûr devenir un «serial killer» pour autant. Je pense qu’à un moment de notre existence, à des degrés divers, on s’en prend tous plein la gueule, sauf si on est une blogueuse en vue. Alors soit on en tire une rage engagée, militante, soit cela devient un moteur pour partir en vrille, comme mon personnage, qui est dans l’accomplissement. Et ce mécanisme-là, je le comprends extrêmement bien.

- Sans vouloir divulgâcher la fin, il semblerait que Sophie ne regrette rien?
- J’ai l’impression que si l’on doit garder une période de sa vie durant laquelle on s’est sentie puissante, eh bien ce sont les périodes de nos vies où les émotions ont été très fortes, voire trop fortes, que l’on regarde avec mélancolie.

Marina F.

Sophie (Marina Foïs) et Vincent Pascal (Fabrice Eboué) en train de vendre leur produit phare, un végane transformé en jambon d’Iran.

© Cinéfrance Studios

- Vous êtes toujours dans l’analyse de vos rôles?
- Non, pas du tout. Moi, c’est le jeu qui m’intéresse. La perception que l’on a des autres à travers les histoires qu’ils ont traversées ou traversent. Je ne suis pas dans l’analyse, même si j’en ai fait une pendant 140 000 ans. Et puis je suis petite-fille et fille de psy. Etre dans l’analyse me rappellerait trop le boulot de ma mère!

- Qu’est-ce que vous aimez le plus jouer?
- J’aime tout jouer! De la gentille névrosée à la sociopathe. Les contrastes me plaisent et c’est une façon pour moi de sonder l’âme humaine de mes semblables ou mes dissemblables. Passer d’un univers à l’autre, ça met du relief dans le jeu. C’est passionnant. Une de mes profs de théâtre, qui fut pour moi très importante, me disait: «Il faut toujours que tu trouves le rire du tragique et le tragique de la comédie.»

- Votre bouchère est passionnée par les faits divers. Et vous?
- J’adore. J’ai beaucoup lu sur le sujet, j’ai même traîné aux assises à une époque… Les faits divers, les crimes, cela m’a toujours passionnée. La construction mentale des meurtriers, comment ils élaborent un projet criminel pour solutionner un problème, car, pour eux, supprimer quelqu’un solutionne un problème, c’est tout de même captivant. Les monstres fascinent toujours que cela soit par attirance ou répulsion. Ils s’autorisent la transgression. La noirceur humaine, c’est incroyable. Et puis évidemment on se pose la question de savoir pourquoi certains passent à l’acte et tuent et pourquoi d’autres pas. Quel est le point de rupture qui fait que vous passez de l’autre côté? S’intéresser à des tueurs, c’est se regarder dans un miroir déformant. Car Monsieur et Madame Tout-le-Monde peuvent basculer. Regardez Véronique Courjault, qui a tué trois de ses nouveau-nés et les a cachés dans un congélateur: à côté de sa monstruosité, c’était une mère et une épouse modèle. Tout comme Jonathan Daval, le gendre idéal qui pleurait la mort de sa femme Alexia alors qu’il l’avait trucidée. Jamais je ne me lasserai de la multiplicité de l’âme humaine.

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- En fait, dans «Barbaque», tous les personnages sont irrécupérables?
- Les deux parvenus qui font de la viande aux hormones en grosses quantités, et s’enrichissent comme ça, on ne cherche pas à les comprendre, ils sont odieux, racistes et inexcusables. En revanche, le couple de bouchers qui est constamment rabaissé et dépérit sentimentalement, professionnellement et socialement, on peut lui trouver des excuses. Aux véganes aussi malgré leur extrémisme dans le film. Mais c’est vrai qu’il n’y en a pas un pour sauver l’autre. En fait, tout le monde en prend pour son grade.

- Une fois qu’un film est fini, certains de vos rôles laissent-ils une empreinte chez vous?
- Pas vraiment, même si chaque film que je fais dépose un petit truc en moi. Mais mes personnages me quittent plus facilement que les gens avec qui je fais les films.

- D’ailleurs, ce film a changé votre rapport à la nourriture?
- Je ne suis pas végétarienne ni végane, mais, durant trois ou quatre mois après le tournage, je n’ai plus pu manger de viande. Pas par changement de conviction, mais parce que le tournage dans une boucherie avec l’odeur de la viande faisandée, puisque pour des raisons budgétaires on ne la changeait pas tous les jours… cela m’a un peu écœurée. Mais bon, de toute façon, moi, mon truc, c’est plutôt les aubergines.

Par Laurence Desbordes publié le 5 novembre 2021 - 14:09