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Présidentielle française

Marine Le Pen, comment elle a mené son clan aux portes du pouvoir

Elle a dédiabolisé le parti paternel en faisant oublier ses scandales et ses idées xénophobes et, désormais, on lui parle plus de ses chats que de son programme. Marine Le Pen n’a jamais été si proche de diriger la France. Histoire d’une prise de pouvoir familiale inédite dans une démocratie.

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Marine Le Pen, French far-right National Rally (Rassemblement National) party candidate for the 2022 French presidential election, attends a news conference on democracy and the exercise of power in Vernon, France, April 12, 2022. REUTERS/Sarah Meyssonnier      TPX IMAGES OF THE DAY

A Vernon, le 12 avril 2022.

Reuters

La présidente du Rassemblement national est célibataire et ne veut pas se «mettre à la colle parce que ça se fait d’arriver en couple à l’Elysée». D’ailleurs, elle vit en coloc avec sa meilleure amie, «c’est bien plus facile». Elle a six chats et pourrait un jour tout plaquer pour devenir éleveuse… Des détails qu’elle a livrés avec enthousiasme durant sa troisième course à l’Elysée, pour laquelle elle est qualifiée pour la deuxième fois gagnante au second tour face à Emmanuel Macron.

Head of French far-right party Rassemblement National (RN) Marine Le Pen plays with a cat as she visits the "Ranch of Hope", which shelters horses and mutilated animals, on September 21, 2020 in Villefranche-Saint-Phal. (Photo by Christophe ARCHAMBAULT / AFP)

A Villefranche-Saint-Phal le 21 septembre 2020.

AFP

Des détails sympathiques que beaucoup ont retenus alors qu’elle badinait dans les médias people. L’éditorialiste politique Jean-Michel Aphatie conserve son propre souvenir de la candidate. C’était en 2014, quand il animait un rendez-vous matinal sur RTL. Marine Le Pen était alors présidente depuis trois ans du parti fondé par son père quatre décennies plus tôt. «La première question que j’ai posée était sur son père, et elle est entrée dans une violence verbale immense au micro. Je ne suis pas sûr d’avoir bien géré la séquence derrière. Je ne l’avais pas du tout anticipé. Elle m’a dit: «Vous devez être amoureux de mon père, vous m’en parlez chaque fois que je viens.» Il doit y avoir deux ou trois minutes d’interview où, vraiment, elle me détruit psychologiquement», nous raconte-t-il. «Quelques heures plus tard, une alerte sur mon portable m’informe qu’elle a fait une interview au site du Figaro, où elle dit: «Je ne vais quand même pas me lever le matin pour aller donner une fessée à M. Aphatie.» Sous-entendu: «Je ne suis pas près de retourner à RTL tant que ce connard y est.» La violence de cette réaction m’entretient dans l’idée qu’elle n’a jamais été à distance de tout son héritage familial pesant.» 
 

Journaliste pour le site Mediapart, Marine Turchi suit depuis des années son parti, et a notamment coécrit le livre Marine est au courant de tout… (Ed. Flammarion), qui s’intéresse aux financements et au premier cercle de la présidente du parti, parmi lesquels d’anciens membres du GUD (Groupe union défense), une organisation étudiante d’extrême droite connue pour ses actions violentes, dans les années 1970-1990. Elle aussi a un souvenir très éloigné du diplôme d’éleveuse de chats: «En 2015, j’ai été violemment prise à partie en pleine rue par certains de ces hommes de l’ombre. L’un m’a menacée de mort: «Je vais te tuer, je vais te retrouver, je vais t’attendre en bas de chez toi!»

Et si ces militants sont absents du journal de 20 heures, ce sont des amis de 30 ans, rencontrés à l’université, qu’elle a placés à des postes clés dans l’organigramme officieux. Ils ont eu la haute main sur la communication et les finances et ont, pour certains, été condamnés en 2020 dans l’affaire du financement de ses campagnes. Pour avoir enquêté sur ce sujet, il y a eu un moment où je ne pouvais plus couvrir les manifestations du parti seule, c’était devenu dangereux. Couvrir ce parti, pour les journalistes, c’est s’exposer à de la violence verbale et physique.» Jean-Marie Le Pen lance le Front national en 1972, avec d’anciens sympathisants nazis, puis il l’élargit aux réseaux «catholiques traditionalistes, voire intégristes», précise Marine Turchi. Interrogé sur son logo d’alors, un copier-coller de celui du parti néofasciste italien MSI, le nouveau président rétorque qu’il «ne voit pas leur action avec antipathie». Marine est née quatre ans plus tôt, dernière des trois filles Le Pen. Un cliché la montre déjà battre le pavé entre ses parents, contre l’avortement, avec ses couettes de fillette. Elle a 8 ans lorsque, le 2 novembre 1976, leur appartement explose en pleine nuit, cible d’un attentat.
 

Le prÈsident du Front National Jean-Marie Le Pen pose avec sa femme Pierrette et leurs filles, le 1er mai 1974 dans leur appartement parisien. de G ‡ Dr Pierrette Le Pen, Yann, Marine, Jean-Marie Le Pen, et Marie-Caroline. (Photo by AFP / AFP)

Jean-Marie Le Pen pose avec sa femme Pierrette et leurs filles, le 1er mai 1974 dans leur appartement parisien. De gauche à droite: Pierrette Le Pen, Yann, Marine, Jean-Marie Le Pen, et Marie-Caroline.

AFP

«Il a fallu cette nuit d’horreur pour que je découvre que mon père «faisait de la politique», affirmera-t-elle ensuite. Cette année-là, les Le Pen trouvent refuge dans ce qui deviendra leur fief, et où les filles reviendront sans cesse vivre après leurs divorces: le domaine de Montretout, manoir immense, construit par Napoléon III, dans la banlieue parisienne la plus bourgeoise. Jean-Marie Le Pen en a hérité d’un essayiste d’extrême droite millionnaire. La cadette mène une adolescence de château, entre domestiques, fêtes et conciliabules politiques. Elle a 16 ans quand ses parents se déchirent lors d’un divorce surmédiatisé, qui se soldera par sa mère posant dans le magazine Playboy, pour provoquer son ex… avant de revenir à Montretout des années après, sans le sou. Car si le clan se déchire souvent, il finit toujours par retrouver le huis clos, comme dans une telenovela, l’ambition de diriger la France en plus. Selon Jean-Michel Aphatie, la saga Le Pen est d’ailleurs une histoire de succession qui «ne se voit jamais dans les sociétés démocratiques, car ça n’est pas normal de succéder à son père dans un parti politique, souligne-t-il. Et je suis frappé par la dimension psychanalytique du personnage. Le père de Marine Le Pen est un type hors norme, qui a littéralement siphonné sa famille, tout a tourné autour de lui et sa fille, pourtant intelligente, n’a pas su sortir de l’orbite.» 
 

Au départ, c’est la sœur aînée, Marie-Caroline, qui devait reprendre le flambeau. Candidate dès 1985 à des élections cantonales, elle provoque un énième clash familial quand elle file, en 1998, dans le mouvement concurrent fondé par le numéro deux du parti. Mais elle reviendra prêter main-forte politique au clan, bien sûr. De son côté, Marine Le Pen a justement tenté de quitter l’orbite en devenant avocate. «C’est un moment charnière. Lorsqu’elle entre à l’école du barreau, en 1991, beaucoup la renvoient à son nom et aux propos de son père, qui a qualifié les chambres à gaz de «point de détail». Elle a du mal à monter son cabinet et, rapidement, elle abandonne le barreau pour se plonger à temps plein dans le bain politique et se replier complètement sur le clan familial», poursuit Marine Turchi.

D’abord directrice juridique du FN, en 1998, l’ascension commence. La même année, elle a trois enfants, dont des jumeaux, à onze mois d’intervalle, mais se sépare du père. En 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle. Plus d’un million de Français sont dans la rue, choqués. L’occasion pour la cadette de faire sa première apparition télé marquante, et prouver qu’elle a la pugnacité paternelle. En 2011, elle devient présidente du FN. Marine Turchi, présente au congrès d’investiture, se souvient: «Quelque chose m’a frappée dans son discours. Elle aurait pu ouvrir une nouvelle page, mais elle a au contraire déclaré qu’elle assumait tout l’héritage du Front national. On parle tout de même d’un parti qui a été fondé avec d’anciens collaborationnistes et de jeunes néofascistes. Et cela a pris du temps, pour elle, de se distancer. Elle n’a exclu son père du parti qu’en 2015.»
 

epa04728141 Former President of the Front National (FN) Jean-Marie Le Pen (L) gestures toward the audience as his daughter, the actual president, Marine Le Pen (R) looks on during the traditional May Day rally of the Front National (FN) party by the Opera Garnier in Paris, France, 01 May 2015. EPA/YOAN VALAT

Rallye du Front National (FN) à l'Opéra Garnier le premier  mai 2015. 

Keystone

Car Marine Le Pen est résolue à «normaliser» le parti, pour augmenter les scores. Exclu par sa puînée, le père multiplie les attaques en 2015: «J'ai honte que la présidente du Front national porte mon nom et je souhaiterais d'ailleurs qu'elle le perde le plus rapidement possible.» Qu’à cela ne tienne, elle fera désormais campagne sur son prénom, et rebaptisera même le parti. «Ce n’est pas parce qu’on aime le foie gras qu’on doit s’intéresser à la vie du canard», affirmait-elle autrefois, opposée à évoquer sa vie privée. Mais, depuis, elle lâche les vannes. 

 

TOPSHOT - French far-right party Rassemblement National (RN) presidential candidate Marine Le Pen arrives on stage to deliver a speech at a gathering with supporters as part of a campaign visit in Avignon on April 14, 2022. (Photo by CHRISTOPHE SIMON / AFP)

 Avignon, le 14 2022. 

AFP

 A 53 ans, elle parle de son père («Il sait exactement où taper pour avoir les mots les plus blessants»), de ses peines de cœur («Pas d'hommes dans cette maison, même les chats sont des femelles»), et ainsi de suite. «Quand Marine Le Pen dit ça, c’est pour essayer de casser l’image d’une femme méchante et d’y substituer l’image d’une femme souffrante. Il y a même eu un meeting où elle a quitté le pupitre pour parler sur le devant de la scène de ses enfants qu'elle a élevés seule. Et cela dit: «Oubliez mon programme et considérez la femme que je suis. Aimez-moi, je suis un être humain.» C’est ça, sa campagne 2022, et je pense, avec une subjectivité totale, qu’elle n’en peut plus d’être détestée depuis son plus jeune âge», affirme Jean-Michel Aphatie. Mais Marine Turchi rappelle que si le discours et l’image ont évolué, le socle des idées n’a pas changé. «La colonne vertébrale reste la «préférence nationale».

French far-right leader Marine Le Pen, left, poses for a selfie with a supporter as she campaigns in a market in Pertuis, southern France, Friday, April 15, 2022. (AP Photo/Daniel Cole)Marine Le Pen

A Pertuis le 15 avril 2022.

keystone-sda.ch

 


Et quand on analyse le bilan du RN à l’Assemblée nationale et au Parlement européen, on voit les contradictions. Elle multiplie les signaux à l’égard de l’électorat féminin, mais son parti, depuis des années, vote contre toutes les avancées en matière d’IVG, de PMA, d’égalité salariale... Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine: tous ses élus ont voté contre les sanctions contre la Russie, et contre les aides pour l’Ukraine. Les votes du RN vont à l’inverse de cette normalisation, et l’arrière-fond xénophobe ne change pas, simplement la manière de l’enrober. Mais le raconter est visiblement moins efficace que ses photos de chats et ses selfies avec des jeunes.» Pour le moment, Marine Le Pen est brouillée avec Marion Maréchal-Le Pen, la fille de sa seconde sœur, Yann. Egalement lancée en politique, elle a choisi le camp d’Eric Zemmour, autre politique de l’ultra-droite. Marie-Caroline Le Pen est optimiste: «Ça nous connaît, les engueulades. Mais on a vécu tellement de choses ensemble, c’est un ciment.» Surtout s’il s’agit d’investir l’Elysée…  

 

Par Julie Rambal publié le 24 avril 2022 - 10:16