Lorsqu’il est question de ses propres films, les salles de cinéma ne sont pas son truc. Marthe Keller les regarde au mieux chez elle, à Verbier ou à Paris, quand il se trouve qu’ils passent à la télé. Et s’il est impossible de s’y soustraire lors d’une première ou d’un festival? «Alors je ferme les yeux dès que je suis à l’écran», rétorque-t-elle en riant.
Venant de la plupart des gens, on considérerait cette réponse comme une coquetterie. Pas dans son cas. Quand elle dit «Je ne suis pas une star, surtout pas une star d’Hollywood», elle le pense vraiment. Il va de soi qu’elle a beaucoup travaillé, mais elle n’a jamais tout fait pour réaliser un rêve ou atteindre un but. Elle n’aime pas le mot carrière. Dans le métier, les idées de passion ou de feu lui importent davantage. «Pour le reste, j’ai simplement eu beaucoup de chance.»
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Et parfois de la chance dans sa malchance. Un accident de ski à l’adolescence anéantit les ambitions de la Bâloise dans la danse. Aussi suit-elle des cours de théâtre. Marthe Keller atterrit à Paris durant les chaudes années 1960. Elle se produit d’abord au théâtre, puis on la voit aux côtés d’Yves Montand dans le film Le diable par la queue. Le metteur en scène est Philippe de Broca, décédé en 2004, père de son fils de 49 ans, Alexandre.
Des années plus tard, le cinéaste d’Hollywood John Schlesinger voit jouer Marthe Keller dans une pièce de théâtre à Cannes. Il l’engage pour Marathon Man avec Dustin Hoffman. Le film lui vaut une nomination aux Golden Globes. Et les succès s’enchaînent, souvent aux côtés d’acteurs de renom.
Marlon Brando, Richard Burton, Marcello Mastroianni, Al Pacino. Marthe Keller les a tous eus. Du moins comme partenaires de film. Pacino sera son grand amour sept ans durant et ils restent très amis. L’impression qu’on lui propose sans cesse plus ou moins les mêmes rôles l’incite à quitter Hollywood. Elle souligne toutefois que travailler dans cette fabrique à rêves lui a toujours beaucoup plu. «Je dis toujours qu’aux Etats-Unis il faut être dans un bon film pour avoir du succès et qu’en Europe il faut être bon dans un film. Ici, c’est la performance individuelle qui compte, là-bas c’est l’ensemble.»
Dès le clap de fin, quand arrive l’heure du glamour et des tapis rouges, Marthe Keller préfère disparaître. «Si on me dit que je dois aller à telle ou telle réception parce que je devrais y rencontrer tel ou tel, je me dis: je ne dois pas absolument faire ça. Je suis une personne libre. Ce comportement est sûrement lié de près ou de loin à mon origine suisse.»
Ces derniers temps, elle tourne plus souvent en Suisse parce que, tout simplement, les scénarios lui plaisent. My Wonderful Wanda est l’un des rares films qu’elle a acceptés en raison de l’histoire qu’ils racontent. Elle décrit le tournage sur les bords du lac de Zurich comme «beau et décontracté», la collaboration avec la cinéaste Bettina Oberli comme du «no-trouble work». Que ce soit un homme ou une femme qui la dirige ne fait guère de différence pour elle. «Peut-être qu’avec une femme assise dans le fauteuil du réalisateur, on se la joue un peu moins séductrice.»
Cela dit, ceux qui rêvaient d’entendre un jour Marthe Keller jouer en dialecte bâlois seront déçus. «Je crois que je ne saurais même pas lire un scénario en suisse-allemand. D’ailleurs, ça fait des dizaines d’années que je ne parle plus ce dialecte.» Pas même avec son fils, qui vit pour l’essentiel à Paris. Elle précise que le rôle de mère lui a toujours importé davantage que le métier. «Avant chaque projet, je me faisais certifier par contrat que je ne serais pas séparée d’Alexandre plus de deux semaines. Tantôt le calendrier du tournage était adapté en fonction, tantôt il me rendait visite sur le set sous la garde de sa nanny.» Marthe Keller entretient toujours une relation étroite avec son fils et sa famille.
En 2016, elle a emmené ses deux petites-filles de 22 et 20 ans au Festival de Cannes, lorsqu’elle faisait partie du jury. «Le tapis rouge, les photographes, ce n’est pas la vraie vie. J’ai jugé important de le leur montrer afin qu’elles ne soient pas un jour victimes d’un rêve trompeur.»
Ses succès, que ce soit au cinéma, au théâtre ou plus tard dans la mise en scène d’opéras, n’ont jamais été un sujet de conversation familiale. «J’ai demandé à mon fils, quand il avait une vingtaine d’années, s’il avait jamais souffert de mon métier. Il m’a répondu que si j’étais heureuse il l’était aussi.» Une de ses petites-filles a opté pour des études de médecine, l’autre pour l’architecture d’intérieur. Au grand soulagement de leur grand-mère. «Je suis heureuse qu’elles ne soient pas dans le cinéma. De nos jours, tout le monde aspire à la célébrité sur Facebook, Instagram, YouTube ou dans les émissions de téléréalité. C’est épouvantable!»
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Car le bonheur, professe Marthe Keller, c’est tout autre chose. Elle le sait notamment pour avoir souffert en début d’année de violents symptômes du Covid-19 et être restée six mois en quarantaine à Verbier. «Pour moi, le bonheur, c’est l’indépendance, la liberté de dire non quand je ne veux pas faire quelque chose. Mais le bonheur, c’est aussi de se réveiller le matin sans douleurs. Voilà. Tout le reste, c’est du bonus!»