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Littérature

Michel Simonet, balayeur et écrivain: «Aucun de mes sept enfants n’a rougi de mon métier»

Les Romands s’étaient arrachés son livre qui racontait avec humour son quotidien de cantonnier dans les rues de Fribourg. Il y a un an, Michel Simonet, celui qu’on surnomme le balayeur à la rose, sortait un nouvel opus tout aussi savoureux. Un conte pour bien commencer l’année.

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Michel Simonet

Michel Simonet, le balayeur à la rose.

Julie de Tribolet

«Le regard embrassant, les pieds baladeurs et les mains balayeuses», c’est ainsi que Michel Simonet se décrit. Ah oui, il faut ajouter qu’il est habillé en orange, car il appartient à l’armée des 12 balayeurs de rue de la ville de Fribourg qui, chaque jour, déclare la guerre à la poussière, aux déchets, à tous les rebuts que l’homme abandonne au bord des trottoirs, quand ce ne sont pas les arbres qui se déshabillent en automne. Ce Fribourgeois de 60 ans, qui taille la bavette autant avec l’évêque qu’avec le pizzaïolo, est une sorte de figure intermédiaire entre le Père Fouettard et le Père Noël. Avec le premier, il partage le balai, un super balai en tiges de bambou, mais lui ne s’en sert jamais pour fouetter les enfants. Les enfants, il les adore, il en a d’ailleurs eu sept, qui ont entre 36 et 22 ans. Avec le Père Noël, qui prend quelques mois de récupération, il a en commun tout simplement la générosité. Jamais à court de temps pour choisir un petit mot qui va droit au cœur au passant qui l’aborde, et puis «faire une rue propre pour la collectivité», ça lui plaît, tout simplement.

Michel Simonet

Sa femme souhaitait avoir quatre enfants, lui se voyait bien père de trois. Du coup, le couple Simonet en a eu sept. Tous diplômés, tous sportifs. Ici en 2015 lors de la course Morat-Fribourg qu’ils ont faite en famille.

Julie de Tribolet

Bavarder avec Michel quelques instants vous remet très vite l’échelle des vraies valeurs droite comme un I. Il faut dire aussi qu’il est une petite célébrité, même au-delà de la frontière de la Sarine, depuis la parution de son premier livre, «Une rose et un balai», il y a six ans, vendu à quelque 40 000 exemplaires. Il y racontait le quotidien d’un «Zorro du déchet», «un bigot du mégot». C’était bourré de jeux de mots, de tendresse et d’inventaires à la Prévert où ce «gentleman du macadam» détaillait les centaines de paquets de cigarettes ramassés à l’année, les dizaines de porte-monnaies qui avaient perdu leur propriétaire, les soutiens-gorges, chaussettes, assiettes, fourchettes, plaques minéralogiques abandonnés ou, encore plus insolite, cette basket neuve taille 52 qu’il a toujours conservée, ayant certainement appartenu à un joueur du Fribourg Olympic, qui logeait dans le quartier. Depuis l’apparition du Glutton, cette petite machine aspirante de détritus, les trouvailles sont moins étonnantes, reconnaît-il, mais il y a toujours des surprises au coin des caniveaux.

Michel Simonet

Le balayeur écrivain vient de sortir un second livre et a même été l’invité du TJ. Du coup, on l’arrête facilement dans la rue et notamment lorsqu’il balaie devant la librairie Saint-Augustin, qui a mis ses deux livres en vitrine.

Julie de Tribolet

Ces dernières semaines, le cantonnier poète a sorti un second ouvrage, «Un couple et sept couffins», plus axé sur sa vie familiale, mais son balai et son humour truculent sont toujours présents. C’est le fait d’avoir gagné le Grand Prix culturel Migros et une bourse à l’écriture qui lui a permis de quitter son trottoir pour quelques mois afin de se consacrer exclusivement à ce nouveau livre. Mais pas question de troquer le balai pour la plume ad vitam æternam. «Je suis un balayeur qui écrit et non un écrivain qui balaie», répète-t-il à chaque journaliste. Il n’a pas non plus l’imagination d’un romancier. Sa matière, c’est sa vie.

Michel Simonet

Il pose sa charrette pour signer une préface pour une cliente ou tailler un brin de causette avec une passante.

Julie de Tribolet

On passe devant la vitrine de la librairie Saint-Augustin. Il abandonne quelques instants sa charrette et sa rose emblématique, qui pourrait être celle du Petit Prince, offerte par un fleuriste, pour aller signer quelques préfaces pour des clientes ravies. Le plus beau compliment qu’on puisse lui faire? «Eh bien, c’est du propre!» rigole celui qui affiche un «tout à l’ego modéré». C’est par choix et non par contrainte que Michel Simonet a choisi d’être «concierge de la rue». Certains perçoivent sa profession comme située sur le degré zéro de l’échelle sociale, lui n’a jamais souhaité en grimper les échelons. Il aurait pu continuer il y a trente-six ans à bosser comme employé de commerce à la radio œcuménique qui l’employait, il a choisi une autre voie (rire). Ne pas grader n’est pas dégradant. Son métier n’est pas de merde, assure-t-il, même s’il a affaire au merdier des autres. Et il est fier d’appartenir au monde ouvrier, d’être cet homme libre au geste peut-être répétitif, quoique le maniement du balai puisse s’apparenter à une gymnastique qui apaise l’esprit. «Un métier techniquement basique laisse le cerveau en relatif repos et pousse à cultiver sa matière grise en période de congé», écrit-il. Ses loisirs? Il les passe en compagnie des grands esprits, dont sa bibliothèque fourmille: Homère, Pascal, Yourcenar et beaucoup d’ouvrages théologiques.

Malgré un salaire modeste (il a passé de 3200 à 5200 francs au cours des ans, sans les allocations familiales), il a réussi avec son épouse à acheter une maison pour sa «team Simonet», comme il la surnomme. Tous des sportifs, les Simonet. «On a fait Morat-Fribourg en famille. Mes deux cadets ont été champions suisses juniors de tennis de table! Ils ont même été aidés par la fondation de Roger Federer, qui nous a invités un jour à un pique-nique en sa présence. C’est le père de Roger qui faisait les sandwichs!» 

Michel Simonet

Le dimanche, Michel Simonet chante régulièrement à la cathédrale Saint-Nicolas.

Julie de Tribolet

Pourquoi sept enfants, au fait? «J’en voulais trois, ma femme quatre, ça fait sept au total, non?» plaisante celui qui a reçu à chaque Noël un objet orange, couleur de la voirie, de la part de ses filles. L’une d’entre elles a d’ailleurs fait un doctorat en neurosciences sur le mouvement. Avec un papa qui parcourt quotidiennement 15 km par jour depuis plus de trois décennies, il y avait de quoi illustrer par l’exemple. Tous ses enfants ont fait des études supérieures, mais «aucun n’a jamais rougi de mon métier, confie cet homme pudique. Certes, les garçons, à l’adolescence, étaient un peu plus réservés quand ils me croisaient en ville avec des copains, mais certains sont venus balayer avec moi durant leurs vacances.»

Michel Simonet

Avec Claudine, son épouse, et Adèle, 4 mois, la cinquième de ses petits-enfants. Des sept enfants de Michel, trois vivent encore à la maison.

Julie de Tribolet

Sa boussole, c’est la propreté du sol. En semaine, Michel balaie religieusement ses abords, mais le dimanche, ce catholique convaincu rentre de plain-pied dans la majestueuse cathédrale Saint-Nicolas. Souvent comme soliste et passionné de chant byzantin. Sa foi est profonde, mais l’évêque ne lui a jamais demandé de répandre la parole de Dieu pendant qu’il ramassait les détritus du quartier médiéval. Même s’il évoque lui-même en riant un «sacerdoce de la panosse». Son visage un rien parcheminé s’anime. Ce qui compte, pour cette belle âme, c’est le lien, être présent à l’autre, et pour cela, le métier de balayeur est le plus beau du monde. «On est libres, on ne nous impose pas de cadences, comme aux facteurs, on ne timbre pas, ça marche à la confiance.» Il évoque de belles rencontres, comme Marcel le clochard qui voulait lui donner 5 francs pour ses étrennes. «Je ne voulais pas les prendre au vu de son dénuement. Puis je me suis dit que cet homme habitué à recevoir n’avait jamais la possibilité de donner. Et c’est si important de pouvoir donner. J’ai donc accepté avec reconnaissance.» On accepte nous aussi son histoire comme le premier cadeau de 2022. Bonne année, Michel Simonet! 

 

Michel Simonet

La fratrie réunie sur le canapé du salon en 2005. Quatorze ans séparent l’aîné du benjamin.

Julie de Tribolet

>> Découvrez son livre «Un couple et sept couffins» aux Editions Faim de Siècle.

Par Baumann Patrick publié le 6 janvier 2022 - 08:58, modifié 7 février 2022 - 09:23