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Cinéma

Mila Orriols: «Je veux être artiste depuis toujours, c’est dans mon sang»

La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom. Mila Orriols, comédienne, fait ses premiers pas au cinéma avec le réalisateur suisse Ivan Frésard et prépare un disque. A Lyon, elle nous dévoile son monde artistique d’autodidacte. Un surprenant talent. 

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Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

Mila Orriols, 19 ans, travaille sur son premier album. Chanteuse mais aussi comédienne en herbe, elle a tourné, en juillet dernier, un teaser de dix-sept minutes avec le Suisse Ivan Frésard, connu des Romands pour avoir conçu et animé l'émission satirique «La soupe est pleine» sur la Radio suisse romande. A Paris, où il vit depuis dix ans, il a écrit son premier long métrage, dont elle sera le personnage principal.

Darrin Vanselow
Didier Dana

Elle a un visage lunaire, des yeux d’un bleu translucide qu’elle aime planter dans le regard de ses interlocuteurs pour les scanner et mieux «voir à travers eux», dit-elle. Avec Mila Orriols, 19 ans, ça passe ou ça casse. Ce jour-là, on la retrouve à Lyon, sa ville. Souriante, en jeans et baskets, elle trimbale de faux airs de Madonna jeune et laisse deviner sur sa peau laiteuse des feuilles tatouées le long de son cou. A ses côtés, une figure connue des Romands, Ivan Frésard, 55 ans. L’ancien trublion de «La soupe est pleine», sur les ondes de la Radio suisse romande, est auteur-réalisateur et patron d’IF Productions, à Paris, où il vit depuis dix ans. «Je cherchais une comédienne pour mon projet de long métrage intitulé «Tant de vagues et de fumées», explique-t-il. J’en avais quatre ou cinq en tête, mais, à chaque fois, ça ne marchait pas. Il me fallait quelqu’un de tout à fait à part.»

Voilà comment Mila s’est imposée à lui. «Elle avait été médiatisée. Alors, en avril dernier, sur un coup de tête, je me suis rendu au Tribunal correctionnel de Paris. Mila est une femme libre. Elle m’avait impressionné par son charisme. Je lui ai tendu ma carte de visite en pensant qu’elle n’appellerait jamais. Or elle m’a très vite téléphoné.» Ce jour-là, la jeune femme est accompagnée par l’avocat Richard Malka. On ne la connaît alors qu’à travers le prisme des médias, son prénom accolé au mot «l’affaire», elle fait face à 13 personnes accusées de cyberharcèlement et de menace de mort sur les réseaux sociaux. Un enfer qu’elle raconte dans «Je suis le prix de votre liberté», son livre paru l'an dernier chez Grasset. De cela, elle ne parlera pas, ou par allusions. Mila est habitée par autre chose, un monde intérieur et artistique foisonnant. Elle fait ses premiers pas dans le cinéma, prépare aussi un album, dessine et écrit. Des passions qu’elle cultivait jusque-là en secret et qu’elle dévoile pour la première fois. 

Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

Mila et Ivan Frésard dans les rues de Lyon. «Elle joue naturellement», dit-il.La jeune femme se met volontiers en scène sur son compte Instagram, baptisé Milafique.

Darrin Vanselow

«L’illustré» a eu accès aux premières images du film en devenir, un teaser de dix-sept minutes, tourné en juillet, trois mois après la rencontre entre Ivan Frésard et Mila Orriols. A l’écran, actrice naturelle, elle se hisse au niveau des comédiens chevronnés que sont Bernard Ménez et Brigitte Masure. «Depuis que je suis en âge de parler, je veux chanter et jouer, être une artiste, souligne-t-elle. C’est dans mon sang. A l’école, à force de le répéter, j’avais du mal à me faire des amis. A toujours vouloir créer, j’étais isolée.» A 14 ans, elle réalisait ses premiers courts métrages. «Je les montrais en classe. J’avais une petite notoriété sur mes réseaux sociaux et jusqu’à 10 000 abonnés vers 16 ans. Cela peut paraître narcissique, mais j’aime me mettre en avant, sans être égocentrique.» Lorsqu’elle s’exprime, on oublie totalement son âge. «J’ai cette confiance en moi et je sais que ça s’entretient. J’ai vécu pas mal de choses dans la vie qui m’ont fait comprendre qu’on pouvait me la faire perdre.»

 

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«L’illustré» a eu accès aux premières images du film Tant de vagues et de fumées, un teaser de dix-sept minutes, tourné en juillet, trois mois après la rencontre entre Ivan Frésard et Mila Orriols.  

Ivan Frésard a commencé à échafauder son histoire il y a quatre ans. Elle raconte la trajectoire de Gala, une jeune femme en rébellion. «Mon héroïne ne voit pas pourquoi elle continuerait à exister dans ce monde d’adultes où tout va mal et se déglingue. Elle veut en finir avec la vie et l’inscrit dans son journal intime. Après avoir rompu avec ses parents, elle fugue et se réfugie au cimetière de Montmartre.» Dans la fiction, il lui reste un mois et demi à vivre. «Je fête mes 23 ans, dit le personnage, et après, tout s’arrête. Plus rien. J’en ai plus envie.» Comme l’amour passe par-là – Gala va aimer un homme beaucoup plus âgé –, tout ne va pas se passer comme prévu dans cette fable en prise directe avec les problématiques actuelles: mal-être, changements climatiques, manque de perspectives d’une génération qui en veut à la précédente. Le scénario, primé dans la catégorie «premier long métrage» par le Centre national du cinéma (CNC) a reçu les encouragements de Bertrand Tavernier. Avant sa disparition en mars 2021, il a fait de judicieuses recommandations au cinéaste romand et salué sa passion. Mila, elle, a immédiatement flashé en recevant le projet. «En lisant le texte, j’ai vraiment ressenti quelque chose. Gala, c’était moi, jusque dans les dialogues», souligne-t-elle. Frésard ajoute: «Mila, son prénom résonne avec celui de Gala, mon héroïne. C’était elle, comme une évidence.»​

Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

Ivan Frésard a su gagner la confiance de Mila Orriols, approchée en février au Tribunal correctionnel de Paris. «Je cherchais quelqu’un d’à part. Cette jeune femme libre m’avait impressionné par son charisme.»

Darrin Vanselow

La découvrir évoluant à l’image est une surprise à laquelle s’ajoute celle de l’entendre chanter d’une voix superbe. Mila interprète «SOS d’un Terrien en détresse», l’un des titres phares de «Starmania», la comédie musicale signée Michel Berger et Luc Plamondon. «Je ne savais pas qu’elle l’avait enregistrée avec les moyens du bord, confie Ivan Frésard encore étonné. Elle me l’a fait écouter, on l’a rajoutée au montage et là, miracle, les paroles de la chanson – «J’aimerais mieux être un oiseau, j’suis mal dans ma peau» – collaient parfaitement à la séquence. En plus, et c’est encore un hasard, le nom de Michel Berger est cité dans les dialogues avec ceux de François Truffaut et de Jacques Rivette qui reposent, comme lui, à Montmartre. Il y a dans ma rencontre avec Mila une série de coïncidences que je ne m’explique pas. Quelque chose «au-dessus» de nous qui fait que tout se met en place.»

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Mila Orriols interprète dans cette bande-annonce le titre «SOS d'un terrien en détresse» de Michel Berger et Luc Palmondon.  

Que ce soit devant une caméra ou avec un micro, Mila a commencé au berceau. «Mes parents me filmaient, je chantais devant papy et mamy, les invités. J’y prenais un plaisir dingue», se souvient-elle en nous montrant sur son téléphone un extrait où, à 2 ans, blondinette gazouillante, elle fait le show. «Ce monde chimérique, cette bulle que je me suis créée enfant, j’ai la capacité de la reproduire aujourd’hui en m’imaginant sur scène.» Mila n’a jamais suivi d’école de théâtre, étudié d’instrument ou pris de cours de chant. Elle s’est toujours laissé guider par sa fantaisie, nourrie par les encouragements de son entourage et surtout de sa famille, le socle de son existence. «J’ai eu la chance de grandir dans un milieu sain. Mon père et ma mère m’ont toujours encouragée, m’ont accompagnée, sans jamais me rabaisser ni me juger.» Lui est dans le génie hydraulique, elle est directrice des ressources humaines dans une mairie.

Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

​En septembre 2021, Mila a commencé à se faire tatouer l’univers de fées qui peuple son imaginaire. «C’est une sorte d’armure. Quant à la musculation, elle me permet de canaliser mon trop-plein d’énergie. Je souffre de trouble de l’attention avec hyperactivité.»

Darrin Vanselow

Pour saisir la singularité de cette jeune femme, il faut remonter le temps. Un jour, voyant que sa petite Mila ne tenait pas en place, sa mère a cherché à comprendre. «Je souffrais de manque ou d’excès d’attention, ce qui peut, dans les deux cas, conduire à des absences.» Le diagnostic allait tomber après deux ans: TDAH ou trouble de l’attention avec hyperactivité. «Ça définit une immense partie de ma personnalité, souligne Mila. Je suis sous Ritaline depuis que j’ai 12 ans. Le pire, c’est l’excès d’énergie dans mon corps. Je bouge sans arrêt, comme une droguée en désintox. J’en parle d’emblée en société, sinon on me prend pour une timbrée.» Si on lui proposait un remède radical, elle y renoncerait. «J’ai toujours été comme ça. Je me suis construite autour de mon trouble. Pour moi, c’est une force. Sans ça, je ne serais plus moi-même. Ça ne touche pas ma santé physique. Mon corps est en bonne santé.» Sa notoriété lui permet d’en parler à ses abonnés sur son compte Instagram, baptisé Milafique, où elle se met en scène, s’exhibe librement, nue parfois, devient autre, échappée d’un monde féerique qu’elle a fait tatouer sur son corps. «J’ai des ailes de fée sur le torse, des fées sur les bras. J’ai écrit le mot résilience en majuscules sur les côtes.»

Tout cet univers est encré dans sa peau. «J’ai commencé en septembre 2021», dit-elle, en nous montrant un aigle sur son mollet, une créature fantastique sur l’autre, des papillons près du nombril. «J’ai fait dessiner une dague avec des ronces sur la cuisse. Ces tatouages forment une sorte d’armure. Ce monde-là, je le cultive dans mes rêves.» Le matin au réveil, elle note ses songes. Le dernier? «Pour sortir d’une prison, j’ai créé, avec mes pouvoirs, une créature géante.» Elle retient même le nom de ces êtres chimériques surgis pendant son sommeil; il y a Elema ou Chemwo. «Mes rêves forment une continuité. Parfois, je me dis: «Je dois avoir un truc qui ne tourne pas rond.» Pour être heureuse, j’ai besoin de ne pas garder les pieds sur terre. Un jour, j’en ferai un roman fantastique.»

Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

Au cimetière de Montmartre, Mila Orriols donne la réplique au comédien Bernard Ménez, qui joua notamment, en 1973, dans «La nuit américaine» de François Truffaut, l’un des réalisateurs fétiches d’Ivan Frésard.

DR

Son autre passion, c’est la salle de gym. «Des heures de musculation. J’ai perdu du poids, je veux gagner 15 kilos de masse musculaire et sculpter mon corps.» Son label a dû gentiment la rappeler à l’ordre: «Arrête de passer tant de temps à la salle et écris.» Au début, se dépenser était une lubie; désormais, Mila en tire bénéfice. «Le sport m’a sauvé la vie. Il canalise mon trop-plein d’activité, m’équilibre mentalement. Repas, sommeil, concentration, je gère mieux ma vie.» A côté, elle travaille. «Je trouve du job aléatoirement, je fais des petits tafs dans la restauration.»

Pour 2023, ses priorités sont le disque et le film. Il y aura une dizaine de titres sur l’album. «J’ai un producteur et un manager. On travaille en studio avec une coparolière et des «beatmakers».» Certaines de ses chansons datent des années de collège. «Elles évoquent des sujets qui ne me concernent pas forcément: les violences conjugales ou le suicide, pour la toute première, conçue à 14 ans. Il y a des chansons d’amour, dont une sur l’amour lesbien. J’aime indistinctement les femmes et les hommes. J’ai des textes assez énervés, féministes aussi, sur le harcèlement.»

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Lorsqu’on lui demande comment elle se situe par rapport à la thématique générationnelle soulevée dans le film, elle répond sans hésiter: «Contrairement à Gala, qui incrimine la génération précédente, moi, je pense que c’est la mienne qui est en train de tout foutre en l’air. Elle fait de bonnes choses pour l’écologie, mais je ne me reconnais ni chez les wokes, ni chez les néoféministes, et je ne tacle jamais les anciens qualifiés de «boomers». Ma génération, je ne la sens pas, ce sont des chouineurs. Ils passent leur temps à se plaindre.» Ivan Frésard observe. «Son discours est sans entraves. Quand elle parle, on tend l’oreille.» Lui tente de réunir la somme nécessaire. «On entre en production. J’ai besoin de 3 à 5 millions. Nicolle Ruellé, productrice d’«Allemagne année 90 neuf zéro», de Jean-Luc Godard, m’a approché. Je souhaite que le film soit vu sur les plateformes et j’aimerais commencer à tourner d’ici à une année», dit-il. Affaire à suivre. 


Un piège numérique

 

Je suis le prix de votre liberté, le livre de Mila Orriols. Affaire Mila: La jeune Française de 19 ans veut oublier «l’affaire» associée à son prénom.

>> Découvrez l'ouvrage de Mila Orriols: «Je suis le prix de votre liberté», Ed. Grasset, 2021.

DR

Il est impossible de comprendre ce que les médias ont qualifié en France d’«affaire Mila» sans lire cet ouvrage de 136 pages signé Mila Orriols. Ici, pas de raccourci, d’opinion à l’emporte-pièce, mais des faits et un ressenti. Mila raconte son parcours de jeune fille libre d’aujourd’hui. Elle décrit l’engrenage infernal qui s’est mis en marche le 18 janvier 2020 et le piège numérique glaçant dans lequel elle a été enfermée, recevant, en quelques heures, des centaines de milliers de messages d’insulte, de menaces de mort, de viol, pour avoir, à 16 ans, osé critiquer crûment l'islam. Elle ne l’a pas fait par racisme ou par haine de l’autre, mais en riposte aux attaques répétées dont elle faisait l’objet parce qu’elle aimait une femme. Cet ouvrage pose la problématique des réseaux sociaux et de la liberté d’expression. Il dénonce les bourreaux cachés derrière l’anonymat de leurs écrans. Des individus capables d’alimenter la haine au point de demander la tête d’une enfant. Si la justice les a condamnés, l’existence de Mila, elle, restera marquée à jamais. 

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Par Didier Dana publié le 20 octobre 2022 - 08:37