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Le milliardaire suisse qui veut sauver la planète

L’annonce par le Suisse Hansjörg Wyss d’un don de 1 milliard de dollars à des projets de conservation a fait sensation. Portrait d’un Bernois discret, qui a fait fortune aux Etats-Unis. 

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Hansjörg Wyss et sa sœur Hedi en 2014 à Berne, où ils sont nés. Ils partagent le même engagement pour la nature. Adrian Moser

Par souci d’économies, il préfère prendre le métro plutôt qu’un taxi. Ce qui ne l’empêche pas de piloter son propre Falcon. Passionné de trains, il a fait installer, dans sa propriété de Martha’s Vineyard, sur la côte Est des Etats-Unis, une voie ferrée miniature, avec une locomotive crachant de la vapeur. «Imelda Marcos a des centaines de paires de chaussures, j’ai mes wagons de train», a dit Hansjörg Wyss à sa sœur Hedi.

Cette anecdote est tirée du livre Hansjörg Wyss – Mein Bruder. Dans l’ouvrage publié en 2014 et traduit en anglais par Peter Halter, leur cousin et professeur honoraire de littérature américaine à l’Université de Lausanne, l’auteure a tenté de percer le mystère de cet aîné hors du commun et qui reste, malgré sa générosité et son parcours, inconnu du grand public. Il est vrai qu’il n’accorde des interviews qu’au compte-gouttes. Ce qui lui permet de passer inaperçu, avec sa démarche voûtée et ses godillots, quand il prend le tram à Berne.
Non content d’être l’une des personnalités les plus riches du monde (avec une fortune estimée à 5,8 milliards de dollars, le magazine américain Forbes le classe à la 315e place), le Suisse est l’un des plus généreux. Il est signataire de The Giving Pledge, une campagne des Américains Warren Buffett et Bill Gates visant à encourager les riches de ce monde à donner la majorité de leur fortune à des causes philanthropiques. Impossible de lister ici toutes celles auxquelles contribue le milliardaire, en Suisse (l’ETH, la Fondation Beyeler, qu’il préside après avoir aidé son ami Ernst Beyeler à créer le musée…) ou ailleurs. Celle qui lui tient le plus à cœur: la planète. En octobre, dans le New York Times, il annonce: «Nous devons sauver la planète. C’est pourquoi je fais don de 1 milliard de dollars.»

Débordant d’énergie

Sur le papier, rien ne le prédestinait à devenir un self-made-man et l’un des plus importants philanthropes du monde. Hansjörg Wyss naît à Berne en 1935, deux sœurs suivront. La famille est aimante, la mère curieuse et avide d’apprendre. A l’époque, on va encore chercher le charbon à la cave pour se chauffer et toute la famille déjeune ensemble au son des informations diffusées par la radio. L’aîné est décrit comme débordant d’énergie; skieur chevronné, il a même couvert les JO d’hiver à Innsbruck en 1964 pour la Neue Zürcher Zeitung. Son père lui inculquera ses connaissances de la nature lors de balades au bord de l’Aar. Mais c’est, dit Hedi Wyss, la beauté des paysages qui le touche. Elle observe, interloquée et fière, cet homme qui ne s’arrête plus dès lors qu’il a décidé quelque chose, qui fascine par sa discipline et sa détermination à bien faire, qu’il s’agisse de piloter un avion, de recevoir des amis ou de diriger une entreprise.

Il finalise ses études à la Harvard Business School, travaille ensuite dans l’industrie du textile, pour Monsanto ou le fabricant automobile Chrysler. C’est en lui vendant un avion qu’il fait la connaissance de l’un des fondateurs de Synthes, une firme de matériel médical de pointe, qu’il rejoint dans les années 1970. Il va créer la branche américaine du groupe avant d’en prendre la tête et de finalement le revendre en 2012, empochant des milliards de dollars. A l’époque, il le dit et le répète: «J’en ai trop.» Comprendre: trop d’argent.
Le milliard annoncé servira, espère le Suisse, à préserver 30% des terres et des océans d’ici à 2030. Concrètement, la Wyss Campaign for Nature, associée à la National Geographic Society, entend soutenir les communautés locales et les ONG qui luttent pour établir ou maintenir les parcs et réserves naturels. Neuf premiers projets ont été choisis. En Europe, les Monts-Fagaras des Carpates, en Roumanie, ont été privilégiés. L’ONG Fundatia Conservation Carpathia, qui œuvre pour que la zone devienne un parc national, va pouvoir «continuer à acheter des forêts», indique son directeur exécutif, Christoph Promberger. Carpathia est soutenue par la Fondation Wyss depuis 2007. «Sans son aide, nous ne pourrions pas réaliser notre projet, puisque la fondation est l’un des rares donateurs qui soutiennent l’acquisition de terres.»

Fasciné par l’Ouest américain

Acquérir des terrains: l’idée est à la fois simple et radicale. En vingt ans, la Fondation Wyss a déjà fait don de 450 millions de dollars et permis la conservation de 16 millions d’hectares à travers le monde, en étroite collaboration avec des partenaires locaux, indique le porte-parole Greg Zimmerman. Cette manière de faire lui vaut de solides inimitiés. La Fondation Wyss «est dédiée au financement de groupes environnementalistes radicaux qui verrouillent de larges sections de l’Ouest américain et en privent l’accès aux développeurs ou aux exploitants de bétail», critique le site Activist Facts du groupe CORE, un lobby américain des industries du fast-food, de la viande, de l’alcool et du tabac. Qui conclut que cet homme qui n’a pas la nationalité américaine a fondé «une infrastructure politique d’envergure». S’il s’exprime rarement dans les médias, l’intéressé n’hésite pas à s’engager politiquement. Il s’est fréquemment opposé à Christoph Blocher au sujet de l’Union européenne ou de l’immigration. Et déplore que la Suisse «n’en fasse pas assez pour protéger ses paysages uniques». «Nous devrions arrêter de construire des télésièges et des villages morts avec des résidences secondaires», a-t-il récemment déclaré.

Cet amour des grands espaces lui avait été inspiré par son premier séjour aux Etats-Unis, en 1958. Alors étudiant, il décroche un job d’été comme arpenteur dans le Colorado. Depuis, il a gardé une fascination pour l’Ouest américain. Le Wyoming, où vivent sa fille et ses petits-fils, serait sa résidence principale, même s’il est propriétaire d’une maison à Prangins (VD), d’un chalet à Lauenen près de Gstaad (BE), d’un vignoble en Californie…

Avec sa dernière initiative, Hansjörg Wyss montre son «incroyable rôle de leader, dont de nombreux dirigeants d’Etat pourraient s’inspirer, salue Enric Sala, explorateur responsable pour la conservation globale à la National Geographic Society. Les milliardaires peuvent aider à combler le vide que les gouvernements sont incapables de combler. De plus, certains ont fait fortune avec des entreprises qui détruisent la nature, comme les énergies fossiles.»
Dans son livre, Hedi Wyss, que son frère a rendue riche à son tour, souligne qu’il est parfaitement conscient des ravages du système capitaliste. «Son engagement pour l’environnement, c’est sa tentative de rééquilibrer l’impact destructeur de l’économie.» Un engagement aux airs de testament qui pourrait changer l’avenir de la Terre.


En 5 dates

19.09.1935
Naissance à Berne.
1959
Diplôme de génie civil à l’EPFZ.
1971
Naissance de sa fille Amy. Aujourd’hui, elle a sa propre fondation, qui soutient les communautés rurales de l’Ouest américain.
1977
Fonde la branche américaine de Synthes, qui commercialise implants et prothèses. En 2012, il vend l’entreprise, dont il est devenu le président, pour 19,7 milliards de dollars.
Octobre 2018
Annonce le lancement de la Wyss Campaign for Nature, dotée de 1 milliard de dollars.


Par Albertine Bourget publié le 3 janvier 2019 - 09:25, modifié 18 janvier 2021 - 21:02