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«Mon handicap n’est pas un prétexte pour freiner mes rêves»

Paraplégique de naissance, la Vaudoise Joelle Philibert a sillonné l’Europe, les Etats-Unis et le Canada à bord d’un van adapté à ses besoins. Cette baroudeuse qui a parcouru 100 000 km se raconte sans fard dans un livre autobiographique bouleversant. Rencontre.

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Joelle avec Karen une aide de vie qui l'a accompagnée lors de certaines étapes de son roadtrip en van adapté

Très complices, Joelle et Karen, son auxiliaire de vie, ont parcouru 40 000 km aux Etats-Unis et au Canada. Sa chaise roulante électrique de la marque Swiss Grand pèse 170 kg et peut atteindre des pics de 12 kmh/h. Un fauteuil qu’elle peut surélever ou abaisser pour se positionner à la hauteur de ses interlocuteurs.

Blaise Kormann

Ses mots sont crus, sans artifice, douloureux dès les premières pages de lecture. Ils bousculent et tranchent avec son humour caustique, sa bonhomie et un sourire aux lèvres qui ne la quitte pas, jamais. «J’ai été confrontée à plusieurs rejets au cours de ma vie. Oui, je les ai reçus en pleine tronche, mais cela ne veut pas dire que c’est la vérité. Avec ce livre, je veux parler à tout le monde. Je veux faire un pied de nez à toutes ces injonctions en racontant mon histoire personnelle», rétorque fermement Joelle, assise dans sa chaise roulante à la terrasse d’un restaurant à Ouchy aux côtés de Karen, une de ses auxiliaires devenue amie au fil du temps.

C’est que l’histoire de vie de cette habitante du Gros-de-Vaud est une succession de combats pour exister. Une bataille qu’elle a dû mener très tôt, lorsqu’un membre du corps médical commet des fautes au moment de sa venue au monde, le 3 novembre 1979. Résultat? Une déchirure du plexus brachial, un écoulement de la moelle épinière et une double scoliose du côté gauche qui l’empêcheront de marcher et d’utiliser son bras gauche. Si la Vaudoise dit ne pas éprouver de rancœur à l’égard de l’obstétricien l’ayant mise au monde, elle confie: «La seule colère que j’ai pu ressentir réside dans le fait qu’ils ont blessé ma maman. Aujourd’hui, je m’y suis faite, à ma paraplégie, elle fait partie de moi.» Un handicap qui ne l’a donc pas empêchée de vivre une vie à mille à l’heure, loin des clichés que les personnes valides peuvent s’imaginer.

Car Joelle – Jo’Z de son surnom, à prononcer «j’ose», tout un symbole – n’est pas de celles et ceux qui se laissent brider par le regard et les croyances limitantes d’autrui. «Mon handicap ne sera pas un prétexte pour freiner mes rêves!» clame-t-elle à maintes reprises dans son livre intitulé «Jo’Z – Les routes de la vie».

Un divorce salutaire


Premières sorties, premiers émois amoureux, formation professionnelle de graphiste, exode à Paris: Joelle s’évertue à brûler la chandelle par les deux bouts, occasionnant au passage quelques sueurs froides à ses proches.

Elle a 22 ans lorsqu’elle rencontre son futur époux, un étudiant en médecine. Une relation passionnelle et fusionnelle qui va durer neuf ans et déboucher sur sept années de mariage. «Il était mon tout. Il n’y avait que lui à l’époque. Je vivais un rêve bleu, j’étais la vraie femme au foyer qui gérais tous les aspects administratifs et organisationnels de notre duo», reconnaît-elle. Un besoin de «normalité» dans son quotidien? Peut-être. Mais, à la différence des histoires d’amour issues des Walt Disney, le couple finit par s’auto-consumer. «Il aspirait à plus de liberté, voulait changer de vie.»

S’ensuit alors un long passage à vide, une dépression. «Quand tu as 30 ans et que tu te fais quitter, ce n’est déjà pas très joyeux, mais se faire plaquer à 30 ans en ayant un handicap...» Alors qu’elle a toujours fait preuve d’une résilience à toute épreuve, Joelle se retrouve démunie, perdue. Et puis le temps fait son œuvre grâce au soutien de son entourage, grâce à des rencontres.

L’ami Goldorak


Le besoin de liberté éprouvé par son ex-mari, Joelle finit par le ressentir elle aussi: «Ce désir de liberté et d’aventures a fini par faire écho en moi. J’avais envie de partir en voyage, de vivre des sensations extrêmes après toutes ces années où je m’étais oubliée.»

Le salut, elle va tout d’abord le trouver grâce à Goldorak, un van de 9 mètres carrés spécialement aménagé et adapté à sa paraplégie. Le véhicule, qui tire son nom de la série animée japonaise des années 1970, est équipé par le Centre suisse des paraplégiques à Nottwil (LU) d’une rampe élévatrice ainsi que d’un système de joystick pour une conduite à une main. Tout ce dont Joelle a besoin.

Joelle Philibert dans son van

Joelle peut mettre en marche accélérateur, freins, clignotants, phares, essuie-glaces, klaxon et direction de son van à l’aide de ce joystick qu’elle manie de la main droite.

Blaise Kormann

Mais cette liberté a un coût: 120'000 francs d’aménagement, qui ne seront pris que partiellement en charge par l’AI. La Fondation suisse pour paraplégiques lui apporte heureusement un soutien financier.

Dans son parcours du combattant, Joelle se heurte également à un système pensé avant tout pour les personnes valides. Une bataille administrative et psychologique – une de plus – qui nécessitera l’intervention de sa mère auprès du Service des automobiles et de la navigation pour qu’elle puisse s’inscrire à l’examen théorique et obtenir le permis d’élève conducteur. «J’ai obtenu mon permis (un permis spécial rattaché à son véhicule, ndlr) le 16 mai 2013», glisse-t-elle, émue et fière au moment de nous montrer sa carte qui s’avérera être son permis… provisoire, ce jour-là. Fou rire. Une émancipation qui aura elle aussi un prix. «Mon permis m’a coûté 12'000 francs et, si on prend les nuitées à Nottwil, on peut dire 15'000 francs.»

Quête de liberté


Le précieux sésame en poche et accompagnée durant ses périples par des auxiliaires de vie bénévoles comme Karen, qui l’assistaient dans ses soins quotidiens, Joelle a avalé les kilomètres au volant de son fidèle destrier. Espagne, Roumanie, Serbie, Norvège, Etats-Unis ou encore Canada. Au total, la quadragénaire a parcouru près de 100'000 km entre 2014 et 2019. Trente pays visités au total. Joelle planifie minutieusement ses voyages, s’enquiert de l’aménagement et de la situation pour les personnes à mobilité réduite. «Les Etats-Unis ont un temps d’avance sur l’Europe, c’est accessible et de nombreux lieux sont adaptés», constate-t-elle.

Joelle Philibert à Tropea

Septembre 2014: au bord de la mer à Tropea, village médiéval et pittoresque du sud de l’Italie.

Collection privée Joëlle Philibert

Un voyage en van on ne peut plus normal en somme, avec son lot de mésaventures loufoques, comme lorsque Joelle a été confrontée au vol de ses sondes vésiculaires à Bruxelles... Mais une revanche en bonne et due forme pour celle qui s’est souvent entendu dire: «Tu ne peux pas.»

>> A lire «Jo’Z – Les routes de la vie», de Joelle Philibert. Plus d'informations sur www.jo-z.ch

«Jo'z Sur les routes de la vie», un livre de Joelle Philibert
Collection privée Joëlle Philibert
Par Elisa Antonio publié le 29 octobre 2023 - 09:23