Les Kazakhs de Mongolie? Peu nombreux, entre 30 000 et 40 000, minorité musulmane dans un pays à majorité bouddhiste chamaniste, ils mènent une vie d’éleveurs nomades dans un territoire montagneux au climat très rude, la région du Bayan-Ölgiy, la plus à l’ouest du pays et la plus déshéritée. Ils ont donc tout pour être oubliés du monde, et d’ailleurs ils le seraient totalement s’ils n’entretenaient une relation millénaire avec un être magique, le seul, dit-on, à pouvoir fixer le soleil: l’aigle royal de l’Altaï.
Le plus grand aigle de l’hémisphère nord, dont l’envergure peut atteindre 2 m 30 pour un poids de 7 à 10 kg, est un super-prédateur. Sa vision, huit fois supérieure à la nôtre, lui permet de repérer ses proies de très, très haut, pour piquer sur elles à quelque 320 km/h et les crucifier de ses puissantes serres dans une étreinte de mort. Lapins, marmottes, chats sauvages, lynx, jeunes cervidés et loups, oiseaux de toute plume et, dans l’Altaï, beaucoup de renards, il fond sur tout ce qui bouge – ou pas, puisqu’il peut se contenter d’une charogne au besoin.
Des aiglons prélevés au nid
Domestiquer cette arme ou, en tout cas, la dresser pour la chasse, c’est tout l’art, ancestral, des Kazakhs. Selon la tradition, l’aigle devrait être prélevé dans un nid abritant plusieurs aiglons et ce vers l’âge de 4 mois, quand il a tout appris de ses parents, afin qu’il soit apte à survivre lorsqu’il sera relâché dans la nature après huit ou dix ans de bons et loyaux services. Vivant sous la yourte, l’aiglon est nourri et récompensé avec de la viande crue, apprend à se tenir sur le bras de son maître, à réagir à ses appels, à attaquer un leurre traîné par un cheval… Lorsqu’il est prêt pour la chasse, son maître a intérêt à l’être aussi car il s’agit pour lui, une fois l’aigle lâché depuis un sommet sur sa proie, de piquer des deux éperons pour arriver sur la proie avec son petit cheval avant que le rapace n’abîme sa précieuse fourrure.
La jeune fille et son aigle
Aujourd’hui, la chasse à l’aigle est encore pratiquée par les Kazakhs, mais elle est surtout une attraction touristique, en particulier grâce au Festival des aigles d’Ölgiy, qui voit chaque année au début d’octobre s’affronter les meilleurs aigliers de la région au cours de deux jours d’épreuves. Et c’est grâce à une jeune fille de 13 ans, Aisholpan, qui a remporté cette compétition en 2014, signant la première victoire féminine à la barbe des concurrents masculins, que les projecteurs se sont tournés vers Bayan-Ölgiy. La jeune fille et son aigle, documentaire américano-britannico-mongol d’Otto Bell, sorti en 2016, a fait le tour de la planète. Et s’il triche un peu, Aisholpan étant bien la première à gagner le festival mais pas la seule femme à chasser à l’aigle, c’est pour les bonnes causes. Des femmes et des Kazakhs. Les femmes ne sont d’ailleurs pas les premières représentantes du sexe dit faible à avoir infiltré le monde viril de la chasse à l’aigle, les aigles en question étant en général des femelles, plus grandes que les mâles de l’espèce et meilleures chasseuses!
Du renard au drone
La chasse à l’aigle, elle, n’en finit pas de se moderniser. Quel que soit leur sexe, d’Artagnan, Porthos, Athos et Aramis ont été dressés par l’armée française pour chasser des drones. L’an dernier, la police genevoise faisait l’acquisition de deux œufs d’aigles, aiglons aujourd’hui dressés dans le même but. Quant aux Néerlandais, précurseurs en la matière, ils ont renoncé, trouvant les aigles trop désobéissants.