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Nadja Hofmann, la passeuse d'histoires

La journaliste Nadja Hofmann s’est spécialisée dans les récits de vie. Elle consacre une partie de son temps à interviewer et enregistrer des personnes âgées qui souhaitent raconter leur existence et les souvenirs qui leur sont chers. Avec son projet Une Vie une Histoire, elle grave à jamais les témoignages sur une clé... USB.

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Avec son chien Oscar, la journaliste Nadja Hofmann se balade près de chez elle, à Rochefort, dans le canton de Neuchâtel

Avec son chien Oscar, la journaliste Nadja Hofmann se balade près de chez elle, à Rochefort, dans le canton de Neuchâtel.

 
Julie de Tribolet

«Je voulais connaître leur histoire avant qu’il ne soit trop tard.» Nadja Hofmann, 52 ans, a eu l’idée d’enregistrer ses parents, âgés de 80 ans, pour immortaliser leur voix et les épisodes marquants de leur vie. Cette journaliste amoureuse du son a réalisé la première interview avec son père. «Comme pas mal de personnes, il a commencé avec des notes sur ses genoux. Il avait écrit des dates, de manière très scolaire. Au bout d’un moment, il a lâché ça et s’est mis à faire des gestes. Je devais même lui dire de faire attention au micro. Une fois qu’on lance les personnes dans l’histoire, elles revivent leurs souvenirs.» Forte de cette expérience, Nadja met en place une offre de «biographie sonore» et lance le projet Une Vie une Histoire. Son but: «Offrir un héritage, transmettre quelque chose de spirituel et émotionnel.» Après deux matinées d’enregistrement et plusieurs heures de montage, le son terminé est gravé sur une clé USB en forme de véritable clé ancienne.

«Pas des vies à la James Bond»


«J’avais tout ce qu’il fallait: je suis journaliste, j’aime le son. Mes premières commandes d’enregistrements venaient d’amis ou de connaissances qui m’ont fait interviewer leurs parents ou leurs grands-parents.» Car les mandats viennent très souvent de personnes qui souhaitent mieux connaître leurs aînés. «Dans les familles, on raconte presque toujours les mêmes histoires, ce sont comme des petites légendes qui reviennent en boucle et, finalement, il nous manque pas mal de pièces du puzzle», analyse Nadja en se remémorant son expérience avec ses propres parents. Elle remarque aussi que les gens sont modestes, doutent d’avoir une vie digne d’être narrée. Pourtant, tout le monde finit par se prendre au jeu. «Quand ils racontent leur vie, ça les valorise. Ce ne sont pas des vies à la James Bond, mais il y a toujours des choses à partager.»

Les confidences donnent souvent lieu à des rires ou à des larmes. Ce n’est pas anodin de se replonger dans les instants les plus marquants de son existence: son enfance, son premier amour, son premier job, son mariage, la naissance d’un enfant. «Une personne m’a un jour mandatée pour son papa et sa maman. J’ai enregistré le couple ensemble. C’est la dame qui a raconté en premier, mais ce qui est chou, c’est que son mari avait posé un paquet de mouchoirs devant elle parce qu’il savait qu’elle allait pleurer.» On imagine bien ses interlocuteurs s’ouvrir à Nadja, car, sous ses longs cheveux noirs, ses yeux curieux et son sourire chaleureux invitent à la confidence. Et si les anecdotes ne manquent pas d’émotion, elles viennent également éclairer différentes périodes historiques. «Ces personnes racontent leur histoire personnelle, mais finalement, ça fait écho aussi à l’histoire avec un grand H. Parfois, les gens me parlent de métiers qui ont presque disparu, comme les meuniers. Une dame m’a aussi parlé de son métier d’institutrice qui n’osait pas se marier à l’époque, sinon elle n’aurait plus osé travailler.» 

 
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Un patois à sauver de l’oubli


D’autres fois, c’est même une langue entière qui risque de disparaître et doit être consignée. Le Musée des Ormonts, à Vers-l’Eglise (VD), a approché Nadja Hofmann dans le but de sauvegarder le patois de la région. Un vocabulaire qui vieillit, car les nouvelles générations, voyageant et tissant d’autres liens, s’en désintéressent. Pour recueillir ces mots de la bouche d’une poignée de personnes entre 60 et 80 ans, la journaliste est partie trois jours à Ormont-Dessus, avec son chien et son matériel léger d’enregistrement. «Dans ce patois, chacun a son vocabulaire. Parmi les personnes que j’ai vues, il y avait un bûcheron qui m’a dit les mots du domaine forestier. Il y avait aussi un menuisier à la retraite. Et puis un fromager avec une culture incroyable. J’étais scotchée, je me suis dit: «Il en connaît, des trucs!» Ce que j’aime dans ce métier, c’est qu’on rencontre des gens fantastiques.»

La matérialité du son


Dans ce contexte, l’utilisation du son prend tout son sens. A l’écrit, difficile de rendre compte de l’accent et de la prononciation, pourtant indispensables à la sauvegarde du patois ormonan. Pour Nadja, le son, c’est une évidence. «J’adore la voix et je trouve que c’est un matériau plus authentique et émotionnel que le texte. Quand on rédige un texte, on remodèle le discours. Quelque part, on perd l’ADN de la personne.» Elle parle avec les mains, mime une matérialité précieuse: ce timbre d’une voix, indissociable de celui ou celle qui prononce les mots. «Quand quelqu’un disparaît, on oublie trop vite sa voix. On garde des photos, mais ce n’est pas pareil. En enregistrant, on garde cette matière brute qu’est la voix», explique-t-elle de son inflexion douce et rassurante. 

Après avoir travaillé dans la presse écrite et à la radio, après avoir écrit des vécus et enregistré des témoignages, Nadja Hofmann n’aurait-elle pas envie de raconter sa propre histoire? «Bonne question! Je ne suis pas encore assez âgée», plaisante-t-elle. Un léger sourire flotte encore sur son visage, alors qu’elle reprend son sérieux. «Je me suis posé plusieurs fois la question. C’est vrai que c’est quand même une démarche super intime.»

 
Par Sandrine Spycher publié le 21 mars 2024 - 09:16