Bonjour,
L’historienne de l’art a pris la tête de Photo Elysée à Lausanne au mois de juin. Un retour aux sources pour celle qui y a œuvré de 1998 à 2010? Pas vraiment. Tout est à construire dans ce projet inédit et la nouvelle directrice s’en réjouit.
Alessia Barbezat
Nathalie Herschdorfer est directrice de Photo Elysée à Lausanne depuis le mois de juin.
Florian Cella«2022 a été une année de changements pour moi, puisque j’ai pris la direction du Musée de la photographie à Lausanne, en juin. Un mois important, car c’est non seulement le début de cette activité au sein de Photo Elysée, mais aussi l’inauguration de Plateforme 10, le nouveau quartier des arts de la capitale vaudoise. Normalement, lorsqu’on découvre une activité professionnelle, on prend le temps d’observer, de regarder comment ça marche. Cela ne s’est pas du tout passé comme ça! Dès les premiers jours, j’ai été happée par cette inauguration.
Mais pour qu’un quartier se construise, il faut du temps, c’est un gros navire. Avec le Mudac et le Musée cantonal des beaux-arts, nous devons apprendre à travailler ensemble. Il faut désormais donner vie à ce projet, une sorte de patine. J’avais peut-être un peu de naïveté en arrivant à Lausanne, en pensant que les choses étaient plus ou moins dessinées. Or tout est à faire et ce qui est extraordinaire, c’est que je peux participer à cette construction et lancer ce navire. C’est assez stimulant, c’est presque un autre métier pour moi avec beaucoup de problématiques passionnantes.
Alors oui, je reviens dans une institution que je connais. J’y ai travaillé de 1998 à 2010 en gravissant tous les échelons, de stagiaire à responsable du département des expositions. Certains ont parlé d’un retour aux sources, mais c’est un projet complètement différent avec un lieu, des enjeux et une dynamique qui n’existaient pas auparavant. Le monde a changé. Nous sommes aujourd’hui en permanence sur nos écrans et cela constitue aussi une concurrence pour les expositions. Toute une culture passe par internet et nous, les musées, devons nous renouveler, aller chercher les gens différemment. Mon projet à Photo Elysée est de réfléchir à comment attraper ces personnes et le premier petit projet que je présente ici est une exposition liée à l’Ukraine.
Cette guerre me touche véritablement. On a beaucoup parlé du fait qu’on accepte plus facilement les réfugiés ukrainiens que ceux venant du continent africain ou d’Asie. Pourquoi les reçoit-on mieux? Pourquoi, au fond, je pense plus souvent aux Ukrainiens qu’à ceux qui viennent de Somalie, un pays en état d’urgence depuis des décennies? Evidemment, ça m’interpelle et nous devons faire un travail d’ouverture vers le monde et considérer tous les humains de façon égale. Mais il est vrai que l’Ukraine est sur mon écran dès le réveil. J’ai été sidérée le 24 février, au moment de l’invasion russe. Depuis lors, je ne cesse de regarder ces images et de réfléchir à ce qu’il s’y passe. Et puis, une chose m’a touchée et c’est certainement ce qui explique pourquoi je prête beaucoup d’attention à cette guerre. Dès les premiers jours de l’invasion, les Ukrainiens ont fui et sont entrés en Europe par la Pologne.
Ma famille est d’origine polonaise, elle a été décimée durant la Seconde Guerre mondiale et parmi les rares survivants figure mon grand-père. Il a quitté son pays pour venir s’établir en Suisse. Je me suis construite avec cette histoire familiale. Quand je regarde les images venant d’Ukraine, je pense beaucoup à celles de 1939-1945. Des scènes sont identiques avec des réfugiés sur les quais de gare, des familles avec leurs baluchons qui quittent en catastrophe le pays pour se rendre à l’Ouest.
Avec l’exposition sur l’Ukraine, j’ai aussi voulu montrer qu’une quantité d’images faites sur place proviennent de téléphones portables et s’entrechoquent avec des clichés plus classiques. Il est important de réfléchir à la coexistence de ces images et de casser les hiérarchies entre les photographes professionnels et amateurs. Avec la guerre en Ukraine, tout se mélange.»
Sur la scène du Metropolitano à Madrid, les Rolling Stones entament une grande tournée européenne pour fêter leurs 60 ans de carrière. 01.06, Madrid, Espagne:
«Il est amusant de voir à quel point quelques vieilles générations résistent au temps. Dans cette image, j’observe toute l’iconographie de la performance musicale. Un univers très masculin, avec l’homme au centre. Un Mick Jagger en mâle triomphant au cœur de l’action qui part à l’assaut du public. Il y a un aspect assez violent dans cette façon de performer, renforcée par les couleurs rouges qui ajoutent un élément animal à cette scène. Quand je vois ce type d’images, je ne me sens pas concernée, car ce sont des références que je rejette: un mâle dominant qui a droit à tout l’or et la lumière dans notre société.»
Javier Bragado/Redferns
A la Maison-Blanche, Matthew McConaughey plaide en faveur d’un contrôle accru des armes à la suite de la fusillade à l’école d’Uvalde (Texas). Un adolescent muni d’un fusil semi-automatique a tué 19 enfants et 2 adultes. 07.06, Washington, Etats-Unis:
«Je me souviens de ce moment alors même que je ne suis pas Américaine et qu’on peut se sentir assez éloigné de cette culture à certains endroits. Quand les célébrités entrent sur ce type de terrain, cela peut avoir un impact. Je trouve que c’est plutôt une bonne chose. Il s’agit d’une des plus grandes puissances du monde et chaque semaine, ou chaque mois, on apprend que les fusillades et les massacres se poursuivent. De la part d’un pays qui s’immisce sur le terrain du monde pour y apporter la paix, cela est tout de même très problématique.»
Jim Lo Scalzo/EPA/KeystoneDes militantes pour le droit à l’avortement manifestent leur colère à Washington. Deux jours avant, la Cour suprême des Etats-Unis avait révoqué le droit fédéral à l’interruption volontaire de grossesse. 26.06, Washington, Etats-Unis:
«En 2022, je suis sidérée de voir que, dans un pays comme les Etats-Unis, ce type de droit puisse être balayé. C’est très inquiétant. C’est une chose que je ne pensais pas vivre. Je suis née au début des années 1970 et pour moi, toute cette bataille pour le droit à l’avortement menée par les générations précédentes semblait acquise. Au premier plan de l’image, j’observe des femmes très jeunes qui ont l’âge de mes filles. Je suis d’une génération qui n’a pas eu à lutter pour ce droit, alors comment se fait-il que celle de mes enfants doive sortir dans la rue?»
Allison Bailey/NurPhoto/DukasValérie, 16 ans, fête avec les élèves de l’école 134 de Kharkiv leur remise de diplôme dans un pays en ruine. 07.06, Kharkiv, Ukraine:
«Forcément, quand on observe cette scène, on est frappé par le contraste entre ce vêtement très beau, cette femme qui représente la jeunesse et la beauté – des codes que l’on retrouve dans la photographie de mode – et cette ville détruite. Cette image me fait penser à une photographie de la Seconde Guerre mondiale de Cecil Beaton qui était parue dans le «Vogue» anglais. Les images se répètent et les codes aussi, de façon inconsciente peut-être. Il y a des façons de représenter la guerre qui reviennent. J’observe beaucoup depuis le 24 février ces images venant d’Ukraine car j’ai éprouvé la même sidération que tout le monde. Tous les jours, j’y réfléchis.»
TwitterLa reine Elisabeth II prend le thé avec l’ours Paddington pour fêter son jubilé de platine. Extrait d’une vidéo projetéeau grand public dans le cadredes festivités. 04.06, Londres, Grande-Bretagne:
«Une image plutôt amusante, on se dit que la reine Elisabeth avait de l’humour. Ce qui me frappe en cette année 2022, c’est de réaliser à quel point cette souveraine a traversé les gouvernements et les chamboulements du monde. Aujourd’hui, il est impossible de ne pas penser à ses funérailles en regardant cette image. C’est un personnage auquel on reste très attaché même sans être intéressé par la couronne britannique. Elle a marqué notre époque et va rester présente encore un moment.»
Buckingham Palace/Studio Canal/BBC Studios/Heyday Films via Getty ImagesUne première au zoo de Servion avec la naissance d’une tortue géante des Galápagos en captivité. Aucun spécimen albinos n’a jamais été observé dans la nature. 03.06, Servion (VD), Suisse:
«Cela me fait penser à un voyage que j’ai fait il y a plusieurs années avec mes enfants. Nous sommes allés à Zanzibar, et j’ai un souvenir assez joyeux d’une observation de tortues géantes. Ce n’étaient pas des spécimens des Galápagos, mais elles étaient impressionnantes. Il y a quelque chose de fascinant et d’extraordinaire chez ces créatures préhistoriques qui sont encore de notre monde.»
Fabrice Coffrini/AFPDes migrants courent sur le sol espagnol après avoir franchi les clôtures séparant l’Espagne du Maroc. Trente-sept d’entre eux sont décédés, selon les ONG locales. L’Europe est accusée d’être responsable de leur mort. 24.06, Melilla, Maroc:
«C’est intéressant car il y a un contraste fort entre la légende et l’image. On sait à quel point une légende peut détourner la façon de lire une image. Ici, celle-ci accuse l’Europe et parle de mort. Alors qu’au premier plan on voit des jeunes gens qui courent vers nous. Ils s’échappent de cet endroit sordide pour aller vers la nature, qui est souvent assimilée à un endroit joyeux où l’on vient se réfugier.»
Javier Bernardo/AP/KeystoneDes pompiers interviennent à Pumarejo de Tera dans le nord de l’Espagne. Près de 220 000 hectares de terrain ont été détruits par les feux de forêt consécutifs à une vague de chaleur sans précédent. 18.06, Pumarejo, Espagne:
«Ce feu, les flammes, ces couleurs orange d’une forêt qui brûle donnent à cette scène l’allure d’un tableau abstrait. La photographie contemporaine nous impacte et attrape notre regard, parfois par la beauté, pour raconter les désastres du monde. C’est une stratégie que l’on retrouve chez beaucoup de photographes comme Salgado par exemple. Ce cliché questionne notre rapport à l’urgence climatique. On nous répète que la situation empire, mais peu de choses se passent au niveau de l’action humaine. Cette image l’illustre: la crise climatique prend de l’ampleur, mais les êtres humains semblent bien démunis.»
Cesar Manso/AFPAux Mondiaux de natation, la coach de l’équipe américaine plonge à la rescousse d’Anita Alvarez, qui a perdu connaissance en pleine performance lors de la finale de la natation artistique libre en solo. 07.06, Budapest, Hongrie:
«On s’éloigne de la photographie de sport traditionnelle empreinte de stéréotypes. Ici, pas de corps vainqueur mais une nageusequi tombe au fond de la piscine et l’élégance de ce corps qui vient la sauver. C’est presque une chorégraphie d’où se dégage un sentiment harmonieux. Cette entraîneuse vient à la rescousse de son athlète, c’est assez beau. Ce n’est pas une image qui nous effraie. Au contraire, elle nous évoque l’entrain et nous avons besoin d’entraide féminine dans ce monde.»
Oli Scarff/AFPA 36 ans, le joueur de tennis espagnol Rafael Nadal remporte Roland-Garros pour la 14e fois, 05.06, Paris, France:
«J’observe beaucoup de stéréotypes dans cette image Celle du mâle victorieux qui laisse éclater le bonheur de sa performance, et tout dans la construction le montre. On sent sa force, soulignée par cette grosse coupe. On est dans une image du sport assez classique où on répète encore et encore des stéréotypes. Ce qui m’intéresse, moi, aujourd’hui, c’est comment on peut renouveler le genre de la photographie de sport.»