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Alimentation

La nature au menu

A la Pinte des Mossettes, au cœur de la Gruyère, le chef Romain Paillereau célèbre le mariage des herbes sauvages et de la haute gastronomie dans un ancien chalet d’alpage de Cerniat. Une étoile Michelin et 16 points au GaultMillau au revers de la boutonnière.

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Blaise Kormann

Avant d’atteindre la Pinte des Mossettes, au pied des Préalpes fribourgeoises, l’étroit chemin fait passer le visiteur devant la présence massive de la chartreuse de La Valsainte, habitée par ses moines silencieux. Puis le restaurant est là, au détour d’un virage. L’air est vif, l’herbe verdoie avec une vigueur de début du monde et le chef Romain Paillereau, 34 ans, physique de rugbyman alors qu’il est en réalité féru de boxe thaïlandaise, est assis à l’une des tables de sa terrasse. Il jouit d’un moment de calme entre deux services. Pose quelques idées dans un cahier.

Renouvellement permanent

Comme il change de menus toutes les cinq semaines, il doit sans cesse se renouveler: «A chaque fois, j’essaie de faire des plats que l’on n’a encore jamais exécutés.» Il varie à l’infini les associations de goûts. «L’autre jour, pendant le service, j’ai suggéré à mon pâtissier de penser à une glace aneth-fromage de chèvre, avec de la pomme. Et c’était parti…» Il est sensible au pur aspect visuel: «Je pars parfois d’une simple forme, d’un croquis. Je trouve joli et, pareil, cela démarre.»

Ce natif des environs de Bergerac, dans le Périgord, est au piano de ce lieu extraordinairement champêtre depuis avril 2016. Le jour où il a découvert cet ancien chalet d’alpage, il était avec un ami bullois. «La bâtisse plantée au milieu de nulle part m’a plu. Puis l’intérieur rustique m’a conquis. J’étais sûr de mon coup.»

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La Pinte des Mossettes a obtenu ses lettres de noblesse dès les années 1990, grâce à la cuisine naturelle de Judith Baumann et Jean-Bernard Fasel. Blaise Kormann

Riche histoire

En s’installant, il ignorait à quel point l’endroit avait déjà une riche et belle histoire derrière lui. Pendant vingt ans, jusqu’en 2008, Judith Baumann y a développé le rapport puissant de la gastronomie avec les plantes et les fleurs sauvages.

Virginie Tinembart et Georgy Blanchet ont poursuivi dans cette philosophie explosante de nature jusqu’à leur départ, en 2015. «Honnêtement, j’ignorais que ce passé était si fort. Je m’en suis seulement rendu compte quand j’ai commencé à exploiter et que les anciens clients de Judith sont arrivés.» Il a alors dû subir de bonne guerre l’inévitable comparaison avec les époques précédentes. Pour lui, cette transition est terminée. On a cessé de confronter ces cuisines avec la sienne. Et Judith Baumann vient encore de temps en temps faire la cueillette. «Elle est très sympa, je me suis tout de suite bien entendu avec elle.»

Quête d'herbes magiques

Comme elle, il s’est mis à la quête des herbes magiques. Il a beau avoir grandi à la campagne, il a dû apprendre à déceler des joyaux végétaux dans la nature environnante. «J’avais quelques connaissances sur les herbes sauvages, mais, tant qu’on ne les a pas touchées dix fois, on ne sait pas s’en servir.»

Il a pris le temps qu’il fallait pour parvenir à maîtriser ces mille nuances. Que faire avec de l’impératoire? Un bouillon, la déshydrater? Et le sureau? Et des variétés comme le lierre terrestre, le polypode ou la réglisse sauvage, qu’il aime utiliser? Il lui arrive d’appeler la cueilleuse qui travaille pour lui et de lui demander quelques coins secrets. Il aime partir dans la nature avec son équipe, à plusieurs, dans la bonne humeur.

Quant à la récolte des champignons, personne ne lui a dévoilé les bons endroits, ce serait sacrilège. Il s’y est attelé lui-même. «La dernière fois, tout avait déjà été fouillé. Ici, il faut vraiment se dépêcher.»

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Le chef Romain Paillereau (à dr.) aime récolter les herbes sauvages avec ses proches et ses collaborateurs (ici son amie Snezana et son second de cuisine, Alexandre Juton). Blaise Kormann

Restaurants d'exception

Avant de poser ses valises dans ces pentes, il a œuvré dans différents restaurants d’exception. A Paris, il a travaillé au George V et au Bristol. Il est aussi passé par l’Autriche, Los Angeles ou le restaurant d’Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage de Lausanne. Avant de s’illustrer à La Cène, à Fribourg, promu avec 15 points au GaultMillau lors de son passage. De tous ces endroits, il a emporté quelques pépites. «Le plus important pour moi fut mon séjour chez Michel Troisgros, au Lancaster, la découverte de sa science des agrumes. Chez lui, pas un plat n’en contenait pas. Et il voulait qu’un mets ne soit jamais pareil.» Il se souvient avec émotion du flamboyant rouget Mondrian, en référence au peintre cubiste néerlandais. Le maître de Roanne l’accompagne encore. Celui-ci fut le premier à envoyer un mot d’encouragement quand Romain Paillereau s’est installé aux Mossettes. Son portrait trône dans la cuisine, au-dessus du fourneau.

La gastronomie de Paillereau s’amuse avec les contrastes. Le décalage entre le bâtiment aux pièces campagnardes et une cuisine d’une vivifiante sophistication plaît au chef. Par goût de la perfection, il a pour règle de ne proposer que deux menus, l’un de cinq plats, l’autre de sept. Aucune carte, de manière à ce que les cuisiniers soient focalisés sur ce qu’ils concoctent. Cette organisation donne la garantie de servir des produits au meilleur de leur qualité pendant cinq semaines, pour environ 35 couverts, dans trois salles aux anciens planchers boisés parfois drôlement inclinés. Un convive peut déguster jusqu’à 12 assiettes différentes, un festival. Le chef n’obéit qu’à un seul credo: «Je suis libre, je ne me laisse pas influencer.»

Remanier des grands classiques

Il aime aussi remanier de grands classiques. Son lièvre à la royale, il le prépare pendant près d’une semaine avant de le servir. Il revisite la purée de Joël Robuchon ou le pithiviers de gibier. Et n’oublie pas la tarte au vacherin ou la fondue au fromage, en plein pays gruérien, qu’il propose avec des cubes préalablement panés.

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Les cocasses vachettes disposées dans les pièces sont en vente. Blaise Kormann

Le bien-être des bêtes qu’il apprête ne le laisse pas indifférent. Pour son approvisionnement en porc, il travaille par exemple avec les frères Alcala, à Vaumarcus (NE), en qui il a toute confiance. «Pour moi, la qualité des mets passe par un traitement correct de l’animal.» Même si le chef est issu d’une contrée où la chasse est une institution, il est incapable d’utiliser un fusil. Pêcheur assidu depuis l’enfance dans sa région et aujourd’hui dans le lac de la Gruyère, il continue à remettre les poissons à l’eau.

Il y a une authenticité totale dans sa démarche. Un amour de l’excellence qui a vite attiré les honneurs jusque dans cet endroit isolé. En 2016, en sept mois, la Pinte des Mossettes a décroché une étoile Michelin et 16 points au GaultMillau. «Nous ne nous y attendions pas du tout, s’exclame Romain Paillereau. J’étais fou de joie. Je l’ai pris comme une reconnaissance pour toute mon équipe, un stimulant, pas comme une pression supplémentaire.» Chaque jour, inclassable au cœur des pâturages, il célèbre ces bonnes nouvelles pour des gourmets de tous horizons, venus à vélo ou en hélicoptère.


Restaurant La Pinte des Mossettes
Route des Echelettes 8, 1654 Val-de-Charmey, 026 927 20 97, www.lapintedesmossettes.ch

Ouvert du mercredi au dimanche midi.
Deux menus au choix: Menu Tentation à 115 fr., Menu Emotion à 145 fr.


La recette: les asperges

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  Blaise Kormann

(de chez Maurice Dussex, pour 4 personnes)

Ingrédients:
– 12 asperges blanches
– 4 asperges vertes
– 300 g de ricotta de brebis
– Huile d’olive
– Confiture de citron ou dés de citron
– Sel
– Poivre
– Herbes sauvages (oxalis, pimprenelle, cerfeuil musqué...)

Eplucher les asperges blanches à l’aide d’un économe.
Les cuire environ 6 minutes dans de l’eau bouillante. Saler à ébullition.
Puis les mettre dans de l’eau glacée, pour stopper la cuisson.

Cuire les asperges vertes environ 5 minutes et glacer également.
Laisser reposer les asperges vertes et blanches sur un linge, au frigidaire.

Mélanger la ricotta de brebis avec un peu de sel et de poivre. Mettre en poche à douille.

Tailler les asperges blanches à la même taille. Puis tailler du milieu vers l’arrière de l’asperge, de manière à avoir un espace.

Mettre un peu de ricotta de brebis au fond de l’assiette.
Tailler régulièrement les asperges vertes et dessiner un joli rond sur la ricotta.
Mettre le reste de ricotta sur l’arrière des asperges blanches.
Lustrer avec l’huile d’olive.

Poser les asperges sur le montage et mettre la confiture ou les dés de citron.
Finir de décorer les assiettes avec les herbes sauvages.


Par Marc David publié le 14 juin 2019 - 11:43, modifié 18 janvier 2021 - 21:04