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«Ne jamais baisser les bras, voilà ce que la boxe m’a appris»

A 38 ans, la boxeuse fribourgeoise Olivia Belkacem-Boudouma retourne sur le ring après une double fracture de la mâchoire, une erreur médicale et huit ans d’absence. Rencontre avec une boxeuse artiste peintre, styliste et mère de quatre enfants, qui fait aussi face au handicap de l’un de ses fils.

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A quatre semaines de son prochain meeting à Fribourg, Olivia Belkacem-Boudouma s’entraîne plus de douze heures par semaine dans la salle de boxe de son mari et entraîneur. Sedrik Nemeth

«Boxer, j’en rêvais depuis l’âge de 9 ans.» Mais à 9 ans, on lui a dit non. "Une fille, ça ne boxe pas", disait ma mère.» Assise dans les vestiaires d’un dojo, au sous-sol d’une salle de sport fribourgeoise, Olivia Boudouma, de son nom de jeune fille, se souvient. De ses 18 ans et du jour où elle a enfin poussé cette porte. Celle d’une salle de boxe du XIe arrondissement de Paris. «Et j’avais choisi la meilleure, celle où s’entraînaient tous les champions du monde!» Comme un présage, elle deviendra championne de France de full-contact, la boxe pieds-poings. Plusieurs fois.

Olivia Belkacem-Boudouma a eu plusieurs vies. A 16 ans, elle quitte la banlieue parisienne pour Milan avec l’agence de mannequins Elite. Mais le mannequinat ne deviendra jamais un rêve pour la jeune femme. De retour à Paris, elle sera d’ailleurs lâchée par son booker «à cause d’un coquard»! Car personne n’est dupe, tout le monde sait qu’Olivia brille sur les rings.

Mais, alors qu’elle travaille comme serveuse dans un bar en face de la salle de boxe, un verre se brise dans sa main gauche. Les tendons et les nerfs de l’un de ses doigts sont sectionnés. Trois jours avant les Championnats du monde de full-contact. Première désillusion. «Et puis j’avais prévu de partir m’entraîner à Brooklyn, au Gleason’s Gym, j’avais économisé et tout était prêt.» Adieu New York, bonjour… la Suisse.

Résignée, Olivia reprend des contrats de mannequinat et débarque à Baselworld, travaillant comme hôtesse pour une grande marque horlogère suisse. Une entreprise dans laquelle elle rencontre son premier amour. Une union dont naissent le grand Enzo, 14 ans et 1 m 95 aujourd’hui, et Ryad, 11 ans.

Après la naissance du deuxième, Olivia reprend la boxe, anglaise cette fois-ci. Elle intègre l’équipe de Suisse et rencontre un nouvel entraîneur, Mohamed Belkacem. Olivia, séparée, tombe amoureuse de lui. A la vie et sur le ring, ce sera elle et Mohamed, dans toutes les épreuves. Passée pro, Olivia enchaîne les combats. Huit victoires en huit combats. Jusqu’au neuvième.

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Olivia chez elle, alors que ses quatre enfants sont rentrés de l’école ou de chez la nounou. Ryad, 11 ans, Soltan, 8 ans, Lila, 2 ans et demi, et Enzo, 14 ans (de g. à dr.). Sedrik Nemeth

En 2011, Olivia est face à Anne-Sophie Mathis, à Marseille, pour le double Championnat du monde. «Elle était considérée comme l’une des plus grandes cogneuses de la boxe féminine. Lorsque je l’ai affrontée, elle avait 21 combats à son actif, dont 20 gagnés par KO.» Contre la numéro deux mondiale, Olivia se bat comme une lionne. Au troisième round, elle envoie la championne dans les cordes. Cette dernière est sonnée, l’arbitre commence à compter. Alors, au quatrième round, Anne-Sophie Mathis s’énerve. Un coup et Olivia sent sa mâchoire craquer. Elle pose un genou au sol, regarde au coin. Mohamed et Jean-Jacques Remelet, son manager, lui font signe de continuer. «A la fin du round, Mohamed enroule un linge et m’ordonne de mordre dedans. Je m’exécute, il me dit que rien n’est fracturé et je me mets en place pour le cinquième round.»

Mais Anne-Sophie Mathis a compris. Elle lui envoie un crochet du droit sur la mâchoire et la brise une deuxième fois. Olivia repose le genou au sol. L’arbitre commence à compter, elle a huit secondes pour se décider. «Je me disais que Mohamed Ali avait combattu avec la mâchoire fracturée, mais l’envie de ne pas finir ma vie avec une mâchoire en plastique a été plus forte», se souvient-elle, en plaisantant presque et pas rancunière pour un sou. Elle se relève avant les huit secondes réglementaires et plante son regard dans celui de l’arbitre. «J’abandonne.»

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Mohamed Belkacem, le mari d’Olivia, était boxeur professionnel et son entraîneur. Arrivé d’Algérie à l’âge de 20 ans, il s’est d’abord retrouvé dans un foyer de requérants d’asile. «La boxe m’a permis de m’en sortir.» Sedrik Nemeth

Soignée à Marseille d’une double fracture de la mâchoire, la Fribourgeoise devra être réopérée en Suisse en urgence. La cause? Le chirurgien marseillais a cassé la mèche de sa perceuse dans sa mâchoire et l’a refermée avec un morceau de ferraille de 1,5 cm à l’intérieur. «Ma saison s’est terminée sur une erreur médicale. Je savais bien qu’avec ma mâchoire en emmental, je ne serais pas de retour sur le ring avant les Championnats d’Europe en octobre.» Alors, l’année d’après, Olivia ne renouvellera pas sa licence. Elle deviendra une nouvelle fois maman, c’est décidé.

Tous les jours, il faut être à 16h23 précises à la maison. Tous les jours, le bus pour handicapés dépose Soltan, le fils d’Olivia et Mohamed, à la maison. Car en 2011, comme prévu, Olivia est tombée enceinte après sa blessure. Au quatrième mois de grossesse, on lui a annoncé que son enfant avait un hémisphère du cerveau plus grand que l’autre.

Le petit passe alors des IRM cérébrales in utero aux 4e, 6e et 8e mois. «Mais à aucun moment on ne m’a dit que je risquais d’accoucher d’un enfant handicapé.» A sa naissance, en août 2012, le petit Soltan n’arrive pas à maintenir sa température et est transféré d’urgence à l’Inselspital, à Berne. Diagnostic? Soltan est né sans hypophyse, une glande indispensable à la synthétisation de la plupart des hormones du corps. Il est aveugle, ne parle pas et fait plus d’une dizaine de crises d’épilepsie par jour.

Mohamed décide de mettre un terme à sa carrière de boxeur. «Mon plus grand combat est devenu celui de mon fils», expliquera-t-il à son public à l’occasion d’un combat d’adieu à Genève. Olivia tire aussi un trait sur ses rêves de boxe sans être remontée sur un ring depuis sa blessure. «C’est comme si je n’avais pas pu tourner la page correctement, comme si je n’avais jamais vraiment pu fermer le chapitre boxe.»

Mais elle n’est pas du genre à baisser les bras. Pour remplacer le Valium, qui calme les crises d’épilepsie de son fils, la boxeuse développe un casque permettant au cerveau d’induire une fréquence thêta et ainsi de diminuer son état de stress et ses crises. Et elle ne s’arrête pas là. Olivia développe aussi sa passion pour la peinture et, férue de mode, elle crée et organise, en février 2017, le Fribourg Fashion Day, où elle présente sa collection de vêtements sportswear.

Et puis cette année, Olivia a voulu remonter sur le ring. «J’en ai parlé à Mohamed, j’avais besoin de faire une dernière année de licence pour clôturer le chapitre boxe proprement. Ce n’est pas à 50 ans que j’allais remonter sur le ring. J’ai foncé.»

Alors qu’il est interdit d’obtenir une licence après l’âge de 35 ans, Olivia obtient une dérogation de Swissboxing, l’une des premières en boxe féminine suisse, et remonte sur le ring le 28 septembre dernier à Estavayer-le-Lac. «Un bonheur incommensurable. Beaucoup ont sous-entendu que j’étais trop vieille, mais je n’avais pas peur. Un boxeur ne doit jamais monter sur le ring la peur au ventre.»

Face à elle, la Serbe Aleksandra Vujovic, dix ans de moins, paie le prix de la remise en jambes de la championne, qui n’a rien perdu. Car, comme une évidence, l’endurance est le point fort d’Olivia. «Ne jamais baisser les bras, voilà ce que la boxe m’a appris. Le plus endurant gagnera. Tu peux avoir la plus belle des techniques, si tu es fatigué au bout de trois rounds, c’est fini. Et cette endurance, j’en ai tellement besoin au quotidien...»


 

publié le 14 novembre 2019 - 16:07, modifié 18 janvier 2021 - 21:06