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Au café du coin, au Tessin

«Ne jouez pas avec le feu, vaccinez-vous!»

Au cours de son tour de Suisse, la table ronde Au Café du Coin de «L’illustré» et de la «Schweizer Illustrierte» fait halte au Festival du film de Locarno. Le conseiller fédéral Alain Berset plaide en faveur du Tessin et le président du festival, Marco Solari, appelle à tout faire contre la pandémie.

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Lilian Grünig (tout à gauche), Marco Solari, Yaël Meier, Alain Berset, Luca Pedrotti, Doris Schmid et Stefan Regez ont agréablement débattu dans une trattoria de Locarno. Une rencontre qui a eu lieu en respectant toutes les conditions de sécurité sanitaire.

Kurt Reichenbach

Le Festival du film de Locarno s’est hissé au niveau d’une institution culturelle dont l’histoire remonte à 75 ans. Pour le Tessin, c’est la manifestation au plus grand rayonnement international. En août, la Piazza Grande et ses 8000 places deviennent le plus grand, le plus spectaculaire cinéma du continent. Sous la présidence de Marco Solari, le budget de ces dix jours de manifestation a atteint 15 millions de francs. Pour la région, les retombées sont bien plus importantes.

Dans le patio de La Trattoria, Via Marcacci, l’atmosphère est typiquement méditerranéenne. D’illustres convives prennent place à la table ronde nappée de coton blanc: le conseiller fédéral Alain Berset, 49 ans, sans doute la personnalité la plus photographiée et filmée depuis dix-huit mois, Marco Solari, 76 ans, incontournable président du Festival du film de Locarno, Luca Pedrotti, 56 ans, directeur régional d’UBS Ticino et ancien footballeur professionnel chez les Grasshoppers, Yaël Meier, 21 ans, comédienne et entrepreneuse, et les représentantes du lectorat de L’illustré et de la Schweizer Illustrierte Lilian Grünig Louis, 49 ans, dentiste à Schafis (BE), et Doris Schmid, 62 ans, infirmière en psychiatrie à Thoune (BE).

Stefan Regez, rédacteur en chef des magazines grand public de Ringier Axel Springer Suisse et modérateur du débat, lance la discussion avec cette question: comment les Tessinois vivent-ils le déferlement régulier des touristes alémaniques dans leur canton? Heureux ou dépités? Alain Berset nuance en souriant: «J’ai aussi vu quelques Romands.»

Mais Marco Solari se fait sérieux: «Il fut un temps où ça devenait pénible. Dans les années 1980, par exemple. Mais ça a changé. Aujourd’hui, les Tessinois se réjouissent d’accueillir leurs visiteurs. Cela indique que les Suisses se sont rapprochés. Naguère je disais: «Nous sommes heureux parce que nous nous connaissons trop peu.» C’est du passé. Désormais, entre Suisses de partout, nous nous connaissons bien. Les Romands doivent sentir qu’ils sont les bienvenus. Je crois qu’ils se sentent déjà bien parmi nous.»

>> Lire le compte rendu du Café du coin en Valais

Alain Berset: «Je me sens très bien au Tessin. J’y ai passé des vacances en famille le mois dernier.»

Kurt Reichenbach

Alain Berset: «Je confirme. Je me sens très à l’aise ici. En juillet, j’ai passé mes vacances en famille au Tessin, dans la région de Lugano. Voilà bien des années que je fréquente le Festival de Locarno, pas toujours en mission officielle. C’est un événement grandiose. Le Tessin m’impressionne toujours par la capacité des gens à s’exprimer en diverses langues. Il n’y a sans doute pas d’autre coin dans ce pays où l’on est aussi polyglotte.»
Marco Solari: «Pour moi, il est essentiel que nous accueillions les Romands les bras ouverts. C’est d’ailleurs le mandat dont vous nous avez chargés, Monsieur le conseiller fédéral. Nous prenons au sérieux tout ce qui vient de Berne. Et pas seulement en raison du généreux soutien qui nous est accordé. Nous ne sommes pas mercantiles (il rit).»
Luca Pedrotti: «Je décrirais notre canton comme une grande chance pour la Suisse. Je le dis comme quelqu’un qui a aussi vécu en Suisse alémanique. Le Tessin propose une belle qualité de vie et un bon mélange des genres: nous avons la discipline des Alémaniques mais peut-être un peu plus de créativité (il sourit).»
Doris Schmid: «Nous adorons passer des vacances au Tessin, en particulier en camping-car. Pour ce genre de séjour, le Tessin offre plus de possibilités que bien d’autres régions.»
Luca Pedrotti: «Question infrastructures touristiques, nous avons trop longtemps tardé. Mais ça a changé. A la faveur de la pandémie, nous avons montré que quand tout le monde œuvre coude à coude – le politique, la culture, l’économie et le sport – on peut réaliser beaucoup de choses.»
Lilian Grünig: «Pour nous aussi le Tessin est l’incarnation des vacances. Mais en tant qu’épouse d’un vigneron des rives du lac de Bienne, je ne peux que rarement voyager en plein été. J’ai volontiers fait une exception pour le Café du Coin de L’illustré.»
Luca Pedrotti: «Mais le Tessin, ce n’est pas que les vacances. Nous travaillons très dur ici. Tout le reste n’est que clichés et préjugés.»
Marco Solari: «Ici, nous devons même en remontrer et travailler plus dur que dans d’autres régions du pays. Nous appliquons pratiquement les méthodes zurichoises, mais avec le sourire aux lèvres.»
Alain Berset: «Le monde est plein de clichés et de préjugés, mais une chose est claire: mon verre est vide (il rit). Ces idées préconçues issues de la diversité de la Suisse nous en disent cependant beaucoup sur notre identité. La diversité se reflète sur notre identité, mais les clichés stimulent le débat. Il est important que nous parlions ensemble, que nous montrions de la compréhension les uns pour les autres.»
Lilian Grünig: «Je confirme. J’habite Schafis, sur les bords du lac de Bienne, en quelque sorte au beau milieu du Röstigraben.»
Alain Berset: «Moi aussi. J’habite la partie francophone de Fribourg, mais je travaille depuis longtemps à Berne. Cela me donne l’impression de comprendre aussi bien la Suisse alémanique que la Suisse latine.»

Parlons du Festival du film. Quelles expériences en avez-vous?
Doris Schmid: «Je n’y suis encore jamais allée, mais nous sommes venus à Locarno pour la musique, pour le Moon & Stars Festival. Nous y avons entendu Green Day, Santana et les Toten Hosen. Pour la musique aussi, la Piazza Grande est un décor fantastique.»

La discussion s’est poursuivie sur les escaliers: Stefen Regez, Luca Pedrotti, Lilian Grünig, Alain Berset, Yaël Meier, Doris Schmid et Marco Solari (de g. à dr.).

Kurt Reichenbach

Luca Pedrotti: «Il faut vivre l’expérience de voir un film ici. Quand on aime le cinéma, c’est incontournable.»
Marco Solari: «Alain Berset a évoqué la notion d’identité. Elle compte aussi beaucoup pour notre festival. Tout comme une région ou une personne, un festival de cinéma a son identité propre. Ce sont les humains qui marquent le Festival du film de Locarno. Les acteurs mais surtout les directeurs artistiques, qui apportent leur charisme, leurs idées et leurs relations personnelles. En vingt ans, j’ai connu cinq directeurs. Le seul qui a le droit de blanchir sous le harnais d’un festival est le président.»
Luca Pedrotti: «Et le sponsor (il rit). UBS est partenaire du Festival du film de Locarno depuis quarante ans. Ce partenariat va au-delà du simple sponsoring: nous partageons les mêmes valeurs, la même identité, la culture de l’ouverture. Le soutien à la culture est très important pour notre banque.»
Marco Solari: «Un partenaire comme UBS est aussi important que le soutien de l’Etat. Nous devons faire notre boulot et justifier la confiance placée en nous.»
Alain Berset: «Peu importe que le film d’ouverture me plaise ou non. L’essentiel est que l’indépendance artistique reste assurée.»
Luca Pedrotti: «L’idée d’influer sur le contenu nous a toujours été étrangère. Nous pourrions parfaitement nous accommoder d’un film qui critique les banques. Au bout du compte, c’est quand même le public qui décide du succès d’un film. C’est pourquoi nous sommes particulièrement fiers qu’UBS décerne à Locarno son Prix du public UBS. Pour ce prix, c’est vraiment le public qui décide.»
Marco Solari: «Si un sponsor ou le politique tentaient de gagner en influence, pour moi, une ligne rouge serait franchie. Je démissionnerais le lendemain. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun contrôle. L’administration nous tient à l’œil. Et je peux vous l’assurer: chaque dépense est soigneusement réfléchie. Par rapport à des festivals de cinéma à l’étranger, nous avons la moitié du budget.»
Yaël Meier: «En Suisse, l’industrie du cinéma est un tout petit monde. Cela réduit la marge de manœuvre. Il y a des films qui ne pourraient se financer sans subventions ni sponsors. Pour moi, le Festival du film de Locarno est comme une start-up. Il octroie une tribune à des artistes et donne aux jeunes un accès à la culture.»
Marco Solari: «Merci, vos mots me touchent beaucoup. Ils reflètent très exactement ce pour quoi nous travaillons depuis des décennies.»
Yaël Meier: «Reste que le cinéma sous sa forme actuelle touche aussi à ses limites. La jeune génération privilégie d’autres accès, tels que les services de streaming de Netflix. Encore que, pour moi, le cinéma y a plutôt gagné en valeur, car il suppose une présence physique. C’est une expérience complète.»
Alain Berset: «N’oublions pas que, avec le BaseCamp du Festival du film de Locarno, on réalise un gros travail qui vise à ramener les jeunes au cinéma: 200 jeunes créatifs ont ainsi pu participer au festival. Quand je m’y suis rendu pour la première fois, j’ai été fasciné par l’ambiance. C’est contagieux – pour peu que l’on ose encore utiliser un tel mot de nos jours (il rit).»
 

La comédienne Yaël Meier et son partenaire Jo Dietrich avec leur bébé: «Je me serais volontiers engagée au sein de la task force en tant que porte-parole de la jeunesse.»

Kurt Reichenbach

Yaël Meier disait que les jeunes d’aujourd’hui vont moins au cinéma et recourent davantage aux services de streaming. A quoi cela ressemble-t-il chez vous?
Alain Berset: «Est-ce que j’ose le dire ici? Notre famille a un abonnement de streaming. Mes enfants regardent des films même sur leur smartphone.»
Lilian Grünig: «Le recours au smartphone a pris le dessus pendant la pandémie.»
Luca Pedrotti: «Dans cette phase, nous avons constaté que les technologies et la numérisation ne connaissent presque pas de limites. Mais il est important de doser et de piloter cette évolution.»
Doris Schmid: «Je constate chez certains jeunes une surdose numérique. Cela me cause du souci.»
Yaël Meier: «Je ne partage pas cette crainte. Quand la radio a débarqué dans les foyers, des gens ont aussi craint que l’on demeure accroché à cet appareil. Il faut faire ses expériences avec les nouveaux moyens de communication. J’ai grandi avec un smartphone et je pense qu’il n’est plus possible de s’en passer.»
Marco Solari: «Les réseaux sociaux et la numérisation sont importants pour nous aussi. Un festival qui ne sait pas capter ces tendances est à l’agonie. Un festival doit sans cesse se laisser bousculer. S’il se satisfait de l’immobilité, il a perdu.»

A propos de la pandémie, comment jaugez-vous la situation aujourd’hui?
Alain Berset:
«La situation est bonne, mais… (Il lève les yeux au ciel.) La dynamique de la pandémie est toujours là et il reste des incertitudes, notamment à propos des retours de vacances et du variant Delta. La question est: à quelles surprises faut-il s’attendre? Je ne crois pas que ce sera comme l’automne dernier. Nous en savons désormais davantage sur le virus. Et, surtout, nous avons les vaccins. Ils sont une belle opportunité de nous tirer de ce mauvais pas.»
Doris Schmid: «Je n’ai pas peur. Nous savons ce que nous pouvons faire pour maîtriser la situation. Les gens qui ne veulent rien entendre devront en payer le prix.»
Luca Pedrotti: «Au bout du compte, c’est aussi une question de responsabilité. Ces derniers mois, nous avons tous beaucoup appris. Cela ne sert à rien d’attendre des propositions de solutions des autorités. Chacun d’entre nous peut agir. Cela commence déjà par une conduite plus réfléchie. J’ai par exemple beaucoup d’amis qui font du sport et se maintiennent en forme. Cela les a aidés à mieux traverser la pandémie.»
Yaël Meier: «Pour les jeunes, ça a été difficile d’accepter ce ralentissement. Pour nous, il a été plus pénible de gérer la situation, surtout sur le plan psychique. Je crois qu’à cet égard les autorités n’en ont pas fait assez. C’est pourquoi je me serais volontiers engagée à la task force en tant que porte-voix des jeunes.»
Lilian Grünig: «Je vois les choses différemment. En Suisse, les choses se sont bien passées, y compris pour les jeunes.»
Alain Berset: «L’instrument le plus important pour maîtriser la pandémie est la vaccination. Par rapport à nos attentes initiales, davantage de gens sont vaccinés. Plus de 80% des 70 ans et plus le sont. Et plus de 60% de la population adulte. Mais en comparaison européenne, nous avons hélas un peu reculé. Les vaccino-sceptiques sont apparemment un peu plus nombreux en Suisse. Nous devons prendre patience et informer. Je suis convaincu que ça se passera bien.»
Marco Solari: «Au printemps 2020, j’ai été gravement affecté par le covid. J’étais aux soins intensifs. Et ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte à quel point j’avais frôlé la mort. Pour moi, le concept de finitude est devenu concret. C’est pourquoi je proclame avec détermination: respectez les règles, ne jouez pas avec le feu, vaccinez-vous!»

 
«Un marché du travail difficile dû à la frontière»

En marge de la table ronde, les analystes d’UBS décryptent la situation économique de chaque canton. Aujourd’hui: le Tessin.

Katharina Hofer, UBS

Katharina Hofer, économiste d'UBS et co-auteure de l'analyse.

DR
Claudio Saputelli, UBS

Claudio Saputelli, économiste d'UBS et co-auteur de l'analyse.

DR

 

Pour comprendre la compétitivité économique du Tessin, il est indispensable de regarder la région de Lugano, car c’est elle qui tire le canton vers le haut. En tant que centre important, elle offre un accès rapide aux infrastructures urbaines principales, y compris un aéroport ou l’université. Elle attire ainsi des entreprises dynamiques qui emploient des personnes d’un niveau de formation élevé.L’influence de Lugano diminue néanmoins avec la distance. Le fait que les autres régions du Tessin ne puissent pas rivaliser avec Lugano est l’une des raisons pour lesquelles les perspectives de croissance à long terme sont modérées pour le canton par rapport au reste de la Suisse.

 

Une autre raison est le marché du travail exigeant, avec un très fort taux de chômage sur l’ensemble de la région. Mais d’autres cantons frontaliers se trouvent dans une situation analogue, là où des actifs locaux entrent en concurrence avec les pays voisins pour obtenir des postes de travail. Par ailleurs, en matière de finances publiques, le Tessin se situe en dessous de la moyenne. C’est aussi un défi pour le politique.

Bienvenue au Café du Coin

Le Café du Coin est une initiative promotionnelle de L’Illustré et de la Schweizer Illustrierte, en collaboration avec DEAR Foundation-Solidarité Suisse et UBS Suisse.

Par Thomas Renggli publié le 13 août 2021 - 09:54