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Nicolas Blancho: le «faux cheik» privé de Mecque

En 2006, un converti suisse à l’islam rigoriste déboulait sur la scène médiatique. Aujourd’hui, Nicolas Blancho est interdit d’entrée en Arabie saoudite. Ses relations avec les pays du Golfe sont fragilisées. Mais les liens avec le Kosovo toujours très étroits.

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Dans son bureau, le président du Conseil central islamique suisse, Nicolas Blancho, et la secrétaire générale, Ferah Ulucay. Karl-Heinz Hug

«Pour des raisons de sécurité», l’adresse, dans la périphérie bernoise, restera secrète. A l’entrée, nous sommes invités à déposer nos téléphones dans une boîte hermétique, histoire de laisser sur leur faim les services secrets. Au bout du couloir où nous précède Ferah Ulucay, «secrétaire générale» de l’organisation, le bureau de Nicolas Blancho. A côté du canapé trône un drapeau proclamant la shahada, la profession de foi musulmane, selon laquelle il n’y a d’autre Dieu qu’Allah. Le président du Conseil central islamique suisse (CCIS) fait mine de ne pas nous avoir vus et va mettre un moment à se lever. Mélange de défiance et de nonchalance typique du personnage, qui joue encore et toujours le rôle qu’il s’est lui-même attribué.

Souvenez-vous: en 2006, un jeune homme au visage poupin et à la barbe rousse débarquait sur la scène médiatique et sur la place Fédérale, où il conviait les musulmans à prier et à protester contre les caricatures de Mahomet. Converti au salafisme, courant obscurantiste prônant un retour à l’islam originel vécu par le prophète Mahomet, le Biennois devenait de facto le porte-parole d’une communauté jusque-là très discrète. Trois ans plus tard, dans la foulée du vote anti-minarets, il fondait le CCIS. Depuis, Nicolas Blancho et ses acolytes ont été de toutes les polémiques sur l’islam en Suisse.
Ces derniers temps, le CCIS s’est fait plus discret à son tour. Pas par volonté délibérée mais en raison du climat politique, avancent nos interlocuteurs devant des chocolats et des loukoums arrosés de thé. «Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux et dans des cercles plus petits», indique Ferah Ulucay. «Organiser des manifestations ne serait plus possible aujourd’hui, les autorités ne nous donnent plus les autorisations. L’islamophobie s’est intensifiée, avec un climat politique au-delà des lignes partisanes», dénonce Nicolas Blancho. Les sympathisants préfèrent se retrouver pour des diwaniya, des cercles restreints et non mixtes de discussion. Une pratique salafiste en vogue dans les Balkans et qui encourage un islam clandestin.
La doctrine rigoriste et le discours ambigu du CCIS ont crispé autorités et population. Mais, rétorque Nicolas Blancho, «nous n’avons jamais prétendu représenter tous les musulmans. Nous ne sommes pas le Conseil central des musulmans.» Il s’est pourtant longtemps désigné comme un représentant incontournable de la communauté. Surtout à l’étranger; en octobre 2011, il était même reçu par le premier ministre du Koweït. En 2016, la chaîne de TV par satellite Al Rayane, venue tourner un documentaire sur les musulmans de Suisse, le présentait en sauveur de l’islam en terre chrétienne.

Mais en 2015, le CCIS commet une erreur de taille. Naim Cherni, le plus jeune et le plus fougueux de la bande, Allemand d’origine tunisienne chargé de la «production culturelle», filme en Syrie un entretien complaisant avec le djihadiste saoudien Abdallah al-Muhaysini, affilié à al-Qaida. A la suite de la diffusion de la vidéo sur YouTube, le Ministère public de la Confédération ouvre une procédure pénale. En 2017, Blancho, son porte-parole, Qaasim Illi, Lucernois converti dont l’épouse, Nora, s’est affichée à maintes reprises en niqab, et Cherni sont inculpés pour propagande terroriste. Le procès s’est conclu en juin dernier par 20 mois de prison avec sursis pour Cherni et la relaxe des deux autres. La crédibilité du CCIS, déjà sujette à caution, est définitivement mise à mal.

La vidéo n’était pas une erreur, se défend Nicolas Blancho. «Le terrorisme est toujours une interprétation politique, voyez Poutine ou Bachar el-Assad qualifiant leurs opposants de terroristes pour mieux pouvoir s’en débarrasser. L’important n’est pas qui était l’homme sur la vidéo mais le but visé. A ce moment-là, l’Etat islamique était le thème numéro un chez les jeunes. Nous avons voulu les prévenir du fait que la réalité de la guerre était tout autre que ce qu’ils pouvaient imaginer et de la folie de cette organisation. Et j’insiste sur le fait que l’extrémisme de droite croissant actuellement est un bien plus grand problème qui n’est pas à minimiser, ici, que quelques fous de Daech dont on a une bonne vue d’ensemble.» En 2014, deux Biennoises, dont une convertie que connaissait bien Ferah Ulucay, étaient parties en Syrie après avoir fréquenté la mosquée Ar’Rahman de Bienne, où prêchait le sulfureux Libyen Abu Ramadan. Elles sont aujourd’hui détenues par les forces kurdes. «Si j’avais eu la moindre idée de ce qui se tramait, je les aurais confrontées à ce qu’elles allaient faire», réagit Ferah Ulucay.

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Entourés d’une garde rapprochée, les inculpés arrivent au Tribunal pénal fédéral pour leur procès pour propagande terroriste à Bellinzone, le 16 mai dernier. Seul Naim Cherni est finalement condamné à 20 mois de prison avec sursis. KEYSTONE/Ti-Press/Alessandro Crinari

Fiché en Arabie saoudite

Le procès, assure Nicolas Blancho, n’a pas nui à l’image du CCIS, qui totalise aujourd’hui «4050 membres passifs et 45 membres actifs» – 1% des 400 000 musulmans du pays – qui paient une cotisation annuelle de 50 francs. Mais au-delà des frontières, l’aura des trublions a pâli. Lors du dernier Hajj, le pèlerinage annuel à La Mecque, qui est l’un des cinq piliers de l’islam, Blancho enjoignait sur YouTube, de son bel arabe classique, aux fidèles de ne pas abuser de selfies. Mais La Mecque, il n’a plus le droit d’y mettre les pieds. «Il n’est pas le bienvenu chez nous, où il est fiché, nous glisse un membre influent de la toute-puissante Ligue islamique mondiale. C’est un personnage dangereux, un faux mufti (ndlr: religieux musulman qui a l’autorité d’émettre des avis juridiques), qui nuit à l’image de l’islam par ses liens avec le djihadisme international.» L’autoproclamé représentant de l’islam véritable de Suisse interdit de la ville sainte la plus sacrée de sa religion, voilà un drôle de retour de bâton. Qui ne semble pas émouvoir l’intéressé. «Vous me l’apprenez, dit-il dans un demi-sourire. Mais ce serait plausible, puisque nous nous sommes exprimés de manière très critique envers le régime saoudien.»

C’est que le climat international a changé. Longtemps aux avant-postes du financement du terrorisme, l’Arabie saoudite manifeste depuis plus d’une année, sous la pression de Washington et l’influence du prince héritier Mohammed ben Salmane al-Saoud, ses velléités de lutter contre la terreur djihadiste (ce qui ne l’empêche pas de traiter sans pitié ses ressortissants opposés au régime, comme le journaliste disparu Jamal Khashoggi). Une liste d’indésirables, au nombre desquels Blancho et l’imam Abu Ramadan, est fournie aux services secrets helvétiques.

Aujourd’hui, les liens du Biennois avec les mécènes des pays du Golfe sont plus tendus. «Nous avons été abusés par un imposteur, réagit un diplomate koweïtien. Ce faux cheik s’est payé la tête du gouvernement et de la famille princière.» Concernant l’argent présumé récolté au Qatar ou au Koweït, Nicolas Blancho balaie dans un rire ce qui ne serait que fantasmes de journalistes. En se posant en porte-parole d’une minorité vilipendée, «cheik Abdullah Nicolas» se serait pourtant montré bon dans l’«islam money fishing». Au Koweït, il avait réussi à supplanter les Karmous, à la tête du Musée des civilisations de l’islam de La Chaux-de-Fonds, en séduisant le Ministère du culte et des affaires islamiques.

Si le financement du CCIS reste trouble, sur le plan personnel, c’est la galère. Les dettes du président avoisineraient les 200 000 francs. Ses maigres revenus, il les gagne avec des traductions et en dispensant des édits religieux. Mais, élude-t-il, cela relève de sa «vie privée». Selon un ancien proche, il refuse de payer ses impôts parce qu’il applique la charia, et que payer des taxes à un Etat «mécréant» est interdit par l’islam.
Ses difficultés financières ne l’empêchent pas de partir en voyage avec son cercle. Cette année, c’était au Maroc et en Andalousie, comme le révèlent des photos postées sur Flickr auxquelles nous avons eu accès. Un retour aux sources de la civilisation conquérante d’al-Andalous, lorsque l’Espagne était islamique, entre 711 et 1492. Sur les clichés, on voit les enfants monter à cheval et tirer à l’arc, activités vantées dans le courant djihadiste pour préparer la jeunesse à la guerre sainte. Longtemps marié à une Yéménite, Nicolas Blancho aurait épousé religieusement Fitore Sinanaj, Kosovare membre d’organisations liées au CCIS. Elle serait l’ex-femme de Naim Cherni. Blancho a-t-il deux épouses comme le dit la rumeur? Là encore, il élude sans démentir. Ferah Ulucay serait, elle, l’épouse de Naim Cherni. Même refus de répondre. Au CCIS, on reste entre amis.
Entre amis, et en famille. Les proches de Fitore, la deuxième épouse présumée de Blancho, ont été ou restent actifs au sein de l’association Albanisch-Schweizerisches Kulturzentrum Weisse Moschee, en Argovie. L’imam de ladite «mosquée blanche» a fait polémique pour avoir accueilli des prédicateurs controversés comme Shefqet Krasniqi, leader religieux dont la mosquée de Pristina est notamment financée par l’Arabie saoudite et avec lequel Nicolas Blancho s’est affiché.

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Nicolas Blancho aime bien se vêtir d’un mélange entre l’Orient et l’Occident. Karl-Heinz Hug

Rapprochement avec le Kosovo

Les liens entre les Suisses et le Kosovo sont de plus en plus étroits. L’un des frères de Fitore s’est, depuis la Suisse, porté candidat au Kosovo pour le parti salafiste Fjala, dont le leader s’est rendu en Suisse à plusieurs reprises. Il est modérateur de la radio salafiste de Pristina Radio Pendimi (repentir), qui émet également en Arabie saoudite pour la diaspora. C’est vraisemblablement par leur biais que Nicolas Blancho a rencontré une autre figure kosovare radicale, Mazllum Mazllumi, accusé d’avoir alimenté les filières de Daech et d’al-Qaida en Syrie et en Irak. «Nous ne sommes pas plus proches du Kosovo qu’auparavant, réagit Nicolas Blancho. Les rencontres avec des personnalités kosovares font partie d’échanges internationaux réguliers, mais le CCIS a été et reste une organisation suisse.» Une organisation qui, pour l’heure, fait profil bas.

Par Sid Ahmed Hammouche et Albertine Bourget publié le 20 octobre 2018 - 07:12, modifié 18 janvier 2021 - 21:00