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Nicole Lamon

Nicole Lamon, l'ombre du ministre Berset, se retire

Elle a assuré la communication du conseiller fédéral Alain Berset durant plus de sept ans, avant de tourner la page cet été. La Valaisanne Nicole Lamon revient sur cette période intense et hors normes.

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Nicole Lamon (à g.) avec la garde rapprochée du conseiller fédéral Alain Berset (à dr.). Peter Klaunzer/Keystone

Elle s’était dit qu’elle allait prendre de la distance avec la politique et les informations qui la relaient. Elle a tenu vingt-quatre heures. S’en excuse presque. «Ce matin, je me suis dit: "Ah, on est mercredi, qu’est-ce que Sommaruga va annoncer sur le climat? Est-ce qu’il va présenter des choses aujourd’hui?» «Il», c’est le conseiller fédéral Alain Berset, dont Nicole Lamon a été l’une des plus proches collaboratrices jusqu’en juillet dernier. «Je suis accro aux médias et à la politique, sourit la Valaisanne. Et si je suis en Suisse, il m’est impossible de ne pas suivre ce qui se passe.»

Tirer les ficelles

A la tête d’une équipe de dix personnes, Nicole Lamon a été celle par qui tout passe en matière de communication, triant les demandes d’interview, réagissant à l’actualité, tirant les ficelles dans l’ombre. Plus souvent en déplacement, ici ou à l’étranger, que la propre épouse du ministre. «Avant 7 heures du matin, je devais avoir lu la presse. Les journées étaient consacrées au travail sur les dossiers, les soirées et les week-ends souvent dédiés aux manifestations publiques, à un festival ou à une émission comme Infrarouge. Je n’étais pas souvent chez moi avant minuit.»

En 2012, lorsque le Fribourgeois fraîchement élu l’approche pour qu’elle intègre son équipe, la quadragénaire n’hésite pas. Diplômée ès lettres à l’Université de Lausanne, elle a fait ses armes à la radio Rhône FM avant d’intégrer ce qui est encore la RSR, où elle a pris la tête des correspondants parlementaires en 2009. Pour elle, que passionnent les alliances et les jeux de pouvoir qui se trament sous la Coupole, aller voir de l’autre côté du miroir ne se refuse pas. Même si, mère d’un garçon alors âgé de 3 ans, elle sait combien ce poste va être chronophage.

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La Valaisanne, saisie ci-dessus au Palais fédéral, n’était jamais loin de «son» ministre. Keystone

Elle va pouvoir compter sur son compagnon, Alessandro. Ce photographe à l’agence Keystone baigne lui aussi dans la Berne fédérale depuis des années. Il va diminuer son temps de travail pour s’occuper de leur fils et gérer la maisonnée. «En sept ans, je n’ai pas fait une lessive, rarement les courses ou le ménage, glisse-t-elle. Sans mon compagnon, je n’aurais pas pu faire ce job.» Un choix assumé, avec un bémol: «Ces moments avec mon fils que je ne récupérerai jamais.» Sans parler des amis, de ses quatre frère et sœurs dont elle est proche et qu’elle a négligés, des loisirs qu’elle a dû mettre en veilleuse.

Seule femme

Lorsqu’elle débarque dans l’équipe, elle est la seule femme, Romande de surcroît. Elle salue aujourd’hui la garde rapprochée dont elle a fait partie, notamment le socialiste Peter Lauener, qui vient de lui succéder à la tête de la communication. Les deux premières années sont les plus dures.

«En entrant au Département fédéral de l’intérieur, j’ai découvert un énorme paquebot pas simple à manœuvrer. Il y a une tension permanente entre le politique et l’appareil qu’est l’administration fédérale. C’était parfois laborieux. La maniclette était très dure à comprendre et il m’a fallu maîtriser un millier de choses. Les relations avec le parlement sont plus dynamiques.» Et «le boss», comme elle l’appelle? «C’est quelqu’un qui a la politique dans le sang, avec un feeling rare pour le compromis, ce qui est pour moi la qualité la plus importante d’un conseiller fédéral.»

Séances mystérieuses

Entre eux, la confiance, essentielle, se noue rapidement. Et se maintient: pas question aujourd’hui de livrer une anecdote un rien croustillante sur d’éventuels désaccords, de lever plus le voile sur les dessous du pouvoir. «L’essence de ce poste, c’est la discrétion», insiste la Valaisanne. Tout juste admettra-t-elle que «c’est très addictif de pouvoir organiser énormément de choses différentes, de tirer certaines ficelles en coulisses».

Les séances du Conseil fédéral resteront, pour elle y compris, un mystère, «une cathédrale, et c’est bien ainsi. Même si, bien sûr, j’aurais parfois aimé être un papillon de nuit qui se serait attardé dans la pièce un mercredi matin…»

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«Ces moments au sommet de l’Etat, c’était magique», dit Nicole Lamon. Alessandro della Valle

«Coffre-fort de souvenirs»

Aujourd’hui, Alain Berset représente pour elle «un coffre-fort de souvenirs», qui lui a offert «le privilège» de vivre des années hors normes. Et, en guise d’au revoir, une soirée «incroyable» avec son équipe dans un jardin de la capitale. Au-delà, elle trouve «magique d’avoir été au contact du plus haut niveau de la politique, de vivre ces moments, ces discussions au sommet de l’Etat, ces voyages».

>> Voir la galerie de photos: «Monsieur le Président Berset»

On l’interroge souvent sur cette rencontre en janvier 2018, début d’année présidentielle pour le socialiste, avec Donald Trump, lors de laquelle l’équipe voit débarquer à Davos la cavalerie américaine et dont elle garde un souvenir visiblement amusé.

Mais si elle devait choisir les épisodes les plus forts, elle citerait plutôt ces enfants du camp kényan de Kakuma, «en haillons, jouant au foot avec un amas de détritus». Ces femmes réfugiées avides d’apprendre lors d’un cours d’hygiène dans un camp au Liban. Ou encore la rencontre avec le pape François, «d’une densité et d’une intensité hors normes». Si brefs qu’ils aient été, ces moments l’ont, dit-elle, transformée. «Cela vous ouvre forcément, cela brise l’indifférence.»

L'exception suisse

Aujourd’hui, celle qui, malgré presque quinze ans passés à Berne, se considère plus que jamais comme «une Valaisanne avec un pied dans la capitale» prend le temps de souffler. Elle assure ne pas savoir de quoi son avenir professionnel sera fait, même si elle a déjà reçu plusieurs offres de lobbys, «un secteur en pleine expansion dans la Berne fédérale».

Elle sort de ces années encore plus passionnée de politique et convaincue de l’exceptionnalité helvétique. «Un si petit pays avec tant de diversité, c’est vraiment un melting-pot incroyable. Le génie de la Suisse, c’est l’effervescence et la confrontation dans le respect des différents pôles politiques. Ce respect-là doit beaucoup à la composition du Conseil fédéral. Et je serais vraiment triste qu’un parti, quel qu’il soit, arrive à 40% de l’électorat.» Mais avant de suivre les élections fédérales cet automne, elle s’est envolée, sac au dos et en solo, pour l’Afrique australe. Histoire de toucher une autre réalité.

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Un certain regard sur l'univers du pouvoir... Nicolas Brodard

Par Albertine Bourget publié le 15 septembre 2019 - 15:46, modifié 18 janvier 2021 - 21:06