Sa mort a bouleversé toute la Suisse romande, et ils étaient un millier à défiler en son honneur, le 29 septembre dernier à Genève, lors d’une marche blanche à la mémoire de ce petit garçon victime de la folie meurtrière d’un père qui l’a emporté avec lui dans la mort et les eaux du Rhône.
Thomas Duarte, 4 ans, c’était ce garçonnet aux yeux pétillants et à la bouille espiègle, un petit prince qui ne devait pas mourir, un enfant à l’aube de la vie et de ses promesses qui aimait les chips en forme d’extraterrestres et la rappeuse Aya Nakamura. «Combien de petits Thomas faudra-t-il avant que les autorités réagissent?» a lancé sa maman, Elodia Duarte, à l’issue de la procession, fustigeant «l’inaction des autorités» alors qu’elle avait fait part de ses craintes de façon répétée au sujet du comportement déviant de son ex-compagnon. Quatre plaintes pénales avaient été déposées entre février et septembre 2019, sans provoquer de sursaut particulier, la justice et les services sociaux estimant que l’enfant ne courait aucun danger avec son père.
«La force manque encore...»
Aujourd’hui, c’est son amie d’enfance, Delphine Friedli, qui prend la parole en son nom. «Elle n’en a pas encore elle-même la force», reconnaît la jeune femme, mère d’une petite fille de 5 ans. Les chips en forme d’extraterrestres, c’est chez elle que Thomas venait les croquer avec délices chaque mercredi. «Je n’ai pas dit à ma fille que son meilleur ami ne reviendrait pas, je n’ai pas encore les mots pour le faire», murmure la jeune femme, visiblement émue, qui évoque un petit bout d’homme passionné d’automobiles, facile à élever, sociable, un petit chef, déjà, en cuisine, adorant couper les légumes, mais aussi les massages dans le dos de sa tante Nadia et s’endormir sous ceux de sa mère.
Comment imaginer que ce garçonnet rieur qui aimait la mer et les vacances à la plage allait connaître une fin aussi tragique un jour de septembre, lui qui venait d’entrer à l’école enfantine au Grand-Lancy. «Il parlait bien le portugais et le français et pouvait commencer une phrase dans une langue et la finir dans l’autre», se souvient encore Delphine, évoquant les origines lusitaniennes du petit garçon.
«Un acte monstrueux»
Chaque cœur de maman a été blessé par ce drame. Il y avait beaucoup de familles, de mères seules, aussi, durant la marche, qui sont venues manifester leur solidarité. Cela a beaucoup touché Elodia. «Ce qu’a fait le père de Thomas est monstrueux. Il a considéré son fils comme sa propriété, s’arrogeant le droit de prendre sa vie.» La vengeance ultime pour détruire une maman.
Thomas est né le 11 mars 2015. Un enfant désiré, un enfant attendu, même si quinze ans séparent ses deux parents. Son père a deux enfants plus âgés, il est concierge dans un immeuble d’Onex, en banlieue genevoise, sa maman, qui avait 27 ans à sa naissance, a repris depuis peu des études de technicienne en cours d’emploi.
Climat d'angoisse
«C’est Elodia qui a élevé Thomas, son père n’a jamais manifesté beaucoup d’intérêt pour son éducation jusqu’à leur séparation», assure Delphine Friedli, qui n’évoque jamais le meurtrier du petit garçon par son nom. Une séparation qui sera mal vécue par cet homme pour qui tout va vite devenir prétexte à conflit: l’argent, la garde, le choix de l’école. Mais surtout, qui va développer une véritable obsession à l’égard de son ex-compagne se traduisant par un harcèlement intensif, lancinant, messages WhatsApp ou textos à tout moment et une filature permanente de la jeune femme, suscitant un véritable climat d’angoisse, pour la mère et l’enfant, et qui reste au centre des quatre plaintes déposées.
L’une d’entre elle fera aussi état d’injures, d’un coup de pied et d’une gifle. «Il se rendait parfois chez elle au milieu de la nuit, des voisins le voyaient à 4 heures du matin dans le hall de l’immeuble», poursuit Delphine.
«Lanceurs d'alerte»
L’entourage avait fini par jouer les lanceurs d’alerte, guettant à chaque fois les apparitions de cet homme en perdition. Qui est même allé jusqu’à oser suivre Elodia au sortir d’une audience de conciliation le 12 septembre dernier. Des agissements délictueux mais difficiles à établir, l’ex-compagnon ayant toujours une excuse pour justifier sa présence. Une audience de confrontation devait justement se tenir le lundi suivant ce funeste week-end.
Honorer la mémoire de Thomas et faire en sorte que sa mort ne soit pas vaine nécessite désormais une analyse précise et détaillée des circonstances qui ont mené au drame. «Il faut savoir ce que chacun a fait et surtout n’a pas fait, insiste l’avocate d’Elodia Duarte. On n’arrive pas à une telle issue sans qu’il y ait eu des dysfonctionnements.» L’objectif, insiste la femme de loi, est de comprendre ce qui n’a pas fonctionné, pour éviter que cela ne se reproduise et permettre de mettre en place un système différent pour toutes les personnes confrontées à des situations similaires.
«Il m’a souvent dit qu’il allait disparaître»
Bien sûr, les divorces et les séparations conflictuelles sont toujours complexes. Mais dans le cas de Thomas, les signaux d’alarme étaient au rouge. «Il m’a souvent dit qu’il allait disparaître avec Thomas, que j’allais regretter de l’avoir quitté jusqu’à ma mort», témoigne Elodia, par la voix de son amie, à la question de savoir si des menaces avaient été proférées. «Des voisins du père avaient entendu l’enfant pleurer de longues heures durant la nuit, pourquoi n’ont-ils pas réagi?» ajoute Delphine Friedli, tout en affirmant que la maman de Thomas n’a jamais empêché l’enfant de voir son papa. «Même si c’était difficile de le lui confier, elle voulait, pour son bien, qu’il ait une relation avec lui. Sachant aussi que si elle refusait de lui laisser voir son fils, il lui ferait vivre un enfer. Et puis c’est une femme positive, qui avait toujours l’espoir que les choses puissent s’arranger.»
Sans compter qu’à chacune de ses interventions auprès des services sociaux, on opposait à Elodia le droit du père à voir son enfant et le fait qu’elle devait apprendre «à lâcher du lest». «Que peut-on faire face à ce genre d’arguments?» interroge son avocate. Certes, la mise en place d’un droit de visite sous surveillance n’était pas une garantie absolue pour enrayer la dérive de cet homme. Mais elle aurait pu, peut-être, déboucher sur une prise en charge psychologique salutaire.
Dimanche 21 septembre, Elodia Duarte devait récupérer Thomas chez son père à 18 heures. Devant la porte close et le fait qu’il ne répondait pas à ses appels, elle alerte la police au bout d’une heure. Qui découvrira le corps du petit garçon six heures plus tard, flottant au niveau du barrage de Verbois. «Elle m’a appelée à 4 heures du matin pour m’annoncer l’horrible nouvelle», murmure Delphine au bord des larmes.
Enquête en cours
A l’heure de cet entretien, les enquêtes suivent leur cours, et la mère de Thomas n’a pas encore la connaissance de tous les éléments entourant son décès. La mort du meurtrier de son enfant, retrouvé une semaine après lui dans ce même fleuve, suscite chez elle des sentiments contradictoires, assure encore son amie. «D’un côté, le soulagement qu’il ne pourra plus nuire à personne, mais d’un autre, elle ne saura jamais ce qu’a vécu Thomas avant de mourir. C’est un flou difficile à vivre; avec son caractère, je sais qu’elle voudra tout savoir, affronter la réalité.»
Aujourd’hui, pour la soutenir, Elodia peut compter sur sa foi, profonde, ses parents, ses deux sœurs, très proches, qui ont ému l’assistance durant la cérémonie à l’église en évoquant ce petit garçon qui n’était pas le leur mais qu’elles aimaient comme un fils. Delphine, l’amie de toujours, sera elle aussi toujours à ses côtés, affirme-t-elle, au moment de prendre congé: «Je veux qu’elle sache que si elle perd sa force et son courage, je suis là pour affronter avec elle ce grand vide.»
L'éditorial: Agir, pour que Thomas ne soit pas mort en vain
Par Patrick Baumann
«L’enfant est ce qu’il y a de plus précieux dans une société», affirmait le directeur du Service de protection des mineurs du canton de Genève (SPMi) dans une interview. Oui, les enfants sont notre futur et leur intégrité physique et morale l’emporte sur toute autre considération. Les voir périr sous la main d’un parent constitue, c’est un sentiment universel, le crime inconcevable par excellence.
Dans le cas de celui qui a coûté la vie à Thomas, 4 ans, victime d’un père qui l’a entraîné avec lui dans la mort, la question taraude: pouvait-on éviter une issue aussi tragique? Peut-on prévenir la dérive d’un père ou d’une mère décidé à commettre le geste irréparable? La justice et le SPMi, qui suivaient ce cas sur fond de conflit parental, ont-ils minimisé les signaux d’alerte relayés par la mère de l’enfant? En l’occurrence, les menaces répétées de son ex-compagnon de disparaître avec son fils? Dans l’arsenal des mesures envisageables, un droit de visite sous surveillance aurait-il été suffisant pour détecter sa déviance, lui imposer un suivi psychologique? Le SPMi, déjà mis en cause par le biais d’une pétition forte de 1400 signatures contestant son mode de fonctionnement et d’une enquête de la Commission des droits de l’homme du Grand Conseil, devra bien sûr, avec d’autres, répondre à ces questions.
Plus que des têtes qui tombent, on attend désormais qu’une enquête interne mette au jour les dysfonctionnements de façon à proposer un système plus efficace. Comme favoriser l’interdisciplinarité, préconisée par certains experts, entre des services aujourd’hui séparés. Constituer par exemple une cellule réunissant juge, psychologue, assistant social, dès les premiers signes d’un conflit familial à haut risque. On le doit à Thomas. Pour qu’il ne soit pas mort en vain.