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«On a vu nos vaches périr une à une»

En douze jours, Patrick et Corinne Migy, agriculteurs en Ajoie, ont perdu 23 vaches sur 32. Tout désigne le botulisme, tout... sauf une preuve formelle.

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Patrick et Corinne Migy

Patrick et Corinne Migy ont perdu 23 de leurs 32 vaches sans que le vétérinaire ne soit capable de leur dire pourquoi.

Géraud Siegenthaler
Blaise Calame

L’Ajoie. Ses vergers. Son été de la Saint-Martin. Aux Noires Terres, entre Porrentruy et Courgenay, un couple d’agriculteurs plie sans rompre. Patrick Migy est producteur laitier. Un homme solide aux mains caleuses. A 58 ans, il gère avec Corinne, sa femme, le domaine familial depuis 1999. Dans l’entrée, quatre cloches étincelantes distinguent les vaches qui ont produit plus de 100 000 litres de lait. Une fierté. Une émotion aussi. Louve, une brave red holstein qui venait de franchir ce cap, ne verra pas sa sonnaille. Emportée par un mal foudroyant. 

«Les concours, ça n’a jamais été mon truc, avoue l’éleveur. J’aurais trop peur que mes bêtes n’attrapent une bactérie à cause de la promiscuité.» Il l’aime, son bétail: «Y renoncer serait pour moi la dernière des options.»

Les Migy ont vécu l’enfer. En douze jours, entre le 21 août et le 2 septembre, 23 des 32 vaches qu’ils possédaient ont péri. «Une hécatombe», confie l’éleveur hagard, qui s’interroge: «Doit-on continuer? Reconstituer le cheptel? Prendre un nouveau virage? Ça mérite réflexion. En général, une reconversion, ça se prépare. Là, on se retrouve au pied du mur.»

Le coupable serait le botulisme de type C, mais aucune preuve ne l’a attesté. «On a fait des analyses de fourrage, d’aliments concentrés, de maïs, de balayures de crèches: toutes négatives. On n’a rien trouvé, se désole Patrick Migy. Et on ne saura probablement jamais.»

La toxine botulique, arme de destruction massive: un seul gramme, indique une étude d’août 2021, suffit à contaminer 400 000 bovins! Se développant le plus souvent à partir de cadavres d’animaux, d’oiseaux surtout, une bactérie anaérobie peut se répandre dans les ensilages via le fourrage et anéantir un troupeau. «Quand un particulier a une poule qui meurt, il est censé l’amener aux déchets carnés, comme on le fait nous, poursuit l’éleveur, mais combien l’abandonnent aux renards dans un champ ou en forêt?» Un comportement irresponsable.

Patrick Migy n’avait pas conclu d’assurance spécifique contre le botulisme, rarissime. «Le nom ne m’était pas inconnu, dit-il, mais j’en ignorais les conséquences...» De sa cuisine, on aperçoit un pré verdoyant grimpant vers la forêt. «Le 22 août, mes vaches paissaient là. Il faisait chaud. Elles s’étaient mises à l’ombre, à l’orée du bois. Pas en groupe. Isolées. Ça m’a frappé.» Funeste présage. Cette fin août 2022 va le marquer au fer rouge. «Tout a débuté le dimanche matin 21 août, raconte-t-il. Vanda n’a pas voulu se lever pour la traite. Elle était agitée. J’ai pensé à des coliques. Le vétérinaire est venu l’ausculter. Il penchait pour une torsion de l’intestin et m’a recommandé d’appeler le boucher sans tarder. Elle était morte avant qu’il n’arrive...»

Le lendemain, une autre vache est à la peine. «Elle était chancelante. Elle a suivi les autres en salle de traite et s’est affaissée. D’un coup. Je l’ai convoyée dans un pré et rappelé le vétérinaire. Même constat que la veille. On a passé en revue toutes les bêtes sans rien repérer d’anormal. Il m’a dit qu’il repasserait le soir. A 17 heures, j’avais quatre vaches chancelantes…» Affolement.

Son vétérinaire d’exploitation songe au botulisme, mais ne dit rien. Il joint le Tierspital à Berne, décrit les symptômes. «On a convenu d’emmener là-bas la vache malade le matin. Elle est morte devant nous, pendant cet appel.» Il soupire. Le 23 août, une troisième bête périt, puis sept pour la seule journée du 24! «Là, ça a été terrible», avoue-t-il. Le 25 août, il dénombre cinq dépouilles de plus, puis deux le 26, une le 27, deux le 28, une le 31, une le 1er septembre et la dernière le 2 septembre. Au total, 23 vaches ont fini à l’équarrissage. «Parmi elles, relève l’agriculteur, 15 étaient portantes.» Une seule bête infectée, Atine, en a réchappé. «Le botulisme les paralyse, détaille Patrick Migy. La vache vacille de l’arrière, tombe et ne se relève plus. Au sol, elle ne parvient plus à déglutir et s’étouffe. La seule chose à faire pour la soulager, c’est l’euthanasier. C’est affreux.» Tandis que la mort opère, des veaux naissent. Contraste.

L’agriculteur l’affirme: ses vaches ont ingéré quelque chose, mais quoi? «On l’ignore.» Par chance, le botulisme n’est pas transmissible. «J’ai bu le lait de mes vaches tous les jours, sans problème», rassure l’éleveur. Cela ne l’a pas empêché de faire vacciner les rescapées «à titre préventif». Pour lui, la perte est colossale, notamment sur le plan financier. 

Une piste reste à explorer. Celle du sol. «J’ai stocké pas mal de terre provenant du chantier de l’A16 sur mon domaine, dit-il, une terre qui pourrait avoir été souillée dans le passé par des bêtes qui avaient péri. Dans certains villages, on enfouissait les dépouilles avant que l’équarrissage ne soit introduit.» Il faudra vérifier. 

>> Vous voulez aider Patrick et Corinne Migy? Sur le site www.agrijura.ch de la faîtière agricole jurassienne, une récolte de dons intitulée «Action solidaire Noires Terres» (IBAN CH17 8080 8009 6022 2564 1) est en cours.

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Par Blaise Calame publié le 27 octobre 2022 - 09:02