Pour bien comprendre ce qu’elle a traversé, Layla Räss, 31 ans, a résumé sa maladie, qui se confond avec sa vie, dans un document PowerPoint de deux pages. Parce que son périple et sa quête de traitement ressemblent à un véritable gymkhana médical et qu’on peut s’y perdre. Des années d’errance. A trouver le bon thérapeute, à mettre un diagnostic sur des maux qui la minent, à se prendre dans la figure l’ignorance, la condescendance parfois, car la maladie de Lyme et ses effets à long terme restent une pathologie méconnue et son diagnostic peut différer d’un médecin à l’autre.
Pendant des années, elle a traîné des symptômes qui, mis bout à bout, constituent un drôle de catalogue d’affections en tous genres: fatigue, dérangements intestinaux, troubles du sommeil, de l’attention, inflammations diverses, problèmes neurologiques. S’il y a un nom qu’elle ne peut plus entendre, c’est psychosomatique. Même s’il finit par le mot tique. On le lui a trop servi, il la ferait presque vomir. «J’ai souffert d’une borréliose, la maladie de Lyme, pendant treize ans sans qu’elle soit diagnostiquée. Aujourd’hui, les bactéries sont montées au cerveau et je souffre de neuroborréliose. Avec des symptômes qui s’apparentent à la sclérose en plaques ou à la maladie de Parkinson. J’en suis au stade 3 sur 3, j’ai essayé toutes sortes de traitements, mais je n’ai plus beaucoup d’espoir de pouvoir guérir un jour.»
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Elle a 13 ans quand elle se fait piquer par une tique lors d’une course d’école à Pampigny (VD). A cette époque, le médecin de famille lui enlève la bestiole, traite l’érythème et lui administre un analgésique. Sa santé va aller de mal en pis au cours des années qui suivent, mais ses problèmes médicaux sont mis sur le compte du stress et de l’adolescence. La Vaudoise entreprend malgré tout des études d’infirmière instrumentiste, un rêve de gosse.
«Je me suis fait piquer une deuxième fois sur le bras droit à 22 ans. On m’a donné des antibiotiques, mais on a stoppé le traitement, car on pensait que je faisais une allergie. Au contraire, c’était une réaction de Herxheimer, typique d’une infection par la bactérie spirochète, à l’œuvre dans la maladie de Lyme.» Cette bactérie au nom guerrier responsable de tous ses maux reviendra souvent dans sa bouche, sorte de mini-roquette qui pénètre le corps et trace sa route en provoquant des dégâts à bien des organes si elle n’est pas stoppée.
Le corps médical va pourtant la juger hors d’affaire. Layla se marie en 2013. Mais l’union ne résiste pas à son état de santé. C’est la période où elle se lance dans un tourisme médical long et douloureux accompagné de Lise, sa mère, fidèle soutien. «On aurait tellement voulu être prises au sérieux dès le début pour ne pas perdre de temps», confiera cette dernière. En 2014, son état oblige Layla à quitter son poste d’infirmière assistante en chirurgie. Elle continuera néanmoins à poser comme mannequin, une activité qui met son corps en lumière et lui fait oublier ce qui s’y passe à l’intérieur.
Dans son appartement protégé de Morges, la Vaudoise fait défiler des images de la période où elle était mannequin pour des agences comme Liane’s Model. Une gueule, une attitude, une élégance bien à elle. «Pour calmer les douleurs, j’ai fait des défilés sous morphine!» lance-t-elle avec cette voix rauque de rockeuse qu’on n’imagine pas aussi puissante.
Lueur d’espoir un an plus tard. Une clinique spécialisée d’Augsburg, en Allemagne, confirme la maladie de Lyme, lui prescrit un traitement carabiné, mais la jeune femme n’a pas les moyens de rester plusieurs mois là-bas à ses frais. Elle n’a plus de revenus et tous ses déplacements sont à sa charge. «J’ai eu la chance de trouver une spécialiste en Suisse romande. Devant l’aggravation de mon cas, elle m’a envoyé chez un neurologue français, lui-même atteint de la maladie.» Il diagnostique une neuroborréliose et envoie des vidéos de Layla à des confrères aux Etats-Unis. «Ils ont trente-cinq ans d’avance sur nous là-bas», assure la jeune femme.
Hélas, encore une fois, aucun traitement miracle ne vient stopper l’avancée de la maladie. Le désespoir est souvent au rendez-vous après ceux avec les médecins. «J’ai songé deux fois à me flinguer devant le Palais fédéral, histoire que ça laisse une trace!» reconnaît celle qui pourtant reste, la plupart du temps, dixit son compagnon et ses amis, «un soleil ambulant». Ce qui la mine, c’est la non-reconnaissance par l’autorité médicale de la chronicité de la maladie de Lyme. Et puis son cas est complexe, car elle souffre en parallèle d’une hyperlaxité liée à un syndrome d’Ehlers-Danlos (EDS) que la maladie de Lyme a encore renforcé.
Depuis un an, elle a besoin d’un fauteuil roulant, car son périmètre de marche se limite à 50 mètres aller-retour et elle est équipée de supports pour ses articulations défaillantes. Elle n’a obtenu que récemment des prestations d’invalidité après de longues procédures administratives qui l’ont épuisée. Et uniquement en raison du fait qu’elle souffre d’un syndrome EDS. Si elle supporte sa vie actuelle, assure-t-elle, c’est grâce à la photographie, ce clip en préparation pour son site internet* destiné à venir en aide aux personnes concernées par la maladie de Lyme. Et surtout ce rap, «Respire», enregistré avec le groupe Nubian Spirit, dont elle signe les paroles fortes et autobiographiques. Vu l’augmentation du nombre de morsures de tique infestée (les assurances en recensent jusqu’à 9000 par an), il y a de quoi faire. «Je me dis souvent: «Tu as comme une mission, parce que tu n’as pas eu cette chose pour rien.»
Elle a envie aussi de faire vite, ne pas laisser la maladie s’emparer de ses facultés mentales, ce qui explique son débit impressionnant, l’avalanche de termes médicaux, l’impression parfois d’être face à une oratrice d’une conférence TED. Sauf que le thème choisi, elle le vit tous les jours dans sa chair.
Il ne faut pas oublier non plus son humour caustique, ultime parade contre une trop grande amertume. La preuve quand elle vous lance: «Parfois, je me demande si je n’étais pas pédophile ou Adolf Hitler dans une autre vie. Mais bon, autant en faire quelque chose!»